L’homme serait un animal raisonnable, selon Aristote, c’est-à-dire doué de raisonnement rationnel. Peut-être, mais pas au quotidien répondent les psychologues et neurobiologistes. La prise de décision est soumise à une part d’aléatoire dans les différentes phases de son processus. Notre appréhension du réel est largement teintée de pensée magique. Nos convictions sont modelées par nos comportements, eux-mêmes contraints par les circonstances. Explorons les marges de notre rationalité.

Février/Mars 2017

Matière à décider

Nous, citoyens-consommateurs, sommes censés prendre nos décisions de façon utilitaire et rationnelle. Pourtant la micro-économie, les comportements électoraux et la psychologie expérimentale démentent ce postulat. Que savent les neurobiologistes des structures cérébrales qui sous-tendent la prise de décision ?

Avec Thomas Boraud, neurobiologiste, directeur de recherche au CNRS et à l’Institut des maladies neurodégénératives, CNRS-Université de Bordeaux.

"Cité des sciences et de l'industrie"
Les conférences
"Le Cerveau, entre raison et émotion"
Mardi 28 février 19h00
"Matière à décider"
Avec Thomas Boraud, neurobiologiste, directeur de recherche au CNRS et à l'institut des maladies neurodégénératives, CNRS- Université de Bordeaux.
Avec le soutien de Pour la science, Cerveau & Psycho. Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Je voudrais vous remercier pour m'avoir invité dans ce cycle de conférences qui, je pense, est très intéressant.
Vous avez mis la barre assez haut puisqu'il va falloir que je fasse une présentation de qualité, utile et accessible.
Vous me direz si j'ai réussi.
On m'a demandé de me re-présenter pour la prise vidéo.
Je suis Thomas Boraud, je suis directeur de recherche dans un laboratoire CNRS-Université à l'université de Bordeaux.
Je m'occupe principalement à étudier les substrats neurobiologiques des processus de prise de décision.
Notre civilisation, son système, économique, son système politique, est basée sur le postulat de base que nous sommes rationnels.
Le problème, c'est que vous vous doutez que si on se pose la question, c'est que c'est probablement pas exact.
Quand on voit l'agitation en ce moment autour des élections, on se rend compte qu'il y a un tas de processus pas forcément rationnels derrière.
On a l'impression que c'est quelque chose d'ancré dans notre civilisation occidentale, mais en tous les cas, si on s'intéresse à la production littéraire, qu'elle soit mythologique, au niveau des romans, plus tardivement, ou dans les œuvres théâtrales, la rationalité est relativement absente.
Elle n'apparaît réellement dans les textes qu'à partir du XVIIème siècle.
Donc jusqu'au XVIIème siècle, la civilisation occidentale, en tout cas sa culture, n'est pas du tout inspirée par cette question de la rationalité.
Et ce qui semble faire...
Le moteur interne des individus semble être extérieur.
C'est la fortune, le destin, en fonction des périodes.
Ensuite, ce sera la foi, à partir de l'émergence de la chrétienté.
Mais jusqu'au XVIIème, finalement, cette notion de réflexion qui dicte le comportement est relativement absente.
Et finalement, l'une des images qui permettent de prendre conscience de cette émergence dans la littérature, c'est le dilemme cornélien, qu'on voit apparaître chez les auteurs, chez les dramaturges du XVIIème.
Cela dit, même si elle apparaît tardivement dans la littérature, c'est une préoccupation ancienne.
Pour le coup, on remonte à Aristote dans l'Antiquité.
Il y a en parallèle un cycle sur l'émergence de la rationalité au Moyen Âge avec la dialectique qu'il peut y avoir entre l'Orient et l'Occident.
Je n'habite pas Paris mais j'invite ceux qui sont là à y aller parce que ça a l'air d'être particulièrement intéressant.
En tous les cas, en Occident au Moyen Âge, cette question tourne autour de la question du libre arbitre, qui est une question importante dans la mentalité chrétienne puisque ça détermine d'une certaine façon la responsabilité de l'individu vis-à-vis de son devenir, pour les chrétiens, dans la vie éternelle.
Ensuite, ce débat va rester dans la théologie jusqu'à la fin du Moyen Âge et il va s'en extraire au XVIIème siècle et va s'émanciper de la spéculation pour entrer dans la formalisation mathématique.
Le premier à avoir formalisé ça, c'est Blaise Pascal avec un pari célèbre.
L'objet du pari lui-même, finalement, ça n'engage que lui et les débats de l'époque.
Mais la question était de savoir s'il fallait parier ou pas sur l'existence de Dieu.
Ce qu'il propose, on peut le représenter sous une forme matricielle avec deux possibilités : soit Dieu existe, soit Il n'existe pas.
Qu'est-ce ce qui se passe si vous pariez qu'Il existe ?
Si vous suivez Ses préceptes, vous gagnez le paradis dans l'au-delà donc votre gain est éternel, et s'Il n'existe pas, vous perdez le peu de temps que vous avez passé à vivre sur terre.
À l'époque, l'espérance de vie était d'une trentaine d'années.
Si on calcule l'espérance au sens mathématique, qui correspond au gain moyen pour toutes les possibilités, on se rend compte que plus l'infini moins les quelques années divisé par 2, ça donne plus l'infini.
Le gain est maximum.
La même chose si vous faites un pari négatif.
Vous perdez la vie éternelle et allez en enfer.
Vous vivez bien le peu de temps que vous êtes sur terre donc l'espérance est minimale puisque c'est moins l'infini.
D'où sa proposition de parier que Dieu existe plutôt que de parier qu'Il n'existe pas.
Donc les conséquences et le cadre du débat n'engagent que Blaise Pascal, mais c'est la première véritable formalisation mathématique d'un processus de prise de décision.
Ce type de matrice est encore utilisé pour des processus de décision, notamment en intelligence artificielle.
Ensuite, on va quitter le domaine de la théologie.
Et c'est Bernouilli...
Bernoulli, c'est une famille de mathématiciens suisses.
Ils sont plus pragmatiques, ils travaillaient dans les assurances et s'intéressaient à savoir comment prévoir des polices d'assurance pour optimiser les gains.
Ils ont défini une notion importante, la notion d'utilité, qui veut que la valeur attribuée à un gain n'est pas linéairement proportionnelle à ce gain.
Il va y avoir une évolution logarithmique.
Pour dire ça simplement, inconsciemment, vous ferez une différence plus importante entre 10 et 50 euros qu'entre 100 et 500 euros, par exemple.
En fait, le sentiment de différence relative entre les deux...
Plus les gains augmentent, plus le sentiment de différence est faible.
Ensuite, on va passer chez les Anglo-saxons et c'est Adam Smith qui va formaliser l'économie, qui va fonder l'économie avec un ouvrage célèbre.
Il va considérer que l'économie est l'agrégation d'agents rationnels, qu'on peut définir un système économique comme émergeant de la somme des comportements rationnels d'individus qui constituent une société.
Le fondement même de l'économie selon Adam Smith tel qu'il est encore utilisé par la plupart des économistes, c'est que l'agent de base est entièrement rationnel.
Là-dessus, la rationalité a été axiomatisée, mise en axiomes par...
Les plus célèbres sont Von Neumann et Morgenstern, qui ont défini un certain nombre de paradigmes, d'axiomes qui permettent de définir les préférences entre différents biens.
On est à la première moitié du XXème siècle.
C'est vraiment le formalisme sur lequel reposent toujours les grands principes de l'économie actuelle.
Seulement voilà, à partir du milieu des années 1950, les économistes eux-mêmes se rendent compte des limites de cette rationalité.
Il y a notamment un économiste français qui s'appelle Maurice Allais qui a mis en évidence un paradoxe.
Il a fait un test sur des économistes.
J'ai pas le temps de vous présenter son expérience mais on pourra en parler lors des questions.
Il a fait faire à des économistes un petit jeu économique.
Il leur a montré qu'eux-mêmes violaient des axiomes auxquels ils croyaient et qu'ils enseignaient dans leurs universités.
Ensuite, là, on est plus dans les années 1970, il y a eu Kahneman et Tversky.
Kahneman a eu le prix Nobel d'économie vers 2002.
Ils ont énoncé la théorie des perspectives qui montre que la façon d'envisager les choses dépend du cadre dans lequel les décisions sont prises.
Ils vont définir les notions de biais et d'heuristiques.
On reviendra sur les heuristiques.
Enfin, Simon a montré que la rationalité était limitée, notamment à cause des limites du cerveau, en tout cas des limites de l'individu à assimiler une quantité d'informations qui n'est pas infinie.
Tous ces économistes ont montré que les fondements sur lesquels leur propre discipline était définie étaient, d'une certaine façon, faussés, et que la rationalité des individus était limitée pour plusieurs raisons.
Les biologistes, eux, sont entrés dans la danse dans les années 1950.
Le premier à avoir travaillé là-dessus, c'est un psychologue expérimental qui s'appelait Herrnstein.
Il travaillait sur le pigeon, étrangement.
Il utilisait un protocole sur lequel on va revenir souvent qu'on appelle le paradoxe des bandits manchots.
Excusez-moi, le paradigme des bandits manchots.
Bandit manchot, c'est le surnom, en argot américain, de la machine à sous.
C'est comme si vous demandiez au sujet d'une expérience de jouer avec deux machines à sous plusieurs fois d'affilée.
Ces deux machines à sous ont un taux de récompenses différent.
Il y en a une plus intéressante.
Il faut trouver laquelle c'est, et une fois que vous avez trouvé, vous devriez continuer à la choisir de façon à optimiser vos gains.
Pour les pigeons, c'étaient des machines avec des systèmes qui permettaient de distribuer des graines de nourriture.
Il a montré que ces animaux, si on présente ici les essais en fonction du temps et ici la probabilité pour que le sujet choisisse l'option la plus intéressante, pour laquelle le pourcentage de gain et le plus élevé, il a plus de chances d'obtenir des graines, au début, ces animaux choisissent de façon aléatoire.
Au fur et à mesure des essais, ils vont avoir tendance à choisir, c'est une courbe moyenne sur plusieurs expériences, à choisir préférentiellement une des options.
Mais ils n'atteignent jamais le maximum de 1.
Même s'ils ont compris que l'une des machines était plus intéressante, ils choisissent l'autre de temps en temps.
C'est un comportement qui n'est pas rationnel.
Si le but est d'optimiser les récompenses, ça ne répond pas aux règles de rationalité.
Vous vous dites que les pigeons ne sont pas très rusés.
Mais si on reproduit ce test chez un certain nombre d'espèces, quasiment sur tous les mammifères, et bien sûr sur l'homme, on va obtenir le même type de comportement.
La courbe que je vous montre ici n'a pas été obtenue par Herrnstein chez des pigeons mais chez des sujets humains par une autre équipe américaine.
Donc ce comportement est ancré dans l'ensemble des espèces.
Dans tout l'arbre phylogénétique, on va retrouver ce comportement qu'on a appelé suboptimalité.
C'est-à-dire que les sujets, sur quelque chose de très simple, choisir entre deux options, ne se comportent pas complètement de façon rationnelle.
Ils vont avoir tendance à choisir préférentiellement l'option la plus intéressante, mais pas systématiquement.
On a plusieurs explications pour ce comportement qui sont des explications éthologistes.
La plus courante, c'est qu'en fait, c'est un équilibre entre les comportements d'exploration et d'exploitation et que dans la vraie vie, on n'est jamais confrontés à ce type de situation dans laquelle une des deux options est toujours meilleure que l'autre.
Donc les sujets sont programmés pour exploiter une partie des gains, mais continuent à explorer pour pouvoir vérifier s'il n'y aurait pas d'option plus intéressante dans l'environnement.
C'est grâce à ce type de comportement qu'ils peuvent s'adapter aux changements dans l'environnement.
Cette explication tient la route mais n'est pas mécanistique.
Elle explique pourquoi ce type de comportement peut avoir été sélectionné par l'évolution, mais pas comment ça marche, comment c'est mis en place.
Une autre explication, qui est moins fréquemment avancée, c'est celle de l'imprédictibilité.
C'est pas mal d'avoir quelque chose d'imprédictible dans le comportement parce que ça permet d'échapper à un prédateur.
Si la course de cette gazelle n'est pas complètement prédictible, elle peut avoir une chance d'échapper au guépard.
C'est un deuxième type d'explication mais la plus fréquente, c'est celle-là.
Ce qui nous intéresse : on a des comportements, on explique éventuellement pourquoi ils ont été sélectionnés par les processus évolutifs, mais on ne sait pas comment ils apparaissent, comment le substrat neurobiologique qu'est le cerveau, qui va générer ces comportements, est capable de les faire émerger.
Et c'est ce qu'on veut faire.
Si on pose le cadre dans lequel on travaille, on a constaté que la rationalité des agents est loin d'être parfaite, que les décisions ont un caractère aléatoire qui résulte peut-être de contraintes évolutives, c'est fort probable.
On veut donc étudier le substrat à l'origine de ces processus.
Quand on fait une approche neurobiologique de la rationalité, c'est ce type de travail que mon équipe et d'autres faisons.
Pour pouvoir faire ça, la première chose qu'il faut qu'on fasse, c'est de donner une définition opérationnelle, qu'on puisse tester en laboratoire, d'une décision, et aussi une définition de la rationalité.
On va prendre la chose la plus simple et revenir sur des expériences du même type que celle d'Herrnstein.
On va considérer que la décision, c'est le choix entre deux options.
J'ai repris cette image du film "Brazil", je ne sais pas si certains se le rappellent.
Il y avait un gimmick, dans le film, ils échangeaient des cadeaux des "executive decision makers", et c'était simplement une balance qui remontait un poids.
Le poids tombait sur un coin.
D'un côté était écrit "yes" et de l'autre, "no".
Ils pouvaient prendre des décisions.
C'était exactement comme tirer à pile ou face, mais c'était beaucoup plus design, comme outil, pour le faire.
C'est pas mal parce que ça représente vraiment ce qu'est une décision de base.
Comment, à partir de quand on peut parler d'une décision ?
À partir du moment où on a une possibilité qui donne deux choix possibles et où il va falloir choisir entre ces deux options.
Donc pour faire ça avec un réseau de neurones, il nous faut un réseau de neurones très simple.
Il suffit d'un premier réseau qui capte un stimulus pour envoyer un signal au réseau disant "il faut faire quelque chose".
Et ce réseau doit être composé de ce qu'on appelle des processus d'inhibition latérale.
Là, si vous avez un réseau A et un réseau B, il faut que A1 puisse inhiber A2 quand il est actif, et A2 inhiber A1 quand il est actif.
Les deux systèmes s'inhibent mutuellement.
Il faut qu'on ait aussi un système de rétrocontrôle positif.
Quand A1 est activé, il s'autoactive donc il s'emballe.
Ce qui fait que quand on active ce système par un stimulus, si vous avez un peu de bruit dans le système, que la transmission des informations n'est pas complètement déterministe, on va avoir un système instable qui fait qu'une des 2 voies va s'activer et l'autre va être inhibée.
Avec ce tout petit réseau, on balance un stimulus dessus, une voie va s'activer et l'autre s'inhiber, ça va pas toujours être la même, il va y avoir 50-50 si le réseau est bien équilibré.
De temps en temps, une option sera choisie, de temps en temps, l'autre.
Donc vous avez reproduit avec un réseau de neurones, un substrat neurobiologique, un "executive decision maker", un système qui vous permet de décider entre deux options.
C'est la définition de la décision et c'est le réseau minimum qu'il faudrait pour décider, dans un système neurobiologique.
Maintenant, il faut définir la rationalité, et pour ça, il faut que ces décisions aient des conséquences.
Pour l'instant, il n'y avait aucune conséquence, donc il était impossible de définir si une action était meilleure que l'autre.
Pour faire ça, il faut leur donner des valences, à ces deux actions, il faut que l'une ait un effet positif, et l'autre, un effet soit positif soit neutre.
On peut faire neutre et négatif, mais on va partir du principe, parce que c'est plus simple, que dans un cas, il y a une conséquence positive et pas dans l'autre.
Pour faire ça, il y a deux façons de le tester expérimentalement.
On peut le tester avec des loteries, vous avez probablement déjà été confrontés à ça.
Les banques s'amusent à vous faire passer ce genre de tests quand elles veulent essayer de vous piquer de l'argent.
Ça consiste à donner le choix entre deux possibilités représentées sous cette forme-là.
Par exemple, je vous demande si vous préférez gagner 5 euros avec 25 % de chances ou 5 euros avec 50 % de chances.
Le choix est assez facile.
Il suffit de calculer à chaque fois l'espérance entre les deux options, le gain moyen.
L'espérance est ici de 2,5 alors qu'ici, elle est seulement de 1,25.
Donc c'est ce choix-là qui est le plus intéressant.
Dans la loterie, les contingences sont explicites.
Vous savez exactement à quoi vous allez être confrontés et il vous suffit de choisir ce qui est le meilleur choix.
L'autre option c'est de faire un test de type bandit manchot.
Cette fois, vous connaissez les gains, vous savez que vous allez gagner 5 euros, mais vous allez devoir découvrir par vous-mêmes les contingences.
C'est exactement ce que Herrnstein faisait chez ses pigeons.
Par essai-erreur, vous testez, entre deux machines à sous virtuelles, laquelle des deux est la plus intéressante.
Comment ça se résout, ça ?
Les loteries, c'est simple.
Il suffit de calculer l'espérance et de choisir celle des deux qui est la plus intéressante.
Ça, c'était facile, pour vous expliquer, mais la plupart du temps, c'est plutôt comme ça.
C'est pas très compliqué, l'espérance.
Dans ce cas-là, c'est celle-ci qui a l'espérance la plus élevée donc c'est celle que vous devriez choisir.
Mais en fait, d'autres mécanismes entrent en jeu.
Ça a été démontré par Allais et Kahneman.
Dans ces cas-là, beaucoup de gens vont préférer cette option parce que la certitude de gain est plus importante.
Il y a une prime à la certitude plutôt qu'une prime à l'amplitude du gain.
Ça, ça fait partie des déformations intrinsèques au processus de décision chez l'homme.
En ce qui concerne ce type de tâches, les tâches de bandit manchot, il va falloir calculer l'espérance, sauf qu'on ne la connaît pas au début.
Au fur et à mesure de vos essais et de vos erreurs, vous arrivez à l'estimer.
Normalement, vous devriez arriver, par renforcement, à chaque fois que vous êtes récompensés, à savoir que sur l'ensemble des choix, l'option B a été récompensée plus souvent que l'option A et donc que l'espérance de B semble supérieure.
Ça va être réévalué au fur et à mesure des essais.
Normalement, au bout d'un moment, vous devriez optimiser.
Mais ce que nous montre Herrnstein, c'est que l'optimisation ne s'obtient jamais totalement.
Et donc les processus sont...
Confrontés à ce genre de sujets, les processus biologiques n'arrivent pas à optimiser.
Ce que l'on voit, là où je voulais en venir, c'est que pour réussir ce genre de tâches, vous avez besoin d'un processus qui décide, c'est ce qu'on a vu, ce petit microcircuit qui avait besoin de bruit, d'inhibition latérale et de rétrocontrôle positif.
Il faut aussi un système d'évaluation, qui conserve la mémoire des conséquences des différents choix et transmet cette information au système qu'il choisit.
On parle d'un agent avec deux processus : un processus acteur et un processus critique.
Tout le travail maintenant va être d'identifier dans le système neurologique, dans le cerveau, quelles sont les caractéristiques qui permettent de penser que nous sommes en présence du processus acteur et éventuellement du processus critique.
L'idée aussi dans laquelle ce travail va être effectué, c'est qu'il faut garder ce principe général de la théorie d'évolution qui implique que le système développé pour décider évolue à partir d'un système existant et si possible, en se développant, améliore les capacités d'adaptation de l'espèce qui évolue, qui résulte de l'évolution, pardon, et entraîne de meilleures performances, notamment un rapport bénéfice-coût énergétique.
Tous les processus neuronaux ont un coût énergétique important.
Donc si possible, il faut que le système travaille et que le système qui se développe permette d'améliorer ce rapport.
Si vous avez un système qui consomme trop d'énergie, le système ne sera pas viable parce que les aliments ne lui apporteront pas suffisamment d'énergie, il ne sera pas compétitif et l'espèce ne pourra pas être conservée dans le processus évolutif.
Ramenons ça à la phylogenèse des vertébrés, on va se concentrer sur les vertébrés parce qu'ils partagent tous la même architecture neuronale.
Ici, on va regarder 3 étapes.
Les anamniotes et les reptiles représentent toute cette partie-là.
La plus grande partie des vertébrés.
Les oiseaux, qui sont un cas à part.
Et les mammifères, la branche dans laquelle nous nous trouvons.
Toutes ces espèces vont partager la même architecture mais avec des caractéristiques différentes.
Chez les anamniotes et les reptiles, dans les anamniotes, il y a les poissons et les batraciens, le système de décision principal, c'est une boucle qui inclut des structures sous-corticales, les noyaux gris centraux et les ganglions de la base, et le thalamus.
La plus grosse partie du comportement de ces animaux va émerger des interactions entre ces deux structures.
Il y a une structure qui est quasiment embryonnaire, le pallium, qui est responsable d'une toute petite partie du comportement.
Si vous faites une ablation du pallium chez ces espèces, vous ne verrez pas grand-chose en termes de modifications du comportement.
Pour l'oiseau, c'est un peu différent.
Il y a un partage équitable entre le pallium et les structures sous-corticales pour la gestion du comportement.
C'est intéressant, on y reviendra par la suite, les deux structures ne travaillent pas de façon indépendante.
Le pallium discute avec les structures sous-corticales et il a besoin de cette interaction pour pouvoir gérer les comportements.
Les oiseaux, c'est une espèce qui est relativement disparate puisque le pallium, chez certains, est très embryonnaire, et chez d'autres, notamment les corvidés, il représente plus de 50 % de la masse du cerveau.
Il va y avoir aussi une grande variabilité du rapport respectif du pallium et des structures sous corticales dans la gestion du comportement.
Chez les mammifères, la ségrégation va être beaucoup plus claire.
Les structures sous-corticales vont gérer une petite partie du comportement et la majeure partie va être gérée par le cortex, une évolution du palium, je sais pas si je pourrai rentrer dans les détails.
Il correspond à une multiplication du volume.
Chez tous les mammifères, le cortex représente plus de 50 % du volume cérébral.
Il y a surtout une complexification par rapport au pallium dans le nombre de couches, dans la structure des interactions à l'intérieur de la structure.
C'est une structure plus évoluée, plus différenciée et on va voir que ça va lui procurer des propriétés intéressantes par la suite.
Si on revient au système de base dont je vous ai parlé, on va s'intéresser aux mammifères, je vous le représente chez les mammifères.
Il est constitué du cortex et de structures sous-cérébrales, les ganglions de la base : le striatum, le noyau sous-thalamique, le globus pallidus, le thalamus qui fait partie du réseau, et l'ensemble va être organisé dans une boucle fonctionnelle.
Ça, c'est chez les mammifères.
Chez les anamniotes, vous enlevez le cortex mais vous avez une boucle entre les ganglions de la base et le thalamus qui gère le comportement.
Chez ces animaux, dans cette structure-là, on va retrouver ce dont je vous parlais tout à l'heure.
L'inhibition latérale, le rétrocontrôle positif et du bruit dans le système, ce qui fait que votre lamproie, rien qu'avec ce réseau là, en réponse à un stimulus, elle va pouvoir choisir entre une action 1 et une action 2.
Finalement, vous avez là l'analogue neurobiologique minimum dans un cerveau de l'"executive decision maker" de tout à l'heure, celui qui fait que de façon aléatoire, le système va être capable de choisir entre un comportement A et un comportement B, un choix A et un choix B, 1 ou 2, ici.
Pour l'instant, on est toujours avec l'acteur.
Les actions n'ont pas de conséquences.
On a un système de décision, mais pas un système de décision rationnel.
Pour rationaliser le système, il faut que les actions aient une conséquence.
Si la lamproie va à droite, elle a de la nourriture, si elle va à gauche, elle n'arrive pas à en obtenir.
Donc cette récompense va être...
L'information va être récupérée par le système critique, je rentrerai pas dans les détails de son architecture parce qu'on ne le connaît pas encore très bien.
On connaît certaines structures qui sont impliquées, on connaît notamment des structures très importantes, la substance noire, l'aire tegmentale ventrale, qui sont des structures qui comprennent des neurones qui libèrent de la dopamine.
Cette dopamine est envoyée par ce système critique, par ces structures, substance noire et aire tegmentale ventrale, au noyau gris central et l'informe sur l'obtention ou pas de récompense, lui donne cette information sur "le choix que tu as fait, a-t-il été récompensé ou pas ?"
C'est par ce système, qu'on appelle le système d'apprentissage par renforcement, que le système va être capable de décider de façon rationnelle.
Si vous rajoutez à votre petit réseau un système critique, vous allez avoir votre animal qui, en fonction des essais...
C'est le même type de courbe que ce que je vous présentais tout à l'heure, avec le cas du bandit manchot chez le pigeon.
Vous avez ici les essais et le choix entre les deux actions, avec l'action 1 plus intéressante que l'action 2.
L'action 1 est récompensée 3 fois sur 4, et l'action 2, qu'une fois sur 5.
Le système choisit au début de façon aléatoire et se met à choisir préférentiellement l'action la plus intéressante.
Mais comme le pigeon tout à l'heure, il ne choisit pas systématiquement l'option la plus intéressante.
Il continue à explorer.
Avec ce réseau-là, le système se comporte exactement comme il a été montré en expérimentation.
On peut reproduire exactement l'architecture de ce système in silico, avec des modèles de réseaux de neurones.
Et on va faire émerger du système, sans ne lui donner aucune règle, simplement en le faisant fonctionner tel qu'il fonctionne dans la nature, on va faire émerger un comportement d'apprentissage qui suit les mêmes caractéristiques que celui qu'on observe en psychologie expérimentale sur les sujets animaux.
Ça permet de montrer que les contraintes fonctionnelles liées à l'architecture du réseau hérité des premiers vertébrés expliquent la suboptimalité des décisions dans ce type de protocoles expérimentaux des bandits manchots.
On boucle la boucle.
On a vu une explication éthologique à ces comportements en proposant que ça a été sélectionné par les processus, par la pression évolutive, parce que ça pouvait être intéressant d'avoir, dans un environnement changeant, cet équilibre entre exploration et exploitation.
Et là, on a les mécanismes neurobiologiques qui expliquent pourquoi ces comportements se mettent en place.
Je rappelle que dans ce circuit, il y a inhibition latérale, un rétrocontrôle positif, et surtout du bruit.
Et c'est ce bruit, cette imperfection dans la transmission des informations, qui permet au système de fonctionner, qui permet de continuer à explorer et de ne pas être complètement rationnel.
On a un substrat neurobiologique à cette sous-optimalité du choix.
Vous allez me dire que je viens de vous expliquer que chez les mammifères, il y avait un cortex qui gérait les comportements avec des caractéristiques particulières.
Alors pourquoi les mammifères continuent-ils à se comporter de cette façon-là puisqu'on peut reproduire ce comportement chez les humains ?
C'est ce qu'on va voir maintenant.
Tout d'abord, si on prend un cortex isolé, on va retrouver dans le cortex, ce qui est pas le cas du pallium, le cortex des vertébrés, qui ne sont pas des mammifères, chez les mammifères, on va retrouver une partie des caractéristiques intéressantes pour prendre une décision : l'inhibition latérale et le rétrocontrôle positif.
Il y a quasiment pas de bruit dans le cortex.
Il y a certaines zones du cortex où ça va pouvoir exister, mais il n'y a pas de possibilité d'apprentissage par renforcement car très peu de dopamine est libérée au niveau du cortex.
La majorité de la dopamine est libérée au niveau des structures sous-corticales.
Il y a dans le cortex des processus d'apprentissage hebbien.
Si deux neurones sont connectés et déchargent simultanément, les connexions entre eux vont être renforcées et la prochaine fois, la tendance à décharger simultanément va être renforcée.
Il y a des réseaux qui peuvent se créer comme ça.
Mais ils se créent simplement par simultanéité.
Qu'il y ait une récompense ou pas, ça n'a aucune conséquence pour le réseau.
Il faut qu'il y ait un système qui lui permette de se connecter au départ.
On va voir que c'est ce que semble faire le réseau sous-cortical.
Pour mettre ça en évidence, je vais vous montrer une expérience faite chez le primate.
C'est un peu comme un bandit manchot.
Les animaux doivent choisir sur un écran différentes cibles associées à des probabilités différentes de récompenses différentes.
Sauf que dans une session, il y a 2 types d'expériences.
Dans un cas, ils connaissent les cibles.
On est dans le cadre de la loterie.
Ils ont été entraînés et ils connaissent la valeur des cibles.
Ils savent qu'il y en a une qui est récompensée 3 fois sur 4 et l'autre, une fois sur 4.
Et dans l'autre cas, les cibles sont nouvelles à chaque session.
Au cours d'une session, ils vont devoir choisir entre des cibles qu'ils connaissent ou choisir entre de nouvelles cibles.
Je vous montre ici un exemple.
Ça, c'est la situation habituelle.
Là, vous avez l'écran et la bouche du singe.
Le singe est récompensé avec du jus d'orange qui lui est amené ici.
Il a des boutons sur lesquels il doit appuyer pour manifester son choix.
Pour choisir la cible du haut, il doit appuyer sur le bouton du haut.
Les cibles sont présentées dans des directions différentes.
Ici, la cible la plus intéressante, c'est le triangle.
Sur les 5 essais que je vous présente, l'animal va systématiquement choisir le triangle, montrant que dans le cadre où il connaît la cible depuis longtemps, il est dans un cadre habituel, il n'y a pas de surprise.
Son comportement est complètement optimum.
On va avancer un petit peu.
Si j'arrive à remettre ma main sur la souris.
Dans cette situation-là, c'est le même jour, la même session, mais on est dans une situation dans laquelle de nouvelles cibles sont présentées.
L'animal ne les a jamais vues.
Il va choisir aléatoirement.
Il va commencer par explorer et il va choisir une cible puis l'autre, et ainsi de suite.
Sur les 10, 15 premiers essais, il va choisir de façon aléatoire, et au fur et à mesure, il va apprendre.
On va avoir une courbe d'apprentissage.
On représente ici le nombre d'essais.
Vous avez en pointillés le comportement de l'animal pendant la session sur ces blocs où il doit choisir.
Progressivement, il apprend à choisir la cible la plus intéressante.
Vous avez en haut, en pointillés, en gris, les choix de l'animal quand les cibles sont celles qu'il connaît bien.
Vous voyez qu'il choisit la cible préférentiellement la plus intéressante.
Donc ce qu'on a fait sur ces animaux, c'est qu'avec des substances pharmacologiques, on peut bloquer l'interaction entre les noyaux gris centraux et le cortex.
Quand on fait ça, on obtient ces courbes-là, en plein.
Pour les cibles que l'animal connaît, il n'y a pas de changement.
Il choisit la cible la plus intéressante.
Mais pour les nouvelles cibles, il est incapable d'apprendre et il continue à choisir de façon aléatoire.
Donc on montre bien que l'intérêt du cortex chez les mammifères, c'est qu'il stocke les informations connues, il permet d'automatiser certains processus, mais pour les processus nouveaux, pour lesquels il faut apprendre de nouvelles informations, il est incapable de le faire tout seul.
Ce qui est intéressant, c'est que là, on bloquait la sortie, mais on ne bloquait pas ce qui se passait à l'intérieur des noyaux gris centraux.
Si on fait cette expérience sur 3 jours, je vous montre les réponses de l'animal pour les cibles nouvelles...
Le premier jour, il n'apprend pas.
Le deuxième jour, on se rend compte qu'il a retenu une partie des informations.
Il va avoir une courbe d'apprentissage, mais cette courbe d'apprentissage va commencer plus haut, significativement plus haut que la veille.
Il y a eu un apprentissage qui était caché, qu'il n'a pas pu mettre en pratique dans son comportement.
Le troisième jour, on va rebloquer la sortie de ces structures et maintenant, les informations sont stockées au niveau du cortex et l'animal est capable de choisir.
On est dans la même situation que dans des conditions habituelles.
On peut décortiquer la dynamique de l'apprentissage et montrer que dans les phases initiales, pour pouvoir apprendre, le cerveau a besoin des structures sous-corticales.
Mais une fois que le cortex a appris à gérer l'information, il n'a plus besoin des structures sous-corticales.
Les performances ne sont pas complètement optimum, les temps de réaction et tout ça sont différents.
Mais le principe est là.
Donc les contraintes fonctionnelles liées à l'architecture du réseau hérité des premiers vertébrés expliquent la suboptimalité des décisions.
On montre que le cortex permet d'automatiser certains processus.
Et l'intérêt, je vous le disais au début, c'est que ça permet de traiter l'information plus rapidement.
La charge cognitive est moins importante, une information traitée au niveau du cortex n'a pas besoin de repasser par le circuit sous-cortical.
Ça réduit le coût de consommation d'énergie par le cerveau.
On peut schématiser ça par ce petit dessin.
Les structures sous-corticales éduquent le cortex pendant l'apprentissage et le cortex peut décider tout seul une fois qu'il a appris.
Ça, vous me direz que c'est bien mais on est dans une situation assez simple où on a un stimulus et N options possibles.
Que se passe-t-il si on a un raisonnement plus complexe, séquentiel ou qui nécessite une mise dans un contexte ?
En fait, le deuxième aspect, c'est que ces structures, le cerveau a un fonctionnement modulaire.
Vous avez plusieurs modules qui interagissent entre eux mais qui fonctionnent avec la même architecture.
Là, on a mis en évidence ce circuit préfrontal qui évalue les options et qui choisit.
Mais si on rajoute le reste des structures corticales, on va avoir une chaîne qui se met en place avec une partie qui est située plutôt dans les parties basses du cortex et ventrales du système sous-cortical, le circuit cingulaire, qui interagit avec une structure importante, l'hippocampe, qui va gérer tout ce qui est processus de représentation de l'environnement, ce qu'on appelle la mémoire épisodique.
Cette structure va construire nos représentations mentales de l'environnement, va transmettre ces informations au circuit orbitofrontal qui projette le sujet dans cette représentation et lui permettre d'évaluer les options, ce qui vous permet de décider par anticipation, d'être capable de vous représenter ce qui va se passer si vous choisissez telle action.
On n'est plus dans le simple cas d'un système stimulus/réponse mais il y a une mise en contexte et la capacité à se projeter dans l'avenir.
Et enfin, on revient sur notre système initial, celui qui va in fine évaluer les options et choisir le comportement adéquat pour obtenir le but choisi.
À partir d'une expérience très simple, on peut décortiquer l'ensemble du réseau et mettre en évidence l'architecture de ce réseau qui fonctionne un peu en résonance, de façon fractale, les mêmes processus étant mis en œuvre à chaque niveau pour arriver à la décision.
Les mêmes processus vont construire cette représentation mentale, permettre de se projeter dans cette représentation et in fine de décider.
C'est le même type d'interaction avec, s'il y a quelque chose de nouveau à mettre en place, l'intervention des structures profondes.
Par contre, si c'est déjà sous forme de routine, le cortex va suffire pour fonctionner.
Ce qui veut dire que le développement du cortex et son organisation hiérarchique permettent d'augmenter le nombre et la diversité des processus, par rapport à la lamproie, qui répond à des stimuli, qui n'est pas capable de se représenter dans l'avenir.
Ça va augmenter les capacités cognitives, mais une fois que le système a appris, si on reste au niveau cortical, cette augmentation va pouvoir être faite sans augmenter de façon drastique le coût énergétique, une fois que l'apprentissage a été fait.
Mais le système est moins souple et va induire les fameuses heuristiques dont parlaient Kahneman et Tversky.
Ces heuristiques, ce sont des automatismes mentaux que tous les sujets font, qu'on fait tous, qui ont été décrits par Kahneman et d'autres, qui portent des noms un peu barbares, ici, j'ai une liste.
Je vais peut-être pas tous les passer en revue.
Vous avez les heuristiques de représentativité avec une mauvaise représentation des statistiques, une insensibilité à la taille de l'échantillon, de fausses conceptions du hasard.
On fera une expérience si on a le temps.
Des heuristiques de disponibilité avec un raisonnement par analogie et des corrélations illusoires.
L'ancrage est l'influence du point de référence.
Je vous montrerai une expérience dessus.
L'affect, des mauvaises intuitions liées à une connotation émotionnelle.
Une tendance à l'optimisme, aussi.
Il y a de très beaux travaux de Tali Sharot qui montrent que les sujets humains sont plus programmés pour l'optimisme que pour le pessimisme.
Je vous en montre quelques-unes pour pas que ce soit trop abstrait.
Comment c'est lié à ce que l'on sait du fonctionnement du système ?
Une partie de ces biais sont liés au fait que le cortex fonctionne en autonomie, se fie à ses habitudes mentales.
Parmi ces biais, la représentativité et la disponibilité.
Voici une expérience qui consiste à demander à des sujets d'évaluer la longueur de ces lignes.
Les sujets sont séparés en 3 groupes.
Le groupe témoin auquel on présente juste les lignes.
Un groupe pour lequel les lignes sont présentées avec des lettres associées.
La lettre A correspond aux lignes les plus courtes et la lettre B aux lignes les plus longues.
Une troisième condition dans laquelle on a autant de A et de B mais on met les A au début et les B à la fin.
Quand vous faites ce type d'expérience, vous vous rendez compte que dans cette condition-là, les sujets ont tendance à sous-estimer la variabilité intra-groupe, ils considèrent que les petites lignes sont plus proches les unes des autres que réellement, et à surestimer la différence entre les deux groupes.
Simplement en rajoutant une information pas relevante, l'association à des lettres, ça ne donne aucune véritable information sur la longueur des lignes, cette simple information supplémentaire modifie la perception des lignes des sujets.
Ça, c'est un exemple de biais de disponibilité.
Dans ces cas-là, le cortex, se fiant à sa capacité à faire des catégories, a tendance à catégoriser trop vite et ne permet pas d'estimer ces lignes à leur bonne valeur.
Une autre possibilité de biais.
J'aurai pas le temps de faire des exemples de représentativité.
Les autres types de biais peuvent être liés au fait que le système critique envoie des informations erronées au système acteur.
Là, pour vous donner un exemple, je vous donne un exemple d'ancrage, dans lequel c'est le point de référence qui va modifier la perception des choses, la capacité à décrire...
À faire un choix sur une question.
Les deux questions sont déconnectées.
Ces expériences ont été faites en Angleterre et consistent à demander aux sujets dans un premier temps d'écrire les 4 derniers chiffres de leur numéro de téléphone.
Ensuite, question complètement déconnectée, on leur demandait quelle était leur estimation du nombre de chirurgiens à Londres.
Les résultats sont que si les 4 derniers chiffres sont supérieurs à 7 000, la réponse moyenne est de 8 000.
Alors que si les 4 derniers chiffres sont inférieurs à 3 000, la réponse moyenne est de 4 000.
Simplement en demandant aux sujets d'écrire 4 chiffres, la valeur de ces 4 chiffres, complètement déconnectée en théorie, modifie la capacité à décider, à donner une valeur sur quelque chose qui n'a rien à voir.
C'est l'une des expériences princeps pour mettre en évidence l'effet d'ancrage, le fait qu'en donnant une référence qui n'est pas forcément intégrable, ce n'est pas du tout dans le même domaine, mais ça suffit pour modifier la perception, la capacité à évaluer quelque chose.
Si on veut conclure sur ce que je vous ai montré jusque-là, les limites de la rationalité sont intrinsèques aux propriétés de notre système nerveux, certaines d'entre elles.
La suboptimalité, cette incapacité à maximiser, découle de la part d'aléatoire nécessaire pour la mise en place d'un processus de décision.
C'est ce qu'on a vu avec ce petit réseau sous-cortical chez tous les vertébrés.
Les automatismes mentaux découlent du développement du cortex et entraînent des biais.
Ce que je trouve intéressant là-dedans, et à quoi je vous demande ensuite de réfléchir, c'est que ces constatations questionnent la rationalité en tant qu'avantage évolutif.
Être complètement rationnel, est-ce un avantage évolutif ou pas ?
J'ai pas la réponse mais c'est intéressant.
Ça permet aussi, le fait de connaître l'existence de ces biais et des mécanismes sous-jacents, permet non seulement d'en combattre les effets pervers quand ils peuvent exister, mais aussi d'en tirer parti.
C'est quelque chose qui se développe pas mal dans les pays anglo-saxons, le "nudge", c'est donner un coup de pouce.
Je vous donne quelques exemples.
Ces processus de "nudge" sont basés sur cette constatation des heuristiques et de la capacité à faire des biais.
Il y a un exemple qui nous touche directement.
Depuis janvier 2017, jusqu'à présent, on était donneurs d'organes si on avait une carte de donneur d'organes, et à partir de maintenant, c'est l'option par défaut.
Si vous ne dites pas que vous ne voulez pas donner vos organes, par défaut, vous êtes donneurs d'organes.
Ça vient des pays scandinaves où ils ont montré qu'il y a plus d'acceptation parce que ça demande moins de s'impliquer.
Demander une carte de donneur d'organes demande de s'imaginer avoir un accident, c'est un stress émotionnel.
Alors que dire : "J'ai pas besoin d'y penser et je serai donneur", c'est beaucoup plus facile à mettre en place et le taux d'acceptation est plus important.
Un autre exemple, je ne sais plus d'où il est pris, c'est l'escalier piano.
Là, vous avez un escalator d'un côté et un escalier piano.
Au départ, c'est un escalier normal.
90 % des gens qui passaient à cet endroit, dans une entreprise, je crois, prenaient l'escalator, et depuis qu'un escalier piano a été installé, les tendances se sont inversées.
90 % des gens marchent sur les marches piano simplement pour faire du bruit.
Ça force les gens à faire un peu plus d'exercice.
C'est assez intéressant.
Il y a un exemple qui me touche personnellement, celui du voyant de contrôle sur les voitures.
Pendant longtemps, ma voiture n'avait aucune estimation de la consommation moyenne d'essence.
J'avoue que ça m'était complètement égal.
Depuis, j'ai une voiture qui me donne ma consommation moyenne et je suis obsédé par ça.
Je fais toujours en sorte de rester en-dessous d'une certaine limite.
Je fais constamment attention à être sous un certain seuil.
Je baisse la ventilation, je diminue...
Alors que j'en avais rien à faire avant.
Je ne fais pas ça pour faire des économies, ça ne m'intéresse pas plus que ça, mais en fait, ça m'oblige à faire des économies et à moins polluer donc c'est pas mal.
Je pense que je suis pas le seul.
Ces voyants existent sur la plupart des modèles, maintenant, donc ça doit influencer plusieurs personnes.
Là, on voit pas très bien mais ce sont de faux ralentisseurs peints sur le sol et assez agressifs.
C'est une expérience qui a été menée aux États-Unis.
Ils remplaçaient un ancien dos d'âne qui ne faisait pas peur aux automobilistes.
Depuis que ces faux amortisseurs sont en place, les gens ralentissent beaucoup plus à cet endroit-là.
Voilà comment on peut pousser les gens à avoir des comportements plus rationnels.
En utilisant ces automatismes mentaux, cette imperfection de fonctionnement, on peut les amener à avoir des comportements plus rationnels ou plus sociaux.
Ça, ce sera ma dernière conclusion.
Donc les causes de certains biais sont directement liées aux contraintes du substrat depuis son origine phylogénétique.
Mais attention, tous les biais ne sont pas liés au substrat.
Certains d'entre eux sont liés au développement social et sont très probablement dépendants de la société, on parle de biais d'homogénéité, de conformation au groupe, etc., dans laquelle ils se sont mis en place.
Je voulais vous donner un exemple pour finir.
Celui du jeu de l'ultimatum.
C'est un jeu dans lequel on prend deux joueurs, on donne une certaine somme à un joueur, mettons 100 euros.
Ce joueur doit faire un ultimatum au deuxième joueur : "Sur 100 euros, je t'en donne tant."
Si le deuxième joueur accepte, les deux joueurs gardent l'argent.
S'il refuse, les deux joueurs perdent l'argent.
Dans nos sociétés, quand on fait ce test, le résultat standard, c'est que le taux d'acceptation est fonction de la valeur que donne le joueur A au joueur B.
Si cette valeur est trop faible, s'il ne donne que quelques euros et qu'il garde la majeure partie du magot, le joueur B refuse, principalement sous forme de punition, finalement.
C'est pas un comportement rationnel, il vaut mieux partir avec 3 euros que rien du tout.
Mais non, par opposition, parce que l'autre aurait pu donner plus, les sujets préfèrent punir l'autre joueur et y perdre.
Ils sont prêts à payer, d'une certaine façon, pour punir le joueur A.
Ce type d'expérience a tellement marqué que certains chercheurs en éthologie, notamment Frans Dewaal, ont cherché à reproduire cette expérience chez les macaques.
Il semblerait que dans certaines conditions, des macaques se comportent de la même façon.
Si jamais ils ne sont pas rétribués de façon équitable, ils punissent et refusent le gain.
Il y a cette idée que c'est une notion universelle et qui existe déjà chez les espèces...
Chez les autres primates.
Mais si vous faites cette expérience chez les Indiens d'Amazonie qui n'ont jamais eu d'économie monétaire ou chez les tribus de Bochimans dans le désert du Kalahari, leur taux d'acceptation est fixe.
Quelle que soit la somme donnée, ils acceptent quasiment toujours.
Ils sont probablement plus rationnels, il vaut mieux avoir quelques euros que rien.
Il faut faire attention, quand on veut généraliser, c'est quelque chose qui est en train de se développer.
Les réponses qu'on a en psychologie expérimentale chez l'homme correspondent...
C'est ce qu'un chercheur américain a appelé "WEIRD people", "weird", ça veut dire "bizarre", mais c'est pour "Occidentaux Éduqués Industrialisés Riches et de pays Démocratique".
Si vous n'êtes pas dans ce cadre, les réponses peuvent changer.
Il faut en tenir compte, il ne faut pas tout généraliser.
Tous les biais ne sont pas uniquement issus du substrat neurobiologique et le social aussi à son rôle.
Il ne faut pas négliger le rôle du social.
J'ai terminé.
Ça, c'est juste pour vous inviter à quelques lectures.
Il y a mon livre dans le lot, mais aussi d'autres livres intéressants, et ce n'est pas exhaustif, si le sujet vous intéresse.
Je vous remercie.
Modératrice.
-Monsieur Thomas Boraud, merci beaucoup.
Nous allons passer aux questions du public.
Il y a une règle à respecter : des questions courtes, et aussi pour vous, Monsieur Boraud, des réponses courtes.
Auditeur 1.
-Bonsoir.
Merci pour votre intervention.
J'aurais voulu savoir, par rapport au "nudge", si le sujet a conscience de ces biais, est-ce que cela atténue l'effet des biais ?
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Le "nudge", c'est une utilisation bienveillante des biais.
C'est plutôt les heuristiques.
Et pas forcément.
Ils peuvent avoir connaissance, ça modifie l'amplitude des comportements, parfois, mais ça ne modifie pas le comportement.
Il y a un exemple qui est intéressant pour ça, c'est celui sur l'optimisme dont je ne vous ai pas parlé.
L'expérience consiste à demander à des sujets, il y a eu plusieurs...
Je pense que le meilleur exemple, c'est celui-là.
Une expérience a été faite sur une population d'avocats londoniens spécialistes du droit de la famille.
Ils ont pris des gens qui se mariaient dans le mois qui suivait.
Ils leur ont demandé : "D'après vous, quelles sont les chances pour que vous divorciez dans les 10 ans ?"
Ils connaissent parfaitement le taux.
À Londres, c'est comme dans tous les pays industrialisés.
Dans les 10 ans, c'est entre 35 et 40 %.
Ils connaissent exactement les informations et tous sans exception ont répondu zéro.
Auditeur 2.
-Bonsoir, merci.
Est-ce que la connaissance de ces biais peut permettre à une collectivité d'individus de les faire disparaître ?
En échangeant l'information, en utilisant les capacités sociales.
Vous avez parlé du substrat neurobiologique et du social.
Est-ce qu'il y a un étage au-dessus qui permet de corriger ?
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Oui, certainement.
Mais la question est de savoir jusqu'à quel point c'est bénéfique ou pas.
Encore une fois, est-ce qu'il faut aller contre certains de ces biais ?
Mais c'est une question sociale à se poser.
Je pense que la vision qu'il faut avoir de comment ça fonctionne, c'est une vision un peu systémiste, c'est-à-dire que chaque système a des propriétés supérieures à toutes les propriétés individuelles de ce qui les constitue.
C'est pour ça qu'on peut pas résumer un individu simplement à la somme des comportements de ses neurones.
Je pense qu'une société, n'est pas la somme des comportements des individus, ça a des propriétés supérieures.
On peut les faire intervenir, et ça dépend du modèle de société qu'on veut.
Je n'ai pas de réponse courte là-dessus.
Mais une réponse, c'est oui.
Auditeur 2.
-Par exemple, chez les scientifiques.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Vous voulez faire quoi chez les scientifiques ?
Auditeur 2.
-La validation par la collectivité et pas par un individu.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-C'est la base de la démarche scientifique.
Ce n'est pas un biais, ça, parce que le scientifique ne cherche pas forcément à démontrer quelque chose de faux.
Auditeur 2.
-Il cherche à se prémunir contre les biais.
L'outil de la collectivité est aussi là pour ça.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Oui...
Mais il faut réfléchir, oui.
Enfin, c'est clair que la science n'avance que par la somme d'individus et pas par un individu tout seul.
Auditeur 3.
-Avec l'exemple sur les voyants de consommation, vous sous-entendiez que quand il y a un indicateur, on a tendance à se concentrer dessus.
J'imagine qu'on a moins tendance à se concentrer sur le reste donc ça veut dire que, par exemple, dans la démocratie, vu que les médias mettent le doigt sur certains sujets, les médias ont un très fort effet sur un biais qui est qu'on va avoir tendance à regarder ce qu'on nous montre au détriment du reste.
Si dans les médias, on va parler de tel ou tel sujet, notamment en ce moment dans le cadre de la campagne, on va se concentrer sur la thématique insécurité et compagnie.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
iq -C'est typiquement un effet d'ancrage, mais c'est à vous en tant que citoyen de multiplier les sources d'information pour ne pas vous laisser biaiser par une seule.
Mais c'est un effort à faire, c'est clair que ça nécessite un effort, de le faire.
Auditeur 3.
-Donc il y a un biais de démocratie, en fait.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Il y a un biais dans le fonctionnement de la démocratie.
C'est moins rationnel qu'on ne le pense, c'est beaucoup plus basé sur l'émotionnel.
Mais c'est soit ça...
Je veux paraphraser personne, mais c'est à la fois le plus mauvais et le meilleur système.
C'est sûr que ça en fait partie, mais c'est le rôle de tout le monde à la fois de diversifier les sources d'information, de pas se focaliser sur un seul type d'information, mais là, je n'ai pas la solution.
Heureusement.
Modératrice.
-Une des solutions, c'est de venir souvent aux conférences pour permettre d'ouvrir votre esprit au monde et à la réflexion.
Auditrice 1.
-Je voulais vous poser une question par rapport aux biais plus psychologiques et sociaux que vous avez rapidement évoqués.
J'ai en tête une vidéo qui m'avait beaucoup marquée, une expérience avec des comédiens qui ne se présentaient pas comme tels et des gens qu'on avait recrutés comme ça.
On leur demandait de répondre à des questions assez simples.
Au départ, les comédiens répondaient juste puis ils se mettaient à répondre des choses fausses.
Les personnes qui n'étaient pas comédiennes, les sujets de l'expérience, finissaient par s'aligner sur les réponses des autres personnes en sachant que c'étaient des réponses fausses, mais par conformité.
Visiblement, ils arrivaient à douter de leur propre perception.
Ça m'avait troublée, du point de vue de la rationalité, c'était complètement à l'opposé.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Ça fait partie des biais sociaux qui sont au-delà, qui sont liés à la structure sociale et probablement très variables en fonction des sociétés.
Ça marche chez les "WEIRD people" mais peut-être pas dans d'autres sociétés.
Ou ça marche mieux.
En Corée du Nord, ça doit bien fonctionner.
J'y vois rien, je peux pas vous dire s'il y a quelqu'un.
Modératrice.
-Il y a quelqu'un qui est vraiment passionné par votre...
Vous allez le reconnaître, passionné par votre sujet.
Auditeur 2.
-Vous avez parlé du bruit.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Vous voulez en savoir plus ?
Auditeur 2.
-Oui, à tous les échelons.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Il y a plusieurs mécanismes dans la transmission de l'information.
Toute l'information dans le système nerveux est transportée dans le neurone, la structure élémentaire, par des impulsions électriques qui sont transmises d'un neurone à l'autre par des synapses chimiques.
À toutes ces étapes, il peut y avoir du bruit, c'est-à-dire que l'information ne va pas être transmise complètement ou pas exactement de la même façon à chaque fois.
Ça peut être au niveau synaptique mais aussi au niveau de la transmission du potentiel axiome.
C'est plutôt au niveau synaptique que le bruit se fait.
Il est lié à un tas de processus qui sont aléatoires, c'est simplement des processus statistiques.
C'est des probabilités de décharge, de libération de molécules, c'est pas toujours la même quantité qui est libérée.
Il y a des toutes petites variations.
Il y a pas mal de travaux théoriques qui montrent que vous avez un système en équilibre avec à la fois de l'inhibition latérale et un rétrocontrôle positif, il suffit d'une petite variation pour que ça bascule.
Il n'y a pas besoin d'une intensité de bruit importante pour ça mais même s'il y a beaucoup de bruit, on va conserver cette propriété.
C'est un système à la fois sensible et très robuste.
J'ai répondu à votre question ?
Auditeur 2.
-Oui, et comment on extrapole ça aux systèmes plus complexes ?
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Il persiste dans les systèmes plus complexes.
Il y a quelque chose d'intéressant.
Pour caractériser et travailler sur ces structures, on enregistre ces structures avec des électrodes.
Pendant longtemps, les gens qui travaillaient sur le cortex disaient que ceux qui travaillaient sur les structures profondes travaillaient comme des cochons parce que les résultats étaient moins productibles que ce qui se passait au niveau du cortex.
C'est parce que ces structures ont tendance à être plus bruitées, à avoir une homogénéité de réponse beaucoup plus faible intrinsèquement qui permet à ces processus de bascule dans une situation ou dans l'autre de se mettre en place.
Auditeur 2.
-Je comprends pas si pour vous c'est un avantage ou un inconvénient.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-C'est indispensable.
Sans bruit, vous n'avez pas de décision au départ.
À partir du moment où une entité dotée d'un système nerveux est confrontée à un environnement, s'il n'y a pas de bruit, elle va toujours répondre de la même façon et il n'y aura aucune adaptation possible.
Donc ce bruit est absolument nécessaire, c'est indispensable.
Et il était là avant.
Le cortex, qui est quelque chose de beaucoup plus constant, est apparu beaucoup plus tard dans l'évolution.
Il a des propriétés intéressantes parce qu'il permet cette automatisation, mais s'il faut s'adapter, ça ne suffira pas.
Il faut garder ce bruit pour pouvoir continuer à s'adapter donc c'est indispensable.
Auditeur 2.
-Même si ça va à l'encontre de la mémorisation ?
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Dans la mesure où elle se fait ailleurs, oui.
Mais c'est pour ça que les deux systèmes existent.
Auditrice 2.
-Merci.
Pour autant, quand on a une décision à prendre, c'est pas seulement noir ou blanc.
Là, vous parlez de décisionnel entre A et B.
Il y a des décisionnels qui sont à prendre dans la vie qui ne sont pas A ou B.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-C'est pour ça que nous, quand on travaille...
Parce que c'est compliqué de tester ça expérimentalement, on peut pas tester quelque chose sans connaître l'ensemble des réponses.
En sciences expérimentales, on travaille par répétition.
Si on a un résultat une seule fois, c'est pas un résultat mais un hasard.
Il faut avoir le même résultat plusieurs fois.
On est obligés de définir des réponses si on ne donne pas des pistes.
C'est difficile à tester expérimentalement.
Par contre, ce qui est sûr, c'est que dans la plupart des cas dans ce type de réflexion, c'est notre capacité à nous projeter dans l'avenir qui n'est pas suffisante.
Ça rejoint la notion de rationalité limitée de Simon.
Dans beaucoup de circonstances, on fait des choix sans réellement savoir quelles vont être les conséquences.
Si je reprends la représentation que je vous avais faite tout à l'heure, on est dans ce domaine-là.
Avec des expériences simples comme on fait, il y a des choses beaucoup plus difficiles à atteindre.
C'est de l'extrapolation, là, ce n'est plus de la science.
On extrapole que c'est lié à cette difficulté de se représenter l'ensemble des possibilités parce qu'il y en a trop, et de se projeter dans toutes ces possibilités en fonction des conséquences.
Quand l'arbre est trop large, on n'est pas capables de scanner l'ensemble des décisions.
L'ensemble des conséquences des décisions, plus exactement.
Auditrice 2.
-L'embêtant du noir ou blanc, c'est qu'on est dans un système numérique.
Vous comprenez ?
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Oui, mais votre cerveau, au départ, il a un fonctionnement numérique.
Le fonctionnement de base.
Après, comme il est constitué de plusieurs milliers de cellules, des propriétés émergent qui ne sont pas numériques, mais le fonctionnement unitaire, c'est blanc ou noir.
Il y a ou pas une information qui passe.
Auditrice 2.
-D'où l'intérêt du bruit, alors.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Le bruit va faire basculer le système à droite ou à gauche mais il fera pas dans le gris parce que ce sont des systèmes dynamiques.
Je pense que c'est un problème de représentation, ce que vous dites.
Expérimentalement, je ne peux pas tester quelque chose dont je ne connais pas les conséquences.
Donc je pense que je peux extrapoler ce type de comportement à partir de ce que j'observe mais je ne pourrai qu'extrapoler, je ne pourrai pas le tester.
Auditeur 2.
-Que vous apprennent les recherches en intelligence artificielle ?
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Il faut demander ça aux gens qui font de l'intelligence artificielle.
Ce qu'on fait, ça touche en partie l'intelligence artificielle, et notamment, ils utilisent les algorithmes qu'on utilise et vice versa.
Mais...
Oui, on dialogue entre nous, en fait.
On interagit.
Je collabore avec des gens qui font de l'intelligence artificielle.
Ce qu'on appelle intelligence artificielle est très vaste.
Je m'intéresse au côté apprentissage par renforcement et décision.
La reconnaissance de forme, une partie gigantesque de l'intelligence artificielle, ce n'est pas mon domaine.
On interagit avec une partie des gens qui font de l'intelligence artificielle et ils utilisent une partie de nos résultats pour implémenter des systèmes qui s'adaptent mieux.
Certaines pistes sur lesquelles ils étaient partis, en mettant du bruit à l'intérieur, ça marche mieux.
Modératrice.
-J'en profite pour donner à Monsieur le programme du prochain colloque : "Vers de nouvelles humanités".
J'avais vu...
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-J'y vois rien mais je vous fais confiance.
Auditeur 4.
-Avez-vous une explication pour l'effet tunnel, la polarisation de l'esprit sur un facteur unique au détriment de tous les autres, quels que soient l'environnement et les influences extérieures, pour prendre une décision ?
Thomas Boraud, neurobiologiste.
e -C'est une forme d'heuristique, l'effet tunnel.
Il y a plusieurs explications pour ça mais c'est une forme d'automatisme mental.
Ça peut être : ça fonctionnait jusqu'à présent je continue à m'occuper que de cette partie-là sans chercher à savoir ce qui se passe ailleurs.
Il y a plusieurs mécanismes derrière.
Qu'est-ce que ça touche comme partie du cerveau, quels processus sont mis en place ?
Je ne pourrais pas répondre exactement.
Je n'ai pas une réponse très claire mais c'est une des heuristiques.
Je pense que c'est un automatisme mental donc un processus cortical.
D'une certaine façon, le cortex ne dialogue plus assez, dans ces cas-là, avec les structures sous-corticales ou avec les autres aires.
Auditeur 4.
-Une sorte de résidu de ce qu'on a appelé le cerveau primaire, le cerveau reptilien.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Je suis très content que vous abordiez le sujet parce que cette vision du cerveau qu'on a maintenant, c'est exactement l'opposé du cerveau triunique qui date des années 1960 que Carl Sagan a popularisé, etc.
Pour ceux qui ne savent pas, le cerveau triunique, c'était qu'il y a un cerveau reptilien qui serait celui qui apparaît chez les reptiles et qui gérerait l'automatisme et les émotions basiques.
Je ne me souviens plus de ce qu'était le deuxième cerveau.
Et par-dessus, il y a le néocortex, qui est l'intelligence, etc.
Depuis toujours, les gens qui travaillent en phylogénétique ont dit : "C'est n'importe quoi."
En éthologie, on sait que c'est n'importe quoi parce qu'il y a des automatismes médullaires chez les reptiles, les batraciens, etc., mais il y a très peu d'automatismes corticaux.
Les structures corticales sont constamment en train de mettre en place des processus d'adaptation.
Et les automatismes, on les retrouve au niveau cortical chez les mammifères, justement.
Ça renverse complètement la vision.
Dans notre vision, dans la vision actuelle du système, il y a controverse mais je ne suis pas le seul à défendre cette vision, les automatismes sont corticaux.
Ils ne sont pas dans les structures sous-corticales, ce qui fait du sens : l'interface se fait au niveau du cortex.
Le cortex reçoit la plupart des informations de l'environnement et renvoie les informations vers le moteur du comportement, qui sont les muscles.
Donc on a...
Auditrice 3.
-Bonjour.
Merci de votre présentation.
On a assez peu parlé de l'implication des émotions dans les prises de décision.
Je m'intéressais particulièrement au processus intuitif.
Comment s'insère-t-il dans les prises de décision ?
Comment naît-il, quel est le substrat neuronal de l'intuition ?
C'est peut-être une vaste question.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-C'est une vaste question avec plusieurs niveaux de réponse.
Ça va être compliqué de donner une réponse.
Tout d'abord, il n'y a pas de décisions qui ne soient pas basées sur un système de valence donc sur une émotion.
Vous ne pouvez pas évaluer une valence si vous ne donnez pas une couleur émotionnelle à vos choix.
Elles sont indispensables.
Ce que je vous ai raconté sur la dopamine, c'est plutôt lié aux récompenses qui peuvent être de tout ordre, mais c'est déjà un système de valeurs.
Toute décision est forcément basée sur une émotion et donc sur un système de valeurs.
C'est indispensable, intrinsèquement lié.
La décision froide, sans émotion, ça n'existe pas.
C'est le premier point.
Et le deuxième aspect, c'était l'intuition.
En fait, je n'ai pas de définition opérationnelle de l'intuition donc je ne peux pas la tester expérimentalement.
Mais peut-être que ce qui s'en rapproche le plus, c'est les travaux qui sont faits sur les comportements subliminaux.
Il y a certaines équipes qui ont fait exactement le même type d'expériences que celle des bandits manchots.
Sauf que les cibles n'étaient pas présentées suffisamment longtemps pour que ça atteigne le niveau de conscience.
Mais les sujets étaient capables d'apprendre.
Ils choisissaient l'option la plus intéressante alors qu'eux-mêmes n'avaient pas conscience de...
Ils disaient avoir choisi au hasard.
Donc en fait, je pense que c'est ce qu'on peut faire de plus près d'une définition opérationnelle de l'intuition et ça montre que les processus qui gèrent des décisions non-conscientes sont les mêmes.
Parce qu'en plus, il y a un travail derrière d'imagerie fonctionnelle et de pharmacologie qui montre que les mêmes circuits sont à l'œuvre.
Ces processus sont les mêmes et l'émergence à la conscience d'une décision, c'est peut-être la partie émergée de l'iceberg de l'ensemble des décisions qui se prennent au cours d'une journée.
Dans votre journée, vous prenez peu de décisions conscientes.
La plupart du temps, votre comportement est géré soit par les contraintes de votre vie socioprofessionnelle, soit par des automatismes, soit vous prenez des décisions complètement inconscientes.
Le nombre de décisions conscientes qu'on prend est assez faible.
Il y a une main qui se lève.
Auditrice 4.
-Je serai peut-être hors-sujet mais on verra bien.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Je suis hors sujet depuis le début.
Auditrice 4.
-Par rapport à la schizophrénie, quand on les voit rongés par leurs émotions, comment se fait-il qu'ils aient du mal avec l'action ?
La plupart disent : "Je ne peux pas agir, je ne peux pas démarrer, mon émotion est trop forte", ils sont dans l'angoisse constante.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Je suis pas spécialiste de la schizophrénie du tout.
Mais ce que je sais, par contre, c'est discuté, mais par exemple, les neuroleptiques qui sont le traitement de la schizophrénie, c'est des antagonistes dopaminergiques, des molécules qui vont bloquer l'effet du système de récompenses.
Effectivement, il y a peut-être un dysfonctionnement à ce niveau-là, même si ça n'a toujours pas été objectivé.
Plein de travaux ont été faits sur l'expression de certains récepteurs, plus ou moins exprimés dans certaines zones.
Les résultats sont contradictoires et ça ne tient pas vraiment la route.
C'est la même chose pour les enfants hyperactifs.
Il y a un tas de pathologies où on a cherché à montrer des prédispositions génétiques, etc., mais finalement, les résultats qui semblaient acquis ont été démentis donc on n'a pas grand-chose.
Mais c'est sûr que les neuroleptiques calment les schizophrènes.
Ils ont moins de phases productives, etc.
Et ça bloque les récepteurs dopaminergiques.
Il se passe quelque chose au niveau de l'interface entre le critique, celui qui informe sur les conséquences des choix, et l'acteur, celui qui choisit.
Auditrice 4.
-Un petit peu comme dans la mélancolie.
Ils peuvent rester 2 ou 3 mois vraiment...
C'est autre chose que de la schizophrénie mais les mélancoliques peuvent rester 3 mois dans un lit et tout d'un coup, ils peuvent bondir et être productifs au niveau cérébral et au niveau créatif.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-On touche au système dopaminergique puisque certains antidépresseurs ont des effets dopaminergiques.
La sérotonine, la plupart des antidépresseurs, le Prozac, etc., sont des molécules sérotoninergiques.
Ce système interagit aussi avec le système dopaminergique donc il se passe des choses, au niveau moléculaire, là, mais on n'a pas encore une connaissance assez précise.
On sait qu'il se passe des choses par là, ça a quelque chose à voir avec ces systèmes-là, mais pas de façon précise.
Ça touche ces systèmes-là.
Auditrice 4.
-Le dosage est important, à une époque, ils en donnaient un peu plus, maintenant, ils réduisent.
C'est difficile à ajuster.
Mais on sait qu'il y a du bon.
Il y a un côté efficace quand même.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Le lithium, pourquoi ça fonctionne...
Auditrice 4.
-Pour les bipolaires, c'est pas mal.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Mais on ne sait pas pourquoi.
Oui, j'ai vu.
Auditeur 5.
-Peut-être que c'est taquin, je sais pas, on verra.
Est-ce qu'on pourrait affirmer qu'on prend des décisions uniquement quand elles vont dans notre intérêt ?
Et on pourrait dire qu'elles ne sont pas totalement rationnelles puisqu'elles sont influencées soit par les biais, les heuristiques, soit par les émotions.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-De toute façon, oui...
Elles ne sont pas complètement rationnelles, on le sait maintenant.
Ça a été montré par les psychologues expérimentaux, par les économistes et maintenant par les neurobiologistes.
On sait que c'est pas rationnel.
On sait que c'est constamment "drivé" par les émotions.
Si vous considérez que la rationalité, c'est d'augmenter vos gains, vous augmentez vos gains parce que ça vous plaît.
Si vous vous en foutez, ça ne vous intéressera pas.
Donc il y a déjà une notion de valence.
L'émotion est présente.
Elles sont systématiquement "drivées", y compris quand elles sont rationnelles...
La rationalité en elle-même pourrait être définie comme une émotion, d'une certaine façon.
Et en plus, il y a l'aspect aléatoire.
Cet aspect est tempéré chez les mammifères et chez l'homme parce que le cortex automatise un certain nombre de choses et nous permet de nous projeter dans l'avenir.
Mais même là-dessus, on n'a pas toujours une vision très claire.
Du coup, in fine, on dit : "Je fais ça parce que j'y vais un peu au hasard."
Il y a pas mal d'expériences de psychologie qui montrent que si on fait faire une tâche un peu complexe à des sujets et qu'à la fin, on leur demande la stratégie utilisée, ce qu'ils disent ne correspond pas à ce qu'ils ont réellement fait.
Même la représentation qu'on se fait soi-même de la décision qu'on a prise est biaisée.
Modératrice.
-Nous allons prendre les deux dernières questions des mains qui se lèvent.
Auditrice 5.
-Bonjour, c'est très simple.
On parlait dans l'ancien temps de cerveau gauche, cerveau droit.
Vous faites encore cette distinction ?
Le droit, c'est celui des émotions, c'était ce que l'on disait.
Est-ce qu'on en parle encore ?
Et deuxième chose du passé, j'avais été marquée par le film de Laborit qui faisait l'éloge de la fuite.
Ça existe, des gens qui ne prennent jamais de décision ?
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Alors, première question.
Il y a une spécialisation fonctionnelle, l'aire de Broca est plutôt à gauche chez la plupart des gens.
Il y a une latéralisation des fonctions cérébrales.
Mais par contre, on ne peut pas généraliser en disant qu'il y a un cerveau droit rationnel et un cerveau gauche artistique ou je ne sais plus trop.
Voilà, émotionnel.
Ça, c'est une surinterprétation d'une ségrégation fonctionnelle de certaines zones cérébrales.
On ne peut pas non plus parler de personnes dominées par le cerveau droit ou le cerveau gauche.
Il y a des travaux d'imagerie fonctionnelle où ils se sont amusés à le mettre en évidence et les gens utilisent leurs deux lobes.
Par contre, pour parler, vous activez plutôt celui qui va être important, le gauche.
Mais même si vous activez le gauche, le droit va fonctionner mais le gauche va "driver".
Si vous avez une lésion cérébrale à ce niveau-là, vous êtes aphasique pendant un certain temps.
Cette ségrégation fonctionnelle, spécialisation, existe mais il ne faut pas la généraliser.
Et la deuxième question, "est-ce qu'il y a des gens qui ne prennent jamais de décisions ?"
Je pourrais donner un exemple politique...
Il y a une pathologie qui est assez intéressante et assez rare, qui s'appelle...
Je ne me souviens plus de son nom.
Aphasie de Dubois ou je ne sais plus qui.
J'espère qu'ils m'entendront pas parce qu'ils vont me tuer.
C'est des lésions des structures sous-corticales, la structure dont je vous parlais tout à l'heure qu'on inhibait chez les sujets, qui continuaient à faire fonctionner leur cortex et le déconnectaient du fonctionnement des structures sous-cérébrales.
Chez des gens qui ont des lésions dans cette zone-là suite à des accidents vasculaires cérébraux, il y a une incapacité à prendre des décisions.
Mais vraiment une véritable incapacité.
Si on ne leur dit pas quoi faire, ils restent assis.
On le retrouve chez certains patients atteints de la maladie de Parkinson où on touche ces circuits-là.
Il y a une difficulté dans la genèse...
Il y a moins de prises de décision et une tendance à se laisser aller plus facilement, surtout quand les médicaments sont absents.
Modératrice.
-Madame, vous avez posé une question qui m'intéressait également.
Je suis un petit peu déçue.
Parce qu'effectivement, des fois, on ne sait pas pourquoi, on est incapables de prendre des décisions.
Auditeur 6.
-Peut-être que ma question répondra éventuellement pour qu'elle comprenne pourquoi.
Je voulais poser une question, dans votre modélisation du système de compréhension, est-ce que l'inconscient, les lapsus, les actes manqués jouent un rôle, ça existe ?
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-L'une des raisons pour lesquelles je travaille sur l'animal, c'est que je ne m'embête pas avec ces questions et ça simplifie.
Non, je plaisante, mais encore une fois, quand on atteint des niveaux de représentation très complexes...
Auditeur 6.
-Je vous pose cette question parce que vous parlez des biais sociaux ou environnementaux.
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Ils existent.
Je ne travaille pas dessus.
Je peux extrapoler, éventuellement.
Auditeur 6.
-L'inconscient ne fait pas partie...
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Je ne travaille pas sur la conscience.
Je peux difficilement, ne travaillant pas sur la conscience, commencer à parler de l'inconscient.
En plus, il va falloir décider si on est dans un cadre lacanien, freudien.
Et opérationnaliser sur le plan expérimental, ça va être encore plus compliqué.
Encore une fois, le seul niveau de réponse, qui est un tout petit niveau de réponse de neurobiologie, je ne vais entrer ni dans la psychanalyse ni dans la psychiatrie, c'est qu'on utilise les mêmes circuits pour des raisonnements conscients et des raisonnements inconscients.
Enfin, on utilise les mêmes processus.
Après, c'est des circuits différents, excusez-moi.
Il faut faire interagir des boucles corticales, des boucles sous-corticales.
Il faut qu'il y ait un système acteur, qu'il y ait un critique, il faut que tous ces systèmes interagissent, que l'on prenne des décisions conscientes ou inconscientes.
Après, quelle est l'amplitude des réseaux impliqués ?
Plus la décision est consciente, plus ça va faire intervenir un réseau complexe, quasiment l'ensemble des boucles cortico sous-corticales.
On va faire fonctionner tout le cortex frontal et toutes les structures sous-corticales.
Si on fait quelque chose de moteur, seulement une toute petite partie.
Je ne pourrais pas aller plus loin, je pourrais extrapoler, on pourrait discuter toute la nuit là-dessus, mais ce ne sera pas une réponse de scientifique, ce sera autre chose.
Donc les lapsus, je n'ai pas de réponse là-dessus.
Si ce n'est que j'en fais souvent.
Modératrice.
-Merci.
Je peux vous prévenir que M. Boraud est toute la nuit à Paris, donc il y a pas de souci.
Pour discuter, il y a pas de souci.
Moi, je rentre chez moi.
Alors voilà, peut-être une dernière question.
Je fais un peu de favoritisme.
Là, nous avons une personne très fidèle.
Devenez fidèles si vous voulez qu'on vous passe plus souvent le micro.
Auditeur 7.
-Ce sera une question très rapide.
Ce qu'on appelle en général un réflexe, est-ce que c'est aussi une décision ou pas ?
Thomas Boraud, neurobiologiste.
-Ça dépend du type de réflexe.
Il y a plusieurs processus, ça peut être des réflexes qui se passent uniquement au niveau médullaire et c'est le système qui se met en place très tôt à la fois dans l'évolution et dans le développement de l'individu.
D'une certaine façon, c'est une décision, mais très reproductible.
On peut parler de réflexes pour des choses qui font intervenir les structures corticales et donc plutôt le cortex.
Et là, il y a une décision qui se prend, aussi.
On parle plus d'automatisme mental que de réflexe.
Quand on parle de réflexe en neurobiologie, c'est des systèmes médullaires qui se mettent en place quasiment de façon identique chez tous les individus.
La définition neurobiologique du réflexe, c'est plutôt ça.
Il y a de "bons réflexes", dans le langage courant.
Mais c'est plus des automatismes mentaux qui pour le coup dépendent de ces interactions cortico sous-corticales, qui sont de l'ordre de la décision, mais de la décision automatique.
Modératrice.
-Merci, M. Thomas Boraud.
Merci à tous.

Quand la pensée magique s’impose

Il peut être rassurant d’expliquer le réel par des causes irrationnelles. Cette pensée magique, universelle, omniprésente, guide parfois nos pas sans que nous en ayons conscience. D’où vient-elle ? Comment agit-elle ? Bien comprendre la pensée magique est aujourd’hui plus que jamais nécessaire.

Avec Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences, conseiller scientifique auprès du CEA de Grenoble

"Cité des sciences et de l'industrie"
Les conférences
"Le cerveau, entre raison et émotion"
Mardi 7 mars 19h00
"Quand la pensée magique s'impose"
Avec Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences, conseiller scientifique auprès du CEA de Grenoble.

Avec le soutien de Pour la science

Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences, conseiller scientifique auprès du CEA de Grenoble.
-Bonsoir à tous et à toutes et merci beaucoup d'être là.
Et merci à la Cité des Sciences et à Nedjma de m'avoir invitée et proposé ce sujet.
J'aurais pris l'avion pour venir pour une thématique pareille.
Donc, quand Nedjma m'a dit qu'on me proposait de parler de la pensée magique, j'ai sauté sur l'occasion d'en parler avec vous parce que la pensée magique, c'est quelque chose qui nous laisse souvent très perplexes.
Nous l'avons tous, nous la vivons tous.
Et parfois, nous la vivons avec un petit rire jaune.
Parfois, nous la vivons avec beaucoup d'inquiétude.
Et c'est de cela que je voudrais vous parler.
Je vais faire un exposé passablement austère.
Je ne vais pas vous raconter des contes de fées.
Je ne vais pas vous montrer des images de sorcellerie, de vaudou, etc.
Je vais essayer de focaliser sur les concepts.
Donc, le PowerPoint que j'ai fait, tout aussi austère que ma conférence, sera juste une aide à la conceptualisation.
En fait, comme je vous le disais, elle n'est pas conceptualisable, la pensée magique, car c'est la pensée spontanée, sans réflexion, celle qui nous arrive avec des émotions parfois extrêmement fortes, extrêmement violentes aussi.
Donc, pouvoir la cerner dans une définition simple, comme on cerne un triangle ou un cercle dans une définition simple en mathématiques, c'est pratiquement impossible.
Donc, on va essayer de faire tout un parcours : Comment les gens la ressentent ?
Qui l'a découverte ?
Comment peut-on montrer d'où elle vient et comment elle fonctionne ?
Et je répondrai à vos questions.
Surtout, j'échangerai avec vous parce que je suis à votre niveau et vous êtes au mien, pour ce qui concerne la pensée magique.
On est tous égaux.
Petite précision : Il n'est pas sûr que j'aille jusqu'à l'heure.
Donc, quand j'aurai terminé, la porte des questions sera ouverte et j'en discuterai avec vous aussi longtemps que vous le souhaiterez.
Déjà, je vous ai alertés sur le fait que ça ne va pas être simple.
Ce n'est pas que ce n'est pas simple parce que c'est compliqué.
Ce n'est pas simple parce que c'est confus.
Ce n'est pas la même chose.
Ça peut être compliqué.
Il y a des domaines de la science ou de la philosophie, qui sont effroyablement compliqués ou complexes.
Ce n'est pas ça, la pensée magique.
La pensée magique, c'est une espèce de fantôme, une entité indéfinissable, qui nous envahit tous à des occasions, qui nous quitte à d'autres occasions.
Donc, pour pouvoir la maîtriser, on ne peut l'attraper que par bribes.
Celui ou celle d'entre vous qui, à la fin de ma présentation, pourra faire un schéma complet, je l'attends avec plaisir.
Je vais commencer par...
Comment certains ont défini la pensée magique, en disant : "C'est de la pensée magique qu'on sort."
En d'autres termes, la pensée magique est à un niveau, et quand vous réfléchissez 2 secondes, ou 2 heures ou 3 jours, vous sortez de la pensée magique.
C'est comme si la pensée magique était entropique, en quelque sorte.
C'est le niveau zéro de la pensée, si j'ose dire.
Ce n'est pas une non-pensée.
C'est une pensée, mais elle est à un degré de spontanéité tel qu'on tombe dans la pensée magique.
Quand je dis "on tombe", ce n'est pas une insulte.
N'importe qui d'entre nous tombe tout le temps dans la pensée magique.
Du coup, j'ai pris quelques éléments chez des personnes qui disent que la pensée magique, c'est "ce dont on sort", et comme j'aime beaucoup Daniel Pennac...
Autant que je fasse le plan, quand même, avant.
Je vais commencer par définir, dans la mesure du possible, la pensée magique.
Ensuite, je ferai quelques précisions sur le positionnement que je tiens par rapport à cette pensée, parce que comme nous sommes tous dans la pensée magique, je ne veux pas que l'on se sente mal à l'aise avec elle ou avec le fait de la commenter ou de la critiquer.
Ensuite, je ferai une introduction à l'anthropologie, puisque ce sont les anthropologues du XIXe siècle, en gros, depuis 1850 jusqu'à Claude Lévi-Strauss, jusqu'aux années 1950, qui ont découvert, médusés, l'existence de la pensée magique et qui ont essayé de la décrire.
Eux, les pauvres, étant anthropologues, ils se considèrent comme scientifiques, donc ils ont essayé de la décrire avec autant d'objectivité, de neutralité possible.
Mais aussi avec l'énorme surprise de voir qu'ils rencontraient des gens qui ne pensaient pas comme l'homme rationnel occidental de la fin du XIXe siècle.
Il y a un ordinateur qui me bouche la vue par rapport à vous, ici.
Je vais zigzaguer.
Ensuite, je parlerai des modes de fonctionnement de la pensée magique.
Ça va être le cœur du sujet.
J'ai fait un maximum d'efforts pour essayer de faire une liste de ce qu'on pourrait appeler "les mécanismes", "la manière dont la pensée magique fonctionne".
Je traiterai de la pensée magique chez l'enfant, car elle est chez l'enfant aussi.
On a tous été des enfants.
Ensuite, je ferai une petite conclusion prémonitoire et assez pessimiste.
Je vais essayer de faire un peu d'humour pour alléger le côté obscur de tout cela.
La définition de la pensée magique...
je vais commencer par celui qui dit qu'il faut en sortir, et comme il dit dès l'enfance, j'ai pensé que c'était intéressant de vous livrer sa pensée.
C'est Daniel Pennac, qui dit ceci : "C'est peut-être cela, enseigner : en finir avec la pensée magique, faire en sorte que chaque cours sonne l'heure du réveil."
C'est quoi, le réveil dont l'heure est supposée sonner ?
C'est le réveil à la prise de conscience, bien évidemment.
Ce n'est pas l'instruction, l'information.
Ce n'est pas 2 plus 2 égale 4.
Ce n'est pas les capitales des pays du monde.
C'est le réveil au fait que je suis un être humain, individu, sujet autonome, et que la parole du professeur est là pour m'aider à prendre conscience des choses et non pas à me remplir le cerveau ou bien à m'influencer par son autorité.
J'ai trouvé cela très intéressant parce que, vous le savez, Pennac a été enseignant pendant très longtemps, il l'est peut-être toujours, d'ailleurs, et cette idée d'être vigilant sur la pensée magique à l'école, je l'ai trouvée importante.
La plus célèbre évocation de la pensée magique, c'est celle de Max Weber.
Dans "Le Savant et le politique", Max Weber parle du "désenchantement du monde" par la science et la technologie, c'est-à-dire la sortie de la pensée magique en raison des sciences et des technologies.
Le mot "désenchantement du monde" ne vient pas de Weber, mais d'un autre philosophe allemand, je ne sais plus lequel.
Je voudrais que nous lisions ensemble attentivement ce que Max Weber dit.
Dans mes cours sur la pensée magique, en général, je commence avec ça.
"L'intellectualisation et la rationalisation croissantes ne signifient donc nullement une connaissance générale croissante des conditions dans lesquelles nous vivons.
Elles signifient bien plutôt que nous savons ou que nous croyons qu'à chaque instant, nous pourrions, pourvu seulement que nous le voulions, nous prouver qu'il n'existe en principe aucune puissance mystérieuse et imprévisible qui interfère dans le cours de la vie."
"Puissance mystérieuse et imprévisible", c'est la pensée magique.
"Bref, que nous pouvons maîtriser toute chose par la prévision.
Mais cela revient à désenchanter le monde."
Le mot "enchantement", comme dans "Merlin l'enchanteur", ne signifie pas l'émerveillement devant la beauté des choses.
Il signifie, au contraire, la prise de pouvoir des forces surnaturelles, des forces mystérieuses.
Un lieu enchanté est un lieu habité par des entités que nous ne maîtrisons pas.
"Il ne s'agit plus pour nous, comme pour le sauvage qui croit à l'existence de cette puissance, de faire appel à des moyens magiques, en vue de maîtriser les esprits ou de les implorer, mais de recourir à la technique et à la prévision."
Avant le paragraphe que je vous ai cité, je suis repartie en arrière, deux paragraphes au-dessus.
Il prend l'exemple du tramway, très intéressant, surtout quand on en parle à des étudiants en sciences et en technologie, car il parle du tramway de Vienne, il y a un siècle.
"Celui d'entre nous qui prend le tramway n'a aucune notion du mécanisme qui permet à la voiture de se mettre en marche, à moins d'être un physicien de métier.
Nous n'avons d'ailleurs pas besoin de le savoir.
Il suffit de pouvoir compter sur le tramway et d'orienter en conséquence notre comportement, mais nous ne savons pas comment on construit une telle machine en état de rouler."
Autrement dit, si elle tombe en panne, on va chercher l'ingénieur.
On ne va pas implorer les puissances surnaturelles.
Il continue : "Le sauvage, au contraire, connaît incomparablement mieux ses outils."
Je suis violemment en désaccord sur cette dernière phrase parce que, très probablement, le sauvage connaît très bien la manière de manipuler ses outils, mais s'il utilise un levier, avant Archimède, il ne connaissait pas les lois du levier.
Donc, il ne connaît pas mieux ses outils.
Il les manipule bien.
L'aspect méthodologiquement scientifique ou rationnel de l'utilisation d'un levier n'était pas quelque chose que le "sauvage", comme il dit, connaissait.
Bien évidemment, il ne le connaissait pas.
Comme il a utilisé le mot "sauvage", je vais en profiter tout de suite pour faire une précision sur le positionnement, pour que vous ne soyez pas choqués.
La pensée magique, on l'appelle aussi "la pensée sauvage" et aussi "la pensée primitive".
Il y a eu des tas de débats sur ces mots, disant : "Comment pouvez-vous traiter, du haut de notre civilisation occidentale, la pensée primitive, comme si elle était inférieure ?"
Etc.
Il n'y a rien de cela dans cette terminologie.
La pensée magique est universelle, elle est en nous tous.
Au XIXe siècle, on parlait de "pensée primitive".
On a parlé de "pensée magique".
Claude Lévi-Strauss a parlé de "pensée sauvage", jouant sur les mots avec la fleur.
Mais les mises au point étaient nécessaires.
Donc, je tiens à vous dire que dans toute cette présentation négative, ou prudente, disons, de la pensée magique, il n'y a aucun racisme.
Nous sommes tous dans la pensée magique.
Il n'y a aucun mépris.
Chacun de nous est susceptible, à n'importe quel moment, de tomber dans la pensée magique.
Il n'y a aucune condescendance et il n'y a aucune insulte.
"La pensée magique est en chacun de nous.
Elle est la donnée universelle de l'esprit humain."
Pourquoi est-elle la donnée universelle de l'esprit humain ?
Aujourd'hui, dans le train, je me suis dit : "Mieux que tous ces mots-là, je voudrais l'appeler 'la pensée spontanée'".
La pensée spontanée, c'est celle qui apparaît sans réflexion.
Souvent, elle est liée à des émotions extrêmement fortes.
Après tout, entre raison et émotion, on est dans la thématique.
Elle est souvent liée à des émotions très fortes, qu'elles soient bonnes ou mauvaises.
Et les mauvaises sont souvent plus fortes que les bonnes.
Et cette pensée-là est susceptible de nous toucher individuellement, familialement, collectivement, socialement, nationalement.
Il n'y a pas de limite à la manière dont la pensée magique affecte les êtres humains.
Bien sûr, elle nous affecte surtout, comme Nedjma vous a dit, au travers de la médecine, de l'alimentation...
Et là, chacun d'entre nous aura des exemples.
Mais elle nous touche aussi dans des tas d'autres domaines et c'est ça qu'il s'agit d'expliquer.
Pourquoi la pensée magique est-elle aussi universelle, aussi omniprésente chez les humains ?
Et comment fait-on pour en sortir ?
La première question qui va se poser sera forcément : "Comment fait-on pour en sortir ?"
Qu'est-elle et comment fait-on pour en sortir ?
En sortir, c'est ce que Weber appelait "le désenchantement".
Donc, on va voir comment "désenchanter".
Ce sont des recettes.
Il s'agit de toutes les tentatives de sortie de la pensée magique.
Donc, on va essayer ensemble de voir quels sont les soutiens, les piliers que nous avons, même si on tombe dans la pensée magique, pour en avoir conscience et ensuite pour pouvoir se dire qu'on en sort.
Les tentatives de sortie de la pensée magique sont l'expression d'un effort continu, avec des rechutes.
Je vous le disais, c'est très difficile de ne pas rechuter face à des moments d'émotions fortes.
Elles sont fondées sur la rationalité.
Ce que j'appelle "rationalité", c'est la réflexivité, c'est-à-dire la capacité de se penser soi-même, de se dire : "Que suis-je en train de faire ?
De penser ?
De dire ?
Et pourquoi fais-je cela ?"
Cette réflexivité-là est très récente.
En fait, elle est tellement récente qu'elle date de saint Augustin.
C'est le "Je pense, donc je suis" de Descartes, qui avait été déjà dit, un peu plus d'un millénaire plus tôt, par saint Augustin.
Si je doute, c'est que je pense.
Si je pense, c'est que j'existe.
Ça, c'est une attitude de réflexivité.
Et la méthode, c'est-à-dire les principes de la logique élémentaire : "Ai-je raison de penser que ceci est relié avec cela ?
Et comment puis-je vérifier si c'est exact ou si c'est faux ?"
À partir de ce moment-là, on peut, sinon se dégager complètement de la pensée magique, en tout cas, avoir un certain recul par rapport à elle, au quotidien.
Ces tentatives de désenchantement ont eu un moment de gloire au XVIIIe siècle, je vais arriver à Kant.
Ensuite, elles ont chuté à cause du romantisme, parce que le romantisme a, à bien des niveaux, essayé de remettre l'émotion au-delà de la raison.
La raison, pour le romantisme, devenait quelque chose d'austère et de calculateur, etc.
Et l'émotion devait être le principe moteur de l'être humain.
Donc, avec l'émotion, bien évidemment, la pensée magique revient en force.
Vous le voyez dans les mythes allemands, dans les mythes de Wagner, de Goethe, etc., dans toute une mythologie romantique.
Souvent aussi les tentatives de sortie de la pensée magique sont mal comprises.
En d'autres termes, il y aurait même une pédagogie de la sortie de la pensée magique à faire.
Un peu comme le dit Pennac.
Et parfois, la pensée rationnelle peut être instrumentalisée par la pensée magique.
C'est-à-dire qu'on est tellement enfermés dans notre pensée magique qu'on va la rationaliser, au point de la rendre quasiment rationnelle, alors que les fondements sur lesquels se base ce que nous sommes en train de dire sera de la pensée magique.
Mais les tentatives de sortie de la pensée magique ont un point commun essentiel : Elles sont toutes subversives, c'est-à-dire qu'elles n'acceptent pas l'ordre social et elles n'acceptent pas l'ordre collectif.
Je vais revenir à ça, après les anthropologues, car c'est très important.
La sortie de la pensée magique défait les ordres dans lesquels les groupes, les clans, les chapelles, les sociétés, les maîtres à penser, les gourous, etc., voudraient nous enfermer.
En d'autres termes, la pensée magique a une autorité sur nous, et le fait de désenchanter enlève froidement cette autorité.
Cette subversion, vous l'imaginez, n'est pas appréciée par tout le monde.
Donc, quand Kant écrit les dix pages qui s'appellent "Qu'est-ce que les Lumières ?", c'est exactement ce qu'il dit, sauf qu'il pense, lui, aux autorités de son époque, c'est-à-dire, le roi et le pape.
En gros, l'autorité royale et l'autorité religieuse.
Et il prône la sortie de ces deux autorités de la manière suivante : "Qu'est-ce que les Lumières ?
C'est la sortie de l'homme de sa minorité dont il est lui-même responsable.
Minorité, c'est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d'autrui, minorité dont il est lui-même responsable", "???"
en allemand, "puisque la cause en réside non dans un défaut de l'entendement, mais dans un manque de décision et de courage de s'en servir sans la direction d'autrui."
Et il continue, vous devez connaître, c'est célèbre : "Ose penser, aie le courage de te servir de ton propre entendement.
Voilà la devise des Lumières."
Bien sûr, quand on dit, comme il dit : "Servez-vous de votre entendement", la réaction immédiate sera : "C'est trop facile.
Comment me servir de mon entendement face à un médecin qui en sait beaucoup plus sur ma maladie ?
Comment me servir de mon entendement face à une défaillance dans un avion que seuls les mécaniciens peuvent réparer ?"
Donc, se servir de son entendement, ce n'est pas affronter une connaissance par une ignorance, c'est surtout accepter d'utiliser son propre entendement à bon escient, pas n'importe comment, ni dans n'importe quelles circonstances.
C'est-à-dire ne pas obéir.
C'est pour ça que je disais : "Attention à la subversion."
La subversion par la rationalité consiste à dire froidement : "N'obéissez pas."
Alors, que s'est-il passé au XVIIIe siècle ?
Avant le XIXe siècle, l'Église connaissait la pensée magique et elle s'en méfiait.
Il y avait des sorciers.
Il y a eu des procès en sorcellerie.
Des choses extrêmement sombres se sont passées dans le monde médiéval.
Mais avec la conscience d'une Église, parfois très diplomate, qui, en fait, a essayé de cadrer tout ce qui était magique en le réintégrant dans le cadre des institutions de l'Église.
C'est comme ça que vous avez les saints, les reliques, les pèlerinages, tout un tas de choses.
Les fêtes qui se situent précisément au moment où les fêtes païennes devaient avoir lieu.
Donc, l'Église a réinterprété toute la pensée magique, l'Église catholique, a réinterprété une bonne partie de la pensée magique qui existait, de manière à la réintégrer dans un champ chrétien.
Mais au XIXe siècle, les anthropologues se sont mis, eux, à parcourir la planète.
Ils ont été en particulier en Afrique, en Amérique latine et en Amérique du Nord, chez...
Comment les appelle-t-on ?
On ne parle plus des Indiens.
Les...
Les ?
Les Amérindiens...
Enfin, ça change encore ces jours-ci.
Ils ont été en Australie, bien évidemment, et dans toute la multitude d'îles, Polynésie, Micronésie, etc., à la rencontre de peuplades, de toutes petites communautés, qui n'ont pratiquement jamais eu de contact avec la civilisation.
Ils se sont installés respectueusement chez eux ou bien ils ont transporté des documents.
Certains ont travaillé "live", d'autres ont travaillé à partir de textes.
Et l'idée était d'essayer de comprendre comment leur raisonnement fonctionne.
Et c'est là qu'ils ont découvert la pensée magique, donc à partir des années 1850.
À partir des années 1950 et au-delà, des peuples qui ne connaissent rien à la science, à la technologie, il n'en existe pratiquement plus.
Ça devient beaucoup plus dur de traiter de ces questions-là.
Mais on a un énorme corpus d'anthropologues voyageurs ou commentateurs, que je vous invite à consulter, si cela vous intéresse.
Je les ai mis tous en bloc.
Non, pardon.
Ce n'est pas exhaustif, comme liste.
J'ai essayé d'aller depuis quelques-uns des plus anciens jusqu'à ceux qui vivent encore actuellement, comme Maurice Godelier, Philippe Descola, etc.
Et dans toutes ces situations-là, vous avez des gens qui ont...
La plupart de ces livres sont en ligne.
Vous pouvez les trouver intégralement en ligne, et d'autres.
Tous ces gens-là ont essayé de décrire ce qu'ils percevaient, de raconter ce qu'ils voyaient comme mode de raisonnement, chez les peuples qu'ils ont rencontrés.
J'ai une sympathie particulière pour Marcel Mauss.
Vous savez peut-être qu'il est le neveu de Durkheim, ils ont beaucoup travaillé ensemble.
J'aurais pu mettre Durkheim sur la liste.
J'ai beaucoup de sympathie pour Marcel Mauss.
1 : Il a une thèse extrêmement puissante sur les modes de fonctionnement de la pensée magique.
2 : Il ne s'est pas contenté d'aller regarder comment cela fonctionnait chez des peuples lointains.
Il est revenu regarder comment ça fonctionnait dans le Berry, dans la Beauce profonde, un peu partout en France.
Et il s'est dit : "Mince, c'est la même chose."
Ce ne sont pas les mêmes représentations, les mêmes analogies, mais, en gros, les mécanismes de la pensée magique...
Marcel Mauss a fait beaucoup pour le fait d'admettre que la pensée magique est une pensée universelle.
Ce n'est pas seulement là-bas, c'est aussi ici.
Je voulais vous parler, justement, de cette thèse de Marcel Mauss, car je pense que c'est l'une des plus importantes.
La pensée magique, pour lui, c'est la pensée collective.
Vous pouvez avoir une pensée magique minimale individuelle, chez vous, en fonction de vos expériences personnelles.
Mais la pensée magique va se faire confirmer ou réfuter par la manière dont le collectif ou les autorités qui sont autour de nous vont nous la faire vivre.
Il le dit de la manière suivante : "Il n'y a que des besoins collectifs, ressentis par tout un groupe, qui puissent forcer tous les individus de ce groupe à opérer dans le même temps, la même synthèse.
La croyance de tous, la foi, est l'effet du besoin de tous, de leurs désirs unanimes.
Le jugement magique est l'objet d'un consentement social, traduction d'un besoin social sous la pression duquel se déclenche toute une série de phénomènes de psychologie collective : le besoin ressenti par tous suggère à tous la fin.
Entre ces deux termes, une infinité de moyens termes sont possibles.
De là, la variété extrême des rites employés pour un même objet.
Entre ceux-ci, le choix s'impose.
Et il vient soit de la tradition, soit de l'autorité..."
On retombe sur l'autorité dont Kant avait parlé dans un autre contexte.
"D'un magicien en renom, soit de la poussée unanime et brusque de tout le groupe."
Cet enchantement...
Actuellement, à la télévision, on parlerait "d'hystérie collective", quelque chose qui ressemble beaucoup à la pensée magique en cette époque de post-vérité, n'est-ce pas ?
Mais cet enchantement signifie que la totalité du groupe se met à croire quelque chose.
Je ne parle pas des monothéismes, c'est encore un autre cas.
L'ensemble du groupe se met à croire en quelque chose et à se fier, dans sa croyance en ce quelque chose, à l'autorité de quelqu'un.
Quelqu'un d'immanent, ce n'est pas le Dieu transcendant.
Ça peut être le prêtre ou le curé, mais aussi le sorcier du village, le gourou, monsieur le Maire.
Ça peut être le prof d'école, par exemple.
Ce sont des gens face auxquels on se soumet.
Lorsqu'on se soumet, c'est collectivement.
Car il devient très difficile de se sortir tout seul de la soumission collective qui est adressée à l'autorité en question.
Ça peut même être dangereux.
Les caractéristiques de la pensée magique : Elle est obscure, identifiable, mais difficilement analysable.
Confuse, mais pas complexe.
Elle est agissante, c'est important.
Avec la pensée magique, vous pouvez jeter un sort à quelqu'un, faire de la magie, créer quelque chose, guérir quelqu'un, tuer quelqu'un, envoûter quelqu'un.
Donc, il existe dans la croyance dans la pensée magique des forces entre les mains de certaines personnes et elles ne sont entre les mains de ces personnes que parce que les autres y croient.
C'est comme l'hypnose.
Quand vous ne voulez pas vous faire hypnotiser, l'hypnotiseur ne peut pas vous hypnotiser.
C'est la même chose.
La croyance doit être collective ou elle ne marche pas.
Elle est arbitraire, évidemment, car elle dépend de l'autorité ou de la puissance de celui qui l'exprime.
Et surtout, elle est holiste.
Elle ne tient absolument aucun compte d'une démarche analytique.
La démarche analytique vient avec la raison, avec la réflexivité.
Et la pensée ne connaît pas quelque chose qui serait capable de catégoriser les objets.
J'ai, avec Marcel Mauss, un exemple absolument délicieux à vous montrer immédiatement après.
Bien évidemment, elle est omniprésente, je l'ai assez dit.
Elle peut être violente car elle est forcément une aliénation par rapport à soi-même.
Et elle peut être morbide, lorsqu'elle touche des émotions morbides, c'est-à-dire des désirs de mort ou de vengeance, ou bien de la peur, des choses de ce genre-là.
Je voulais vous donner un seul exemple, c'est le "mana" des Mélanésiens.
C'est archicélèbre, dans la pensée de Marcel Mauss.
Ceux qui ont fait de l'anthropologie, vous connaissez tout ça par cœur.
Voilà ce qu'il dit : "Le mana est une force.
Mais ce n'est pas simplement une force, un être, c'est encore une action, une qualité et un état.
En d'autres termes, le mot est à la fois un substantif, un adjectif et un verbe.
On dit d'un objet qu'il est mana pour dire qu'il a cette qualité.
Dans ce cas, le mot est une sorte d'adjectif.
On ne peut pas le dire d'un homme.
On dit d'un être, esprit, homme, pierre ou rite, qu'il a du mana, le mana de faire ceci ou cela.
On emploie le mot 'mana' aux diverses formes de diverses conjugaisons.
Il signifie alors avoir du mana, donner du mana, etc.
En somme, ce mot subsume une foule d'idées que nous désignerions par les mots de 'pouvoir de sorcier, qualité magique d'une chose, chose magique, être magique, avoir du pouvoir magique, être incanté, agir magiquement.' Il nous présente, réunies sous un vocable unique, une série de notions dont nous avons entrevu la parenté, mais qui nous étaient ailleurs données à part.
Il réalise cette confusion de l'agent, du rite et des choses qui nous a paru être fondamentale en magie."
C'est très important car ça montre d'une part, l'aspect confus, puisque le mot signifie une extraordinaire polysémie, pluralité de choses en même temps.
Et d'autre part, c'est holiste.
C'est-à-dire que, de toutes les façons, celui qui va utiliser ce mot pour justifier quelque chose, aura toujours le moyen de dire : "Si le serpent a tué quelqu'un, c'est parce que le mana du serpent était supérieur à lui.
Si lui a tué le serpent, c'est parce que son mana à lui était le meilleur."
Il y aura toujours une justification avec le mana.
Ce qui s'est passé avec les anthropologues, comme ça se passe souvent, dans de nombreuses sciences, surtout en sciences humaines et sociales, c'est que les chercheurs se sont divisés en plusieurs écoles et chapelles car il s'agissait aussi d'essayer de comprendre à quoi sert tout ça et comment ça marche.
Donc, ils se sont divisés.
Il y a des chapelles...
Tout le monde a accrédité l'idée que la pensée magique est universelle, qu'elle se trouve partout.
Certains en ont fait des études comparatives, comme Marcel Mauss, comparant les Mélanésiens et les habitants du Berry.
"La Mare au diable", George Sand.
D'autres ont essayé de confronter ça avec la pensée occidentale et de se dire : "Comment, nous, qui avons développé une pensée rationnelle, méthodologique, analytique, etc., pouvons aborder cette pensée ?
Et comment cette pensée peut-elle aborder la nôtre ?
Et pourquoi cela a-t-il divergé à un tel point ?"
Cela aboutit, évidemment, à un énorme relativisme culturel, qui consiste à dire que les adeptes d'une pensée magique, il faut respecter leur pensée, d'une part.
Ou bien carrément de dire, comme Philippe Descola, que la pensée rationnelle n'est qu'une des catégories de la pensée humaine, mais au même niveau que les autres, avec l'animisme, etc.
Donc, la pensée rationnelle ou l'animisme, par exemple, se mettent à devenir à égalité.
Évidemment, je ne suis pas d'accord.
La pensée rationnelle est une rupture avec la pensée magique.
Mais c'est une rupture difficile à accomplir.
J'arrive aux modes de fonctionnement...
J'espère que je ne vous ennuie pas trop.
C'est la partie principale de mon intervention.
J'ai appelé ça des "effecteurs".
C'est un mot de l'informatique, qui signifie "ce qui met en action".
Qu'est-ce qui fait bouger la pensée magique ?
Au tout départ, il y a un questionnement.
On s'interroge sur quelque chose.
Dans la vie d'un être humain, on s'interroge tout le temps sur beaucoup de choses.
Il est évident que le questionnement va aller vers la pensée magique et vers la pensée scientifique, comme il va aller vers la pensée philosophique ou religieuse.
C'est tout un champ très différent de réponses à un questionnement qui, lui, cherche en réalité une connaissance, un besoin d'expliquer quelque chose.
Ensuite, il y a l'anthropomorphisme : On va projeter sur les choses des qualités qui sont celles de l'être humain.
C'est relativement facile.
Nous le connaissons depuis très longtemps.
Cet anthropomorphisme ramène les choses vers nous.
Il nous donne l'impression que nous les comprenons mieux, dans la mesure où elles nous donnent l'impression qu'elles nous ressemblent.
Évidemment, ce n'est jamais vrai.
C'est extrêmement difficile de sortir d'une pensée anthropomorphique, en particulier dans une science expérimentale qui est la biologie, pour sortir de la notion de finalité.
De ne pas expliquer le comportement d'une plante comme si on expliquait le comportement d'un enfant, par exemple.
Il y a l'utilité car, en fait, on a besoin de la pensée magique.
Elle permet d'être efficace.
Pour un sorcier qui veut le pouvoir sur son clan, la pensée magique est géniale car elle va lui permettre d'asseoir son utilité par le biais de son efficacité.
Et même si son efficacité est fausse, ça n'a aucune importance, puisque les gens y croient.
Donc, de toute façon, il est garanti à partir de là.
Au pire des cas, il échoue, c'est lui qui est massacré, et quelqu'un d'autre prendra la place.
Car le besoin d'autorité, de toute façon, sera présent.
C'est une fonction sacrée.
Le sacré est quelque chose de terrible dans la vie de l'être humain car il se fonde sur la peur et sur l'interdit.
Sur la peur et, en particulier, la peur de la mort.
À partir du moment où on touche à des questions comme la mort, sa mort à soi, celle d'autrui, la mort de celui qu'on a envie de tuer, la mort de soi parce qu'on risque d'être tué par quelqu'un d'autre, l'ordre social se coagule, en quelque sorte, autour des fonctions sacrées, qui vont permettre de protéger le clan par rapport à cette crainte de la mort, et d'une manière terrifiante.
Vous savez, par exemple, que, dans les temps passés, on sacrifiait des enfants aux dieux, au pluriel.
Le fait de sacrifier son propre enfant à un dieu signifiait qu'on croyait très fortement à l'efficacité de cette action.
C'est-à-dire qu'on avait besoin de se protéger de la colère de ce dieu, ou bien on avait besoin de lui faire plaisir au point de lui immoler ce qu'on a de plus cher, et, donc, d'arriver au stade du sacrifice, y compris humain.
C'est pour ça que je vous dis que le monothéisme n'est pas là-dedans, puisque Abraham, le sacrifice interdit.
À un moment, dans le monothéisme, on a dit : "On arrête de sacrifier des êtres humains."
Il y a aussi la notion de fatalité, d'ordre cosmique, du fait...
Je vais le dire personnellement, du fait que j'aie le sentiment d'avoir un destin, que ma vie a une finalité, que cette finalité est gérée par des forces qui sont supérieures et que ces forces supérieures me donnent des signes.
Dans l'astrologie mésopotamienne, c'était ça : Les étoiles dans le ciel n'étaient pas les divinités.
Ce n'était pas Astarté, Ishtar, etc.
C'étaient des signes des divinités.
En d'autres termes, les divinités utilisaient le ciel pour dire aux humains si c'était le moment d'aller en guerre, de faire la paix, etc.
Donc, cet ordre cosmique dans lequel il y a des signes, tôt ou tard, n'importe qui d'entre nous, dans un hasard ou une coïncidence, s'est dit : "C'est le destin qui m'appelle" ou bien "c'est la fatalité" ou "je fais ça car je suis obligé de le faire", presque sans y réfléchir.
Mais dans les effecteurs de la pensée magique, il y a les effecteurs de la pensée scientifique.
Et c'est là où ça devient délicat de distinguer les deux, hors rationalité.
Parmi les effecteurs de la pensée magique, il y a l'analogie, c'est évident.
Il y a la causalité, qui est souvent source de superstition.
Il vous arrive trois, quatre fois la même chose, même si c'est complètement déconnecté, a priori, il devient très difficile, ensuite, de ne pas penser qu'il y a une connexion.
Je dis n'importe quoi : Je fais une fête, je rate mon examen.
La première fois, je me dis : "Tant pis pour moi, c'est ma faute."
La deuxième, troisième, quatrième fois, je me dis : "Il y a peut-être un signe, quelque chose en train de me dire que..."
Donc, on ouvre la porte à des généralisations non légitimes, uniquement parce que des causalités, qui ne sont pas de vraies causalités, ont conditionné notre mode de connaissance.
La substantialisation est extrêmement importante.
La substantialisation est essentielle car nous avons tendance, en pensée magique, à donner de la matière à des choses qui n'en ont pas.
Le mal, par exemple.
Le mal en tant qu'objet qui se déplace, qui passe de quelqu'un à quelqu'un d'autre, qui est contagieux.
Le mal dans le sens de "mauvais".
L'énergie.
L'énergie qui est un principe de physique, dont la définition, c'est "la capacité de produire du travail", se met à devenir substantialisée par les énergies positives, négatives, les énergies qui se promènent dans l'organisme, les énergies des mains du magnétiseur, etc.
On va retrouver cette substantialisation presque partout.
L'unité holistique, j'en ai déjà parlé, l'espace et le temps, l'enchaînement, la continuité des choses.
Il n'y a aucune rupture.
Le rite.
Si vous entrez dans un rite et s'il vous arrive quelque chose de mal, le jour où vous n'obéissez plus au rite, vous allez revenir dare-dare au rite car ça devient trop effrayant.
Y compris en alimentation.
Si vous avez un rite alimentaire particulier et que vous l'arrêtez une fois et que ça vous rend malade, le lendemain, vous reprenez votre rite.
Parfois, la maladie n'est pas nécessairement connectée avec le rite.
Mais le signe que ça va vous donner, c'est : "Attention, il ne faut pas interrompre le rite."
Quand le rite est individuel, chacun de nous peut le vivre dans sa cuisine.
Quand le rite est collectif, il devient encore plus puissant.
Et puis il y a le mythe.
Il est fondateur du collectif, c'est-à-dire ces espèces de grands narratifs auxquels on se raccroche car c'est à travers eux que l'on trouve sa propre appartenance.
Je ne dis pas son "identité", son appartenance car on est dans la tribalité, là.
Chaque tribu, langue, chapelle, y compris n'importe où dans les sociétés modernes, possède ses mythes fondateurs parce que c'est le mythe qui va unifier le groupe.
Et puis il y a les dualités.
Elles sont partout.
C'est ce contre quoi le christianisme a voulu se battre, dans les premières années de l'Église, contre le manichéisme, etc., puisque c'est l'anthologie du bien face au mal, mais c'est aussi l'anthologie de nous face à eux, c'est la tribu par excellence.
La lumière/l'obscurité, mâle/femelle, céleste/chtonien, etc.
Toutes ces dualités que vous retrouverez dans la pensée de l'école de Pythagore, qui, malgré sa rationalité en mathématiques, n'a pas réussi à se dégager des dualités qui existent dans toutes les sociétés païennes.
Quels sont les pièges ?
Ils sont évidents : Il n'y a pas de méthode, donc ça devient très difficile à analyser.
Il n'y a pas de démarche analytique, puisqu'il n'y a pas de méthode.
La charge émotionnelle est très forte.
En général, on plonge dans la pensée magique pour des raisons qui nous touchent fortement.
C'est pour ça que la médecine est souvent atteinte, ou l'alimentation.
Le corps, en général.
La charge est parfois collective, puisque la pression sociale aussi et l'appartenance vont jouer un rôle.
Il y a une non réfutabilité certaine puisque, malheureusement, on retombe constamment dedans.
La pensée magique donne l'impression d'être complètement transparente...
En d'autres termes, vous avez beau affronter la pensée magique avec la pensée rationnelle, ça ne marche pas, ça ne sert à rien.
Vous ne pouvez pas convaincre quelqu'un qui croit dans une pensée magique par le pouvoir de la raison.
À la limite, vous pouvez le convaincre par une autre pensée magique, qui le séduira davantage.
Les lieux de la pensée magique aujourd'hui.
Je n'entrerai pas dans les détails, puisque chacun de nous, et moi aussi, aura des histoires de pensée magique en médecine.
N'oubliez pas l'effet placebo.
La foi dans le médecin ou dans le médicament, qui a une puissance magique bien plus grande qu'on ne l'imagine.
Je veux dire le vrai médicament, pas le placebo.
Le médicament doté d'un principe actif, les gens le prennent comme une religion, parfois.
L'alimentation, évidemment.
La nature, je vais vous donner un exemple, car c'est très rigolo, et l'énergie, dont j'ai parlé, avec les ondes et les énergies positives et négatives.
La nature est un concept exceptionnel en pensée magique car c'est, à l'origine, un concept philosophique inventé par les philosophes grecs, c'est la "physis", la "matière".
Et la notion de nature, dans la pensée grecque, il ne s'agissait pas de la nature, puisque la nature, c'était le cosmos, mais du "naturel" par rapport à "culturel" ou à "artificiel".
C'était dans un lien d'opposition à quelque chose qui sort de la nature.
Et ce qui s'est passé avec la nature, c'est que, petit à petit, le mot lui-même a glissé vers des anthropomorphismes de plus en plus profonds, à tel point qu'elle s'est mise à devenir libre, sauvage, asservie, sacrée, agressive, intelligente, bienfaisante, vengeresse.
Vous trouverez ces mots dans tous les discours sur la nature.
La nature n'a strictement rien à voir avec ça.
Mais nous avons mythifié la nature à un tel point que nous lui avons donné des caractéristiques et des capacités qui sont bien au-delà de ce que le le concept seul est capable de faire.
Je vous dis, pour terminer, en trois mots, la pensée magique chez l'enfant, parce que Piaget en a parlé.
Il dit : "Avant de pouvoir structurer une situation complexe, l'enfant de 3-4 ans, comme le bébé de quelques mois, en présence des situations plus simples mais obscures à son point de vue, se borne à l'assimiler à l'acte qu'il faudrait exécuter et confère encore, grâce à une croyance résiduelle au pouvoir en soi de l'activité propre, une sorte de valeur absolue à ses gestes, ce qui revient à oublier momentanément que les choses sont des substances permanentes 'groupées' spatialement, sériées temporellement et soutenant entre elles des relations causales objectives."
Il est intéressant de voir que Piaget inverse l'ordre des choses.
C'est comme si l'ordre rationnel venait avant l'ordre magique.
Alors que, pour l'enfant, c'est l'ordre magique qui vient en premier.
J'ai oublié de vous dire un effecteur important de la pensée magique, chez tout le monde, y compris chez l'enfant.
C'est la parole, le verbe.
C'est le fait que quand vous dites quelque chose, il devient une réalité immédiatement.
Autrement dit, nous sommes tous Dieu dans la pensée magique.
On dit : "Que la lumière soit."
Et la lumière est.
Bien évidemment, le monothéisme a viré cette habitude.
Les caractéristiques de la pensée magique chez l'enfant, je les ai trouvées sur Internet, chez une psychiatre de l'enfant.
J'ai trouvé que c'était correct.
Elle parle d'une "pensée globale et syncrétique", c'est-à-dire qui mélange les opposés sans en faire une synthèse.
C'est une pensée réaliste, pour laquelle tout est réel.
Elle est égocentrique, puisque tout tourne autour de moi, l'enfant.
Elle est magique.
Et cette pensée mêle fiction et réalité, donc elle ne connaît pas la démarche analytique.
Ça, c'est l'enfant en dessous de 7 ans.
À partir de 7 ou 8 ans, ce genre de distinctions vont se faire et l'enfant va sortir de cette pensée magique-là, pour tomber dans la pensée magique des autorités, dont on a parlé plus haut.
Il y a un psychologue, qui n'est plus très connu, que je voulais remettre à l'ordre du jour car il est très sympa.
Il s'appelle Henri Wallon.
Il a été très connu dans les années 1950-1960.
Je voudrais vous lire ceci de lui.
Il dit : "Entre la représentation volontariste et magique du monde, qui s'observe dans les civilisations dites primitives, et celle qui s'exprime par les lois impersonnelles et nécessaires de la physique moderne, il a fallu une élaboration idéologique qui, dans tous les domaines de la connaissance, dépouillât graduellement les notions et les symboles de leur subjectivité initiale.
Si l'enfant n'est pas d'emblée capable de leur conférer l'objectivité qu'ils impliquent, il arrive aussi à l'adulte de ne pas savoir s'y tenir.
Dans la sensibilité de chacun persiste le confusionnisme primitif et c'est par une tension constante de l'effort intellectuel que sont maintenues les distinctions qui nous opposent les choses comme des réalités indépendantes."
L'objectivité est le premier facteur, selon lui, de sortie de la pensée magique.
Donc, l'objectivité est souvent difficile à maintenir.
Je voudrais conclure par des phrases prémonitoires.
Elles m'ont fait peur.
Ce n'est pas de la pensée magique.
Ce monsieur est un astrophysicien célèbre qui a eu son heure de gloire dans la vulgarisation, dans les années 1960-1970.
Il a fait une série de films appelée "Cosmos".
Il est beaucoup passé à la télévision.
Et il avait peur du retour de la pensée magique.
Je voudrais vous lire ce qu'il dit, phrase par phrase.
Je vous demande d'y réfléchir, en fonction de la situation d'hystérie collective dans laquelle on se trouve aujourd'hui par rapport aux "alternative facts", à la post-vérité, etc.
C'est comme s'il l'avait vu venir, mais il y a trente ans de cela.
Il parle de l'Amérique, évidemment.
"J'ai la hantise d'une Amérique du temps de mes enfants ou petits-enfants, où les USA seraient devenus seulement une société de services et d'information, où pratiquement toutes les industries manufacturières se seraient délocalisées vers d'autres pays, où les merveilles de la puissance technologique seraient réservées aux mains de quelques-uns, où les représentants de l'intérêt public seraient incapables de comprendre les défis qui se présentent à eux, où les gens auraient perdu leur aptitude à l'autonomie et leur capacité à interroger, en connaissance de cause, ceux qui ont le pouvoir, où nous nous accrocherions à nos boules de cristal et à nos horoscopes, où enfin, nos facultés critiques en déclin, nous rendraient incapables de distinguer entre bien-être et vérité, glissant ainsi, sans le remarquer, vers la superstition et les âges obscurs."
Je vous remercie.
Modératrice.
-Madame Nayla Farouki, merci beaucoup pour votre exposé, qui était passionnant, parfois surprenant.
En tout cas, qui nous éveille.
Et je pense que vous allez avoir beaucoup de questions.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Vous avez mon mail, si vous avez des questions subsidiaires.
Je réponds toujours.
Modératrice.
-J'en profite pour vous dire que si vous souhaitez revoir cette conférence, elle sera en ligne, au plus tôt...
Je n'ai pas demandé aux techniciens, mais on va dire au plus tôt, dans quinze jours, trois semaines.
Et quand ce sera prêt, vous pourrez la retrouver car je trouve que c'est une conférence importante, pour nous, pour l'avenir.
Nous allons passer aux questions.
La règle : Des questions plutôt courtes, avec des réponses courtes également.
Et pour le confort de notre invitée, s'il vous plaît, pourrez-vous vous lever ou lever la main, quand vous parlerez ?
Car dans la lumière, c'est difficile de vous voir.
J'ai déjà une première question à ma droite.
Auditrice 1.
-Bonsoir.
Merci pour cet exposé très enrichissant.
J'avais deux questions qui ne sont pas liées.
Pouvez-vous répondre aux deux ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-L'une après l'autre parce que j'oublie !
Auditrice 1.
-Vous avez évoqué "se servir de son entendement".
Avez-vous exprimé là l'idée du libre arbitre ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Absolument.
Mais du libre arbitre en termes de pensée.
On peut être enfermé chez soi et se servir de son entendement.
C'est-à-dire avoir une pensée libre, avant d'avoir une action libre.
Auditrice 1.
-Parce que la notion de libre arbitre commence à émerger.
C'est un terme assez explicite, me semble-t-il.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Oui, mais le libre arbitre est majoritairement considéré comme appartenant à l'action, pas à la connaissance.
Kant parle de la connaissance.
Vous lisez les choses et vous ne le prenez pas pour argent comptant.
Auditrice 1.
-Autre question : Où placer la magie du rêve nocturne ?
Parce que, à ce compte-là, on en fait tous l'expérience.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Le rêve nocturne ne dépend pas de nos facultés intellectuelles.
On rêve.
Il faut relire "L'Interprétation des rêves" de Freud, entrer dans des considérations psychologiques et psychanalytiques sur la nature du rêve.
On peut être dans des rêves qui sont magiques.
Pas dans le sens de "merveilleux", mais ça veut dire qu'il se passe des choses qui ne sont pas raisonnablement liées les unes avec les autres.
Mais comme c'est du rêve...
Auditrice 1.
-Non, mais la notion même de rêve qui fait abstraction du temps et de l'espace, c'est déjà en soi...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-J'ai compris.
Ce sur quoi je voudrais attirer votre attention, c'est que la pensée magique dans le réel, ce n'est pas du rêve.
Elle est rusée.
Elle a une finalité.
On sait vers quoi on va, on sait qui domine l'autre.
Vous voyez ?
Elle est floue et elle est un peu déconstruite, comme dans le rêve, c'est vrai.
Mais elle n'est pas le rêve.
Et malgré le fait que j'aie terminé sur la pensée magique de l'enfant, la pensée magique de l'adulte n'est pas du tout celle de l'enfant.
La pensée magique de l'enfant reste innocente.
La pensée magique de l'adulte ne l'est plus.
Auditrice 1, puis Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Merci beaucoup.
-Je vous en prie.
Auditeur 1.
-Bonsoir et merci.
Je suis un grand magicien.
La preuve, c'est que je suis barbu.
Je voulais vous dire aussi que j'exerce mes talents aussi dans la médecine ou la thérapie.
Et un truc qui me gêne toujours, depuis quarante ans que je le fais, c'est que beaucoup de personnes que je vois vont voir leur médecin et vont voir, pas forcément moi, mais vont voir aussi un thérapeute qui est plus ou moins magicien, sans dire à l'un qu'ils voient l'autre.
Ça, c'est quelque chose qui me gêne beaucoup.
Et je crois que ce serait bien qu'on arrive à intégrer la pensée magique et la pensée rationnelle.
Si vous pouvez m'éclairer là-dessus...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Ce qui serait très bien, c'est que les médecins de la Evidence-Based Medicine intègrent le fait que les gens en face d'eux ne sont pas dans une pensée rationnelle, surtout quand ça les concerne en particulier.
Nous allons chez le médecin en souffrance, chez le médecin ou chez n'importe qui à qui nous pouvons donner notre confiance pour alléger cette souffrance, avec le sentiment que la guérison viendra par une pensée magique.
Ça peut être la pensée magique du médicament, ça peut être la pensée magique du guérisseur, la pensée magique de la psychanalyse.
La dame est partie ?
Auditeur 1.
-C'est de l'autosuggestion aussi.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Ça peut être de l'autosuggestion.
C'est pour ça que j'ai parlé aussi de l'effet placebo.
Et c'est vrai que les gens en général, s'ils vont chez deux personnes sans le dire à l'une ou à l'autre, ils peuvent aussi aller chez trois médecins, puis se décider ensuite.
En général, on sélectionne...
Auditeur 1.
-Pourquoi ne peuvent-ils pas le dire aux médecins ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je spécule, là, parce que je n'y ai pas réfléchi.
Il est possible que ce soit dû au fait que le médecin est un représentant d'une autorité, et qu'ils pensent qu'ils vont avoir besoin de lui, peut-être, et qu'ils n'ont pas envie de lui dire qu'ils le trahissent.
C'est une relation affective.
Mais, à la limite, ils ne diront pas non plus à un médecin qu'ils ont été Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences, puis auditeur 1.
chez un autre médecin.
-C'est qu'ils ont peur.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Ils ont peur de l'autorité.
Je ne sais pas vous, mais quand on va chez le médecin, on est tout petit.
Et quand on va chez le médecin avec une cheville brisée, comme ça m'est arrivé, on est très petit.
On a besoin de lui.
Il devient...
La psychanalyse connaît ça très bien.
Elle appelle ça une "projection".
On va projeter sur lui.
Auditeur 1.
-J'aurais une autre question par rapport à ce que vous disiez à la fin, que maintenant, en théorie, d'après la science, nous sommes dans une société scientifique rationnelle.
Oui.
Mais, par exemple, on fait des centrales nucléaires qui peuvent exploser à tout moment et empoisonner tout un pays, on fait des bombes qui peuvent détruire vingt ou trente fois la planète, rationnellement, on peut exterminer toute vie sur la planète, on fait une économie où la plupart des gens n'ont plus à manger, on organise la société d'une manière où il n'y a plus de travail.
À mon avis, ce n'est pas magique, ça.
C'est de la folie pure.
Même quand un président des États-Unis, dont vous avez parlé, même ses propres partisans le disent fou et qu'il faut l'enfermer.
Mais on ne le fait pas.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Mais la pensée magique fait ça aussi.
Elle fait ça aussi chez nos cousins, les singes.
La violence de l'humain vers l'humain est universelle, qu'il y ait la technologie ou pas.
Le plus grand génocide qui a eu lieu à la fin du XXe siècle, c'était à coups de machette.
C'étaient les Hutus contre les Tutsies.
On n'a pas besoin de la science et de la technologie pour s'exterminer.
Auditeur 1.
-Excusez-moi si j'insiste : Avec des machettes, on peut exterminer une tribu ou quelques centaines de personnes, mais avec la bombe atomique, on peut exterminer toute la planète.
Auditeur 1, puis Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
Ce n'est pas la même échelle.
-On est d'accord.
Auditeur 1.
-Donc, la pensée n'est pas la même.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-La pensée est la même.
La capacité n'est pas la même.
Mais on est d'accord.
La folie de l'être humain ne faisait pas partie de mon sujet.
Auditeur 1.
-Et le remède ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Ça, ce n'est pas moi qui vais le dire.
La coordinatrice.
-Il y a plusieurs questions.
Il y a Madame.
Auditrice 2.
-Bonsoir et merci.
Dans votre conférence, vous avez exclu les monothéismes.
Je voulais savoir si vous les aviez exclus dans leur essence, c'est-à-dire le Dieu qui parle ou aurait parlé, ou plus collectivement ?
Car, aujourd'hui, les pratiquants des grandes religions monothéistes m'apparaissent à moi comme dans un système de pensée magique.
Et je voulais que vous précisiez...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Quand je dis "monothéisme", je parle des livres, la Bible et le Coran.
Dans la Bible et le Coran, il y a une tentative de sortie de la pensée magique.
D'abord, de la sortie du polythéisme, donc de la soumission à une pluralité de divinités.
Le Dieu transcendant et un, commun aux trois monothéismes, est en-dehors.
Il est transcendant.
Il refuse le sacrifice humain et donne la liberté à l'être humain, le choix de faire le bien ou le mal.
Donc, par ces caractéristiques-là, les textes du monothéisme sont une sortie de la pensée magique.
D'ailleurs, comment il s'appelle...
Quand on a besoin d'un nom, il s'en va.
Celui qui a écrit que le christianisme est le désenchantement du monde ?
Marcel Gauchet.
Il a développé la thèse que c'est le christianisme qui a désenchanté le monde.
Je pense que Marcel Gauchet a tort pour la simple raison qu'il est chrétien, et avant le christianisme, il y avait le judaïsme.
Et "Genèse" et "Exode" sont des livres de désenchantement du monde et de la liberté de la pensée individuelle.
Auditrice 2.
-Merci.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Maintenant, les monothéismes d'aujourd'hui, je ne discute même pas.
Auditrice 2.
-D'accord.
Auditeur 2.
-Merci.
Je suis là.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je vous ai vu.
Auditeur 2.
-Bonsoir.
Merci pour votre exposé.
Quand on vous écoute, n'y a-t-il pas, d'emblée, une défaite de la rationalisation face à la pensée magique ?
Quand vous parlez de "désenchantement", ça nous renvoie à notre condition humaine.
"Pensée magique", ça nous élève vers un monde différent, où tout est possible.
Alors, n'est-ce pas la mort annoncée de la rationalité, d'envisager les choses comme un désenchantement ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je suis très pessimiste pour la rationalité.
Je pense que la pensée magique est de loin plus puissante, sans compter la folie dont a parlé Monsieur.
Bien évidemment, la rationalité, c'est une mince couche de crème chantilly sur le gâteau.
On peut essayer de la maintenir.
Mais quand les forces...
Vous avez dit : "On peut monter vers la pensée magique" ?
Auditeur 2.
-Je voulais dire que, d'un côté, ça nous renvoie vers une condition concrète, humaine, terrestre.
De l'autre, ça pourrait nous élever...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Non.
La pensée magique ne nous élève pas, elle nous descend.
La pensée magique ne nous libère pas.
Elle est aliénante.
Elle est aliénante et nécessaire.
C'est ça, mon côté pessimiste.
Comme la pensée magique est attachée à l'émotionnel dans l'être humain, en raison des émotions qui sont très puissantes, on a besoin de la pensée magique.
On ne peut pas faire sans elle.
Par contre, lorsqu'elle se déchaîne, lorsqu'elle devient violente, cette pensée magique, il n'y a que la rationalité qui devrait pouvoir la maîtriser.
Donc, la rationalité a un rôle énorme à jouer, mais elle est très faible par rapport à la pensée magique.
Dans une foule en colère, comment pouvez-vous faire marcher la raison ?
C'est un exemple parmi d'autres.
Auditeur 2.
-Pardon, il y a sûrement d'autres questions.
Mais juste pour terminer.
D'un côté, j'ai l'impression que la rationalité répond à une question, qui est le comment.
Je ne sais pas jusqu'à quel point vous incluez les croyances, la spiritualité dans ce que vous appelez "pensée magique".
D'un autre côté, ça nous envoie vers le pourquoi.
Un niveau de réponse que la rationalité n'apporte pas nécessairement.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je pense que la science répond au comment, mais pas la rationalité.
La rationalité ne répond à rien, c'est une méthode qui sert à prendre du recul avec mes émotions.
Quand on est dans des situations émotionnellement très puissantes, et il n'y a que la rationalité...
C'est ce qui se passe souvent dans les tribunaux, aussi en médecine.
Il y a une rationalité presque austère, extrêmement rigide, qui va permettre de contrôler les émotions.
Car dès que les déchaînements d'émotions ont lieu, ça devient extrêmement violent.
La rationalité est le seul mode qu'a inventé l'être humain pour contrôler les émotions.
L'ennui, c'est que, a priori, on n'a pas tout le temps besoin, ni envie de contrôler les émotions.
Et les émotions sont très puissantes.
Surtout les pires.
Les émotions les plus puissantes, ce n'est pas la joie et la bonne humeur.
Les plus puissantes, c'est la peur et la haine.
Auditeur 2.
-Merci.
Auditeur 3.
-Ne pensez-vous pas que la pensée magique s'est démultipliée par le nombre de magiciens, d'illusionnistes qui sont produits, vous avez parlé de la télévision, par exemple, et aussi la spécialisation des connaissances, des savoirs, des émotions ou des domaines d'activité ?
Quand je pense, par exemple, à Weber et la phrase que vous avez donnée, évidemment, il y a une séparation entre ceux qui ont produit le tramway en question, et qui l'ont conçu, entre les concepteurs, les producteurs et ceux qui l'utilisent, les consommateurs.
Donc, il y a une démultiplication des magiciens.
On peut les trouver à peu près partout, tout le temps.
L'omniprésence est beaucoup moins centralisée qu'avant, dans les...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-On peut voir ça comme ça car on est dans une société de spectacle.
Et tout est magique.
D'ailleurs, la publicité nous parle de magie en continu.
Les parcs d'attraction nous parlent de magie en continu.
Et il est évident que la science peut être considérée comme une magie par ceux qui ne la comprennent pas.
Je travaille un peu sur les questions de mécanique quantique.
Je vous garantis que dans les textes de vulgarisation de la mécanique quantique, avec les chats morts et vivants, on est en pleine magie.
Si vous ajoutez à ça les technologies les plus innovantes, les robots, les réalités virtuelles, etc., quand on ne comprend pas, on a tendance à trouver que c'est magique.
Mon téléphone portable est magique.
Par contre, je sais qu'il ne l'est pas.
Je sais qu'il y a des gens qui l'ont fait avec des méthodes d'informatique, d'électronique, et que s'il tombe en panne, je vais le jeter à la poubelle, ou le recycler, sans avoir besoin de faire une incantation.
C'est ce qu'il dit à propos du tram.
Nous utilisons ces choses-là en y voyant une magie.
Mais si on gratte bien, y compris dans nos têtes de gens un peu rationnels, nous avons perdu cette magie-là.
Nous ne pensons pas que des forces surnaturelles téléguident nos téléphones.
Auditeur 3.
-Vous n'avez jamais employé le mot "magicien", c'est volontaire ?
Il n'y a pas de magicien ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Non, car le magicien, actuellement, est devenu le prestidigitateur.
Mais celui-là, on sait que ce qu'il fait, c'est du spectacle.
Il n'invoque pas des forces surnaturelles.
Il se paie notre tête, ce qui est bien.
Et on s'amuse, on rit.
Ce n'est pas la magie dans le sens trouble, dont je parlais, car celle-là ne dit pas qu'elle est du spectacle, elle dit qu'elle est de la réalité.
Auditeur 4.
-Bonsoir.
Je voulais vous demander : Comment vous situez les moines Shaolin, qui en concentrant leur force vitale, leur Qi, par leur pensée réalisent des exploits ?
C'est une forme de magie ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je n'explique absolument rien.
Vous remarquerez que je ne suis entrée dans aucun exemple, à part l'effet placebo que nous connaissons, parce qu'il y a énormément de phénomènes qui sont à la frontière de la science.
La science, jusqu'à présent, dit qu'elle ne sait pas.
Elle a intérêt à le dire quand elle ne sait pas.
Maintenant, est-ce que ce qu'elle ne sait pas est de l'ordre de l'hallucination collective ?
Est-ce de l'ordre du réel que la science ignore ?
Car la science avance, mais elle n'a pas le pouvoir de tout englober en une seule fois.
Je suis incapable de le dire.
C'est pour ça que je n'ai pas parlé de l'homéopathie, par exemple, ni d'astrologie, sauf pour parler des Mésopotamiens.
Je voudrais garder des points d'interrogation que la science pourrait être susceptible d'expliquer un jour.
Dans ces points d'interrogation, il y a des choses sont fausses.
Très probablement.
Mais ce sera à la science de nous le dire.
Les pouvoirs de l'esprit, je ne les ai jamais étudiés, donc je suis incapable de vous dire.
Ça ne plie pas les fourchettes, en tout cas.
Auditeur 4.
-Je vous remercie pour la conférence.
La coordinatrice.
-Si vous, vous ne donnez pas d'exemples, peut-être que le public peut témoigner et donner des exemples, si ça manque ?
Alors, je donne la parole...
Auditeur 5.
-Bonsoir et merci pour cet exposé.
Je me posais la question tout à l'heure, quand vous disiez que lorsqu'on a une pensée magique, c'est la première pensée qui arrive.
Ne serait-ce pas de l'intuition dont vous voulez parler ?
Deuxième question, je voulais savoir le rapport entre la raison et les émotions, notamment en termes neurobiologiques, c'est-à-dire la relation entre l'amygdale et le cortex frontal...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Cette question-là, vous la poserez au neurologue qui vient à la séance suivante, parce que je connais les thèses, mais les thèses anciennes, des années 1970-1980.
Je n'ai pas touché aux thèses actuelles.
Dans les thèses anciennes, le cerveau est constitué, comme dans l'évolution, avec un cerveau primate profond, un cerveau reptilien profond, un cerveau mammifère un peu au-dessus et un cerveau purement cognitif humain.
Je pense que tout cela est passé à la trappe et que le cerveau, en réalité, est une machine complète, dans laquelle tout interagit avec tout.
Maintenant, peut-on situer réellement les émotions par rapport à la cognition ?
Je ne sais pas.
Il est certain que des zones du cerveau sont scientifiquement connues, comme l'aire de Broca...
Auditeur 5.
-En effet, l'émotion peut inhiber les pensées...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-L'émotion ne va pas inhiber la pensée.
Pire, elle va instrumentaliser la pensée.
C'est-à-dire que la raison devient l'esclave de l'émotion.
Vous allez justifier votre émotion, en disant : "C'est absolument rationnel."
Et vous allez sortir une hypothèse qui donne l'impression de la rationalité et qui, au fond, sera fondée sur l'émotion.
Auditeur 5.
-On peut prendre l'exemple des gens qui ont subi un traumatisme crânien ou même un traumatisme violent, comme un gros accident.
On sait très bien que dès que le souvenir revient, l'amygdale s'active si fort qu'elle inhibe complètement le raisonnement, donc, le cortex frontal.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Les émotions sont très puissantes.
C'est pour ça que je disais que la raison, c'est la chantilly sur le gâteau.
C'est une mince couche.
Ce sont les émotions qui nous guident.
La psychologie et la psychanalyse le disent depuis très longtemps.
Pour Jean-Didier Vincent, nous sommes menés par nos hormones.
Pour d'autres, par nos émotions.
Nous sommes menés par nos émotions et elles colorent nos motivations.
Ça, je l'ai appris en faisant des livres sur la peur de la science.
Expliquer la science, qui fait peur, à quelqu'un qui a déjà peur ne sert à rien.
Plus vous expliquerez, plus il aura peur.
Si vous expliquez à quelqu'un qui n'a pas peur, ouvert aux possibilités, ça devient intéressant.
Mais à partir du moment où il y a une émotion forte, je parlais surtout de la peur et de la haine, elle va colorer la totalité du cognitif qui vient derrière elle.
Si ça se trouve, les neurologues ne vous le diront pas.
C'est expérimental, pour moi.
Auditeur 6.
-Merci beaucoup pour cette conférence.
Juste deux petits points rapides sur l'effet placebo.
On l'appelle de plus en plus "effet contextuel".
C'est intéressant.
En fait, il y a une forme de pensée magique qui s'est posée autour du terme "effet placebo", en attribuant beaucoup de ces effets à quelque chose qui viendrait de la personne, alors qu'on vérifie de plus en plus que la blouse, la salle, la luminosité et le contexte comptent bien plus que la croyance de la personne sur l'effet miracle du médicament.
Une anecdote, que je tiens d'un vulgarisateur : Quand les pythagoriciens n'ont pas réussi à trouver un entier, ils ont sacrifié des vierges pour voir si ça changerait quelque chose...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Non, non.
La légende dit qu'il y en a un qui s'est suicidé.
Ce qu'ils avaient découvert avant la racine de 2, c'étaient les trois règles de la logique de base d'Aristote : Principe d'identité, principe de non-contradiction et principe du tiers exclu.
Ensuite, ils ont découvert, à leur grand dam, que racine de 2, on peut démontrer que c'est pair et démontrer que c'est impair.
Donc, ils ont disjoncté.
Mais pas très longtemps, car les mathématiques, c'est génial : Il suffit de créer un ensemble au-delà de cet ensemble-là...
Vous sortez des nombres entiers, vous entrez dans les nombres...
C'est quoi ?
Les nombres irrationnels.
Et voilà, ça marche.
Auditeur 6.
-Merci beaucoup.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-On ne sacrifiait plus d'êtres humains, dans la Grèce qu'on connaît.
On a sacrifié des êtres humains à Carthage.
On en a sacrifié chez les Aztèques.
On a sacrifié, sans doute, des êtres humains dans l'Égypte très ancienne.
Mais c'est une pratique qui s'est arrêtée relativement vite.
Auditeur 7.
-Que pensez-vous de l'idée que la culture, la civilisation ont été créées pour contrôler la pensée magique ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Une très belle phrase de quelqu'un, dont je n'ai jamais retrouvé le nom, dit : "La civilisation, nous la créons pour lutter contre notre propre barbarie."
Je serais très heureuse d'en connaître l'auteur car je pense que c'est très vrai.
Pardon, je vous ai interrompu.
Auditeur 7.
-Il y a une petite contradiction entre le fait que la civilisation et la culture soient là pour contrôler la pensée magique et le fait que la pensée magique, dans toutes les cultures, existe, et un peu de la même façon.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Exact.
Alors, il y a plusieurs façons de parler de civilisation.
La civilisation, dans le cas où elle est un ordre social large, à l'évidence, elle a pour but aussi de contrôler la pensée magique, d'éviter l'anarchie.
Auditeur 7.
-Bon.
C'est tout.
Merci.
Auditrice 3.
-Bonsoir.
Merci pour cette conférence extrêmement intéressante.
J'aurais voulu savoir quelle est la différence, pour vous, entre la pensée magique et l'instinct, l'intuition qu'on peut avoir sur certaines choses.
On ignore d'où ça vient, mais ça peut nous guider.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-L'instinct n'a rien à voir car les êtres humains ont perdu leur instinct, en faveur, justement, de leur pensée, qu'elle soit magique ou pas.
Je ne sais pas ce qu'est l'intuition.
L'intuition, c'est une pensée rapide.
Qui peut se tromper, au demeurant.
C'est une pensée qui n'est pas raisonnée, méthodologiquement.
Je pense aux enfants qui réussissent à résoudre un problème de mathématiques, sans passer par les différentes étapes.
Ils arrivent à la conclusion, qui est bonne.
Ensuite, il faut les torturer pour qu'ils remontent à la première étape et redescendent étape par étape.
C'est de l'ordre de l'intuitif.
C'est rapide et efficace.
Mais ça peut se tromper aussi.
Ensuite, il y a l'intuition au sens philosophique du terme.
Ça, c'est Descartes : "Je pense, donc je suis."
L'intuition signifie que c'est une connaissance immédiate.
Improuvable, mais immédiate, et dont je suis certain.
Sinon, je ne vois pas d'intuition dans le sens : "Je devine aujourd'hui ce qu'il va m'arriver dans trois jours."
Là, on entre dans des domaines flous, un peu perturbants.
J'ai du mal avec ça.
Auditrice 3.
-Merci.
Auditeur 8.
-Je voulais juste vous faire remarquer que nos ancêtres les Gaulois aussi faisaient des sacrifices humains.
Et, je pense, dans les auteurs, il manque Edgar Morin, qui est au moins aussi scientifique que vous.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Il n'est pas anthropologue.
Je n'ai cité que les anthropologues.
Auditeur 8.
-Mais juste une citation sur son cheval de bataille, sur la pensée complexe : "Il ne s'agit pas de reprendre l'ambition de la pensée simple, qui est de contrôler et de maîtriser le réel.
Il s'agit de s'exercer à une pensée capable de traiter avec le réel, de dialoguer, de négocier avec lui."
Qu'en pensez-vous ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Très franchement, je n'en pense rien car la pensée complexe, je n'ai toujours pas réussi à comprendre.
J'attends que quelqu'un m'explique, aussi scientifiquement que possible, ce qu'est la pensée complexe.
Et non pas comme une incantation.
Parce que dire que le monde est complexe, on est bien d'accord.
Ce qui a été étonnant dans l'histoire de l'humanité, c'est de penser qu'il était simple.
Pas l'inverse.
Le monde est complexe.
Depuis que Poincaré a découvert la loi des trois corps, on sait que même la mécanique céleste ne peut être calculée d'une manière déterministe et prévisible.
Donc, que la complexité existe, on est bien d'accord.
Bravo, Edgar Morin.
C'est très bien d'avoir dit : "La pensée complexe existe."
Pardon, "la complexité existe."
Maintenant, la question devient : "Que peut faire ma pensée, sa pensée à lui, notre pensée à nous, avec cette complexité ?"
Le monde est complexe, on est d'accord.
Ensuite, que fait-on ?
C'est là où j'ai un véritable embêtement car mon épistémologie, mon mode cognitif est fait pour analyser, pour diviser, pour catégoriser, comparer, trouver des liens de causalité.
Il ne peut pas penser, en tout cas pas le mien, la complexité.
La complexité est au-delà de mes capacités.
J'attends la science de la complexité.
Elle n'est toujours pas venue.
Auditeur 8.
-Ce n'est pas moi qui vais vous l'expliquer, mais il a écrit au moins cinquante bouquins...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je connais bien Edgar Morin, je n'ai pas de souci avec ça.
J'ai un souci avec le mantra de la complexité, en l'absence de méthode de résolution des problèmes complexes.
J'attends la résolution des problèmes complexes pour avoir accès à une connaissance.
Auditrice 4.
-Oui.
J'ai une question...
Je suis là.
Auditrice 4, puis Nayla Farouki.
-Oui, je vous ai vue.
-Pardon.
J'ai une question par rapport à la question de tout à l'heure.
Vous avez qualifié la pensée magique, comme si elle nous élèverait pas.
Mais qu'est-ce qui ferait que ça ne nous élèverait pas ?
J'ai l'impression que quand on croit vraiment au magique, on a tendance à déclencher peut-être des opportunités de vie qui ne se passeraient pas, si on était dans un réalisme pur et dur.
Moi, j'ai plus l'impression que ça nous élève.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-C'est très bien si c'est le cas pour vous.
Dans les cas que ces auteurs décrivent, par exemple, j'ai essayé d'être objective, ça n'élève pas car c'est une pensée qui n'avance pas.
C'est une pensée qui s'installe, qui se solidifie.
Chez eux, je parle des anthropologues.
C'est une pensée qui fait du surplace, avec des outils différents, mais du surplace.
C'est un peu comme l'astrologie, pour ne pas la nommer.
Vous pouvez faire de l'astrologie comme les Mésopotamiens, vous pouvez la faire avec des ordinateurs hautement compliqués, etc.
Mais l'astrologie reste l'astrologie.
Elle est fossilisée au niveau de la connaissance.
Parce que les enchaînements causaux qu'elle prédit, qu'elle prévoit, elle est incapable de les expliquer.
C'est pour ça que cette pensée magique-là est une pensée entropique.
C'est le niveau le plus bas de la pensée.
Ensuite, il faut monter au-dessus.
Pourquoi pas le faire avec de la pensée magique ?
Se dire : "Pourquoi cela marche-t-il ?"
Peut-être que les spécialistes du cerveau nous expliqueront un jour pourquoi la pensée marche.
À ce moment-là, ce sera une vraie avancée.
Auditrice 4.
-Mais vous pensez quoi du fait que des gens puissent penser qu'on crée notre réalité à travers nos pensées et que le monde extérieur ne serait que la manifestation de nos pensées et de nos croyances ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je n'ai pas compris.
Auditrice 4.
-Qu'on crée notre réalité à travers nos pensées...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je ne pense pas qu'on crée complètement notre réalité.
On crée une partie de notre réalité, dans nos relations avec les gens, dans notre coloration du monde, dans notre appréhension du monde au travers de nos émotions et de notre pensée magique.
Mais une partie du monde est réfractaire au constructivisme.
Si j'avance vers le mur, je me cogne.
Et je ne peux pas nier que le mur existe.
La coordinatrice.
-Est-ce qu'on peut prendre une dernière question ?
Auditeur 9.
-Merci.
Je voulais revenir sur une question qui a déjà été posée.
Vous dites que le monothéisme s'est longtemps opposé à la pensée magique.
Déjà, l'Église catholique s'est longtemps opposée à la science.
Plus aujourd'hui, mais c'était vrai, du temps de Galilée.
Et l'Église catholique nous vend toujours le paradis, la résurrection du Christ et la vie éternelle.
N'est-ce pas de la pensée magique ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Le paradis, la résurrection du Christ, etc., si vous voulez qu'on entre en exégèse, j'en suis capable, mais on se donne 2 heures de plus.
Auditeur 9.
-Je ne sais plus ce que veut dire "exégèse".
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-C'est prendre les textes de la Bible et essayer de les comprendre d'une manière aussi rationnelle que possible.
Le paradis, ce n'est pas seulement le folklore.
Ce n'est pas seulement Dante, vous voyez ?
Par contre, l'Église ne s'est pas opposée à la science.
Elle était convaincue d'une science : la science d'Aristote.
Donc, quand Galilée est venu remettre en cause la science d'Aristote, l'Église a eu la non présence d'esprit de maintenir les thèses aristotéliciennes.
Les thèses de l'Église sont celles d'Aristote.
Et la raison pour laquelle les thèses d'Aristote marchaient si bien, c'est que, à l'époque, on ne connaissait pas le principe d'inertie.
Et ne connaissant pas ce principe, il était pratiquement impossible de convaincre qui que ce soit de raisonnable, à défaut de rationnel, que la Terre puisse bouger, tourner, sans qu'on s'en aperçoive.
Vous voyez ?
Les raisons...
Galilée a eu la foi du charbonnier en Copernic et dans ses recherches à lui sur l'inertie, qui était fondée.
C'est seulement Newton, ensuite, qui a développé tout ça.
Mais à l'époque de Galilée, lorsqu'il disait : "La Terre tourne", la réponse était la même qu'au temps d'Aristote : "Montrez-nous pourquoi les oiseaux qui quittent l'arbre ne sont pas obligés d'y retourner, pourquoi une pierre qui tombe ne descend pas un peu plus loin."
Il y avait des raisons évidentes de refuser la thèse du mouvement de la Terre.
Les Grecs disaient : "Il faut sauver les apparences."
Si vous n'y arrivez pas, ce n'est pas de la science.
La coordinatrice.
-Madame Nayla Farouki, encore merci beaucoup.
A écouter (1:25:08)
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"Cité des sciences et de l'industrie"
Les conférences
"Le cerveau, entre raison et émotion"
Mardi 7 mars 19h00
"Quand la pensée magique s'impose"
Avec Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences, conseiller scientifique auprès du CEA de Grenoble.

Avec le soutien de Pour la science

Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences, conseiller scientifique auprès du CEA de Grenoble.
-Bonsoir à tous et à toutes et merci beaucoup d'être là.
Et merci à la Cité des Sciences et à Nedjma de m'avoir invitée et proposé ce sujet.
J'aurais pris l'avion pour venir pour une thématique pareille.
Donc, quand Nedjma m'a dit qu'on me proposait de parler de la pensée magique, j'ai sauté sur l'occasion d'en parler avec vous parce que la pensée magique, c'est quelque chose qui nous laisse souvent très perplexes.
Nous l'avons tous, nous la vivons tous.
Et parfois, nous la vivons avec un petit rire jaune.
Parfois, nous la vivons avec beaucoup d'inquiétude.
Et c'est de cela que je voudrais vous parler.
Je vais faire un exposé passablement austère.
Je ne vais pas vous raconter des contes de fées.
Je ne vais pas vous montrer des images de sorcellerie, de vaudou, etc.
Je vais essayer de focaliser sur les concepts.
Donc, le PowerPoint que j'ai fait, tout aussi austère que ma conférence, sera juste une aide à la conceptualisation.
En fait, comme je vous le disais, elle n'est pas conceptualisable, la pensée magique, car c'est la pensée spontanée, sans réflexion, celle qui nous arrive avec des émotions parfois extrêmement fortes, extrêmement violentes aussi.
Donc, pouvoir la cerner dans une définition simple, comme on cerne un triangle ou un cercle dans une définition simple en mathématiques, c'est pratiquement impossible.
Donc, on va essayer de faire tout un parcours : Comment les gens la ressentent ?
Qui l'a découverte ?
Comment peut-on montrer d'où elle vient et comment elle fonctionne ?
Et je répondrai à vos questions.
Surtout, j'échangerai avec vous parce que je suis à votre niveau et vous êtes au mien, pour ce qui concerne la pensée magique.
On est tous égaux.
Petite précision : Il n'est pas sûr que j'aille jusqu'à l'heure.
Donc, quand j'aurai terminé, la porte des questions sera ouverte et j'en discuterai avec vous aussi longtemps que vous le souhaiterez.
Déjà, je vous ai alertés sur le fait que ça ne va pas être simple.
Ce n'est pas que ce n'est pas simple parce que c'est compliqué.
Ce n'est pas simple parce que c'est confus.
Ce n'est pas la même chose.
Ça peut être compliqué.
Il y a des domaines de la science ou de la philosophie, qui sont effroyablement compliqués ou complexes.
Ce n'est pas ça, la pensée magique.
La pensée magique, c'est une espèce de fantôme, une entité indéfinissable, qui nous envahit tous à des occasions, qui nous quitte à d'autres occasions.
Donc, pour pouvoir la maîtriser, on ne peut l'attraper que par bribes.
Celui ou celle d'entre vous qui, à la fin de ma présentation, pourra faire un schéma complet, je l'attends avec plaisir.
Je vais commencer par...
Comment certains ont défini la pensée magique, en disant : "C'est de la pensée magique qu'on sort."
En d'autres termes, la pensée magique est à un niveau, et quand vous réfléchissez 2 secondes, ou 2 heures ou 3 jours, vous sortez de la pensée magique.
C'est comme si la pensée magique était entropique, en quelque sorte.
C'est le niveau zéro de la pensée, si j'ose dire.
Ce n'est pas une non-pensée.
C'est une pensée, mais elle est à un degré de spontanéité tel qu'on tombe dans la pensée magique.
Quand je dis "on tombe", ce n'est pas une insulte.
N'importe qui d'entre nous tombe tout le temps dans la pensée magique.
Du coup, j'ai pris quelques éléments chez des personnes qui disent que la pensée magique, c'est "ce dont on sort", et comme j'aime beaucoup Daniel Pennac...
Autant que je fasse le plan, quand même, avant.
Je vais commencer par définir, dans la mesure du possible, la pensée magique.
Ensuite, je ferai quelques précisions sur le positionnement que je tiens par rapport à cette pensée, parce que comme nous sommes tous dans la pensée magique, je ne veux pas que l'on se sente mal à l'aise avec elle ou avec le fait de la commenter ou de la critiquer.
Ensuite, je ferai une introduction à l'anthropologie, puisque ce sont les anthropologues du XIXe siècle, en gros, depuis 1850 jusqu'à Claude Lévi-Strauss, jusqu'aux années 1950, qui ont découvert, médusés, l'existence de la pensée magique et qui ont essayé de la décrire.
Eux, les pauvres, étant anthropologues, ils se considèrent comme scientifiques, donc ils ont essayé de la décrire avec autant d'objectivité, de neutralité possible.
Mais aussi avec l'énorme surprise de voir qu'ils rencontraient des gens qui ne pensaient pas comme l'homme rationnel occidental de la fin du XIXe siècle.
Il y a un ordinateur qui me bouche la vue par rapport à vous, ici.
Je vais zigzaguer.
Ensuite, je parlerai des modes de fonctionnement de la pensée magique.
Ça va être le cœur du sujet.
J'ai fait un maximum d'efforts pour essayer de faire une liste de ce qu'on pourrait appeler "les mécanismes", "la manière dont la pensée magique fonctionne".
Je traiterai de la pensée magique chez l'enfant, car elle est chez l'enfant aussi.
On a tous été des enfants.
Ensuite, je ferai une petite conclusion prémonitoire et assez pessimiste.
Je vais essayer de faire un peu d'humour pour alléger le côté obscur de tout cela.
La définition de la pensée magique...
je vais commencer par celui qui dit qu'il faut en sortir, et comme il dit dès l'enfance, j'ai pensé que c'était intéressant de vous livrer sa pensée.
C'est Daniel Pennac, qui dit ceci : "C'est peut-être cela, enseigner : en finir avec la pensée magique, faire en sorte que chaque cours sonne l'heure du réveil."
C'est quoi, le réveil dont l'heure est supposée sonner ?
C'est le réveil à la prise de conscience, bien évidemment.
Ce n'est pas l'instruction, l'information.
Ce n'est pas 2 plus 2 égale 4.
Ce n'est pas les capitales des pays du monde.
C'est le réveil au fait que je suis un être humain, individu, sujet autonome, et que la parole du professeur est là pour m'aider à prendre conscience des choses et non pas à me remplir le cerveau ou bien à m'influencer par son autorité.
J'ai trouvé cela très intéressant parce que, vous le savez, Pennac a été enseignant pendant très longtemps, il l'est peut-être toujours, d'ailleurs, et cette idée d'être vigilant sur la pensée magique à l'école, je l'ai trouvée importante.
La plus célèbre évocation de la pensée magique, c'est celle de Max Weber.
Dans "Le Savant et le politique", Max Weber parle du "désenchantement du monde" par la science et la technologie, c'est-à-dire la sortie de la pensée magique en raison des sciences et des technologies.
Le mot "désenchantement du monde" ne vient pas de Weber, mais d'un autre philosophe allemand, je ne sais plus lequel.
Je voudrais que nous lisions ensemble attentivement ce que Max Weber dit.
Dans mes cours sur la pensée magique, en général, je commence avec ça.
"L'intellectualisation et la rationalisation croissantes ne signifient donc nullement une connaissance générale croissante des conditions dans lesquelles nous vivons.
Elles signifient bien plutôt que nous savons ou que nous croyons qu'à chaque instant, nous pourrions, pourvu seulement que nous le voulions, nous prouver qu'il n'existe en principe aucune puissance mystérieuse et imprévisible qui interfère dans le cours de la vie."
"Puissance mystérieuse et imprévisible", c'est la pensée magique.
"Bref, que nous pouvons maîtriser toute chose par la prévision.
Mais cela revient à désenchanter le monde."
Le mot "enchantement", comme dans "Merlin l'enchanteur", ne signifie pas l'émerveillement devant la beauté des choses.
Il signifie, au contraire, la prise de pouvoir des forces surnaturelles, des forces mystérieuses.
Un lieu enchanté est un lieu habité par des entités que nous ne maîtrisons pas.
"Il ne s'agit plus pour nous, comme pour le sauvage qui croit à l'existence de cette puissance, de faire appel à des moyens magiques, en vue de maîtriser les esprits ou de les implorer, mais de recourir à la technique et à la prévision."
Avant le paragraphe que je vous ai cité, je suis repartie en arrière, deux paragraphes au-dessus.
Il prend l'exemple du tramway, très intéressant, surtout quand on en parle à des étudiants en sciences et en technologie, car il parle du tramway de Vienne, il y a un siècle.
"Celui d'entre nous qui prend le tramway n'a aucune notion du mécanisme qui permet à la voiture de se mettre en marche, à moins d'être un physicien de métier.
Nous n'avons d'ailleurs pas besoin de le savoir.
Il suffit de pouvoir compter sur le tramway et d'orienter en conséquence notre comportement, mais nous ne savons pas comment on construit une telle machine en état de rouler."
Autrement dit, si elle tombe en panne, on va chercher l'ingénieur.
On ne va pas implorer les puissances surnaturelles.
Il continue : "Le sauvage, au contraire, connaît incomparablement mieux ses outils."
Je suis violemment en désaccord sur cette dernière phrase parce que, très probablement, le sauvage connaît très bien la manière de manipuler ses outils, mais s'il utilise un levier, avant Archimède, il ne connaissait pas les lois du levier.
Donc, il ne connaît pas mieux ses outils.
Il les manipule bien.
L'aspect méthodologiquement scientifique ou rationnel de l'utilisation d'un levier n'était pas quelque chose que le "sauvage", comme il dit, connaissait.
Bien évidemment, il ne le connaissait pas.
Comme il a utilisé le mot "sauvage", je vais en profiter tout de suite pour faire une précision sur le positionnement, pour que vous ne soyez pas choqués.
La pensée magique, on l'appelle aussi "la pensée sauvage" et aussi "la pensée primitive".
Il y a eu des tas de débats sur ces mots, disant : "Comment pouvez-vous traiter, du haut de notre civilisation occidentale, la pensée primitive, comme si elle était inférieure ?"
Etc.
Il n'y a rien de cela dans cette terminologie.
La pensée magique est universelle, elle est en nous tous.
Au XIXe siècle, on parlait de "pensée primitive".
On a parlé de "pensée magique".
Claude Lévi-Strauss a parlé de "pensée sauvage", jouant sur les mots avec la fleur.
Mais les mises au point étaient nécessaires.
Donc, je tiens à vous dire que dans toute cette présentation négative, ou prudente, disons, de la pensée magique, il n'y a aucun racisme.
Nous sommes tous dans la pensée magique.
Il n'y a aucun mépris.
Chacun de nous est susceptible, à n'importe quel moment, de tomber dans la pensée magique.
Il n'y a aucune condescendance et il n'y a aucune insulte.
"La pensée magique est en chacun de nous.
Elle est la donnée universelle de l'esprit humain."
Pourquoi est-elle la donnée universelle de l'esprit humain ?
Aujourd'hui, dans le train, je me suis dit : "Mieux que tous ces mots-là, je voudrais l'appeler 'la pensée spontanée'".
La pensée spontanée, c'est celle qui apparaît sans réflexion.
Souvent, elle est liée à des émotions extrêmement fortes.
Après tout, entre raison et émotion, on est dans la thématique.
Elle est souvent liée à des émotions très fortes, qu'elles soient bonnes ou mauvaises.
Et les mauvaises sont souvent plus fortes que les bonnes.
Et cette pensée-là est susceptible de nous toucher individuellement, familialement, collectivement, socialement, nationalement.
Il n'y a pas de limite à la manière dont la pensée magique affecte les êtres humains.
Bien sûr, elle nous affecte surtout, comme Nedjma vous a dit, au travers de la médecine, de l'alimentation...
Et là, chacun d'entre nous aura des exemples.
Mais elle nous touche aussi dans des tas d'autres domaines et c'est ça qu'il s'agit d'expliquer.
Pourquoi la pensée magique est-elle aussi universelle, aussi omniprésente chez les humains ?
Et comment fait-on pour en sortir ?
La première question qui va se poser sera forcément : "Comment fait-on pour en sortir ?"
Qu'est-elle et comment fait-on pour en sortir ?
En sortir, c'est ce que Weber appelait "le désenchantement".
Donc, on va voir comment "désenchanter".
Ce sont des recettes.
Il s'agit de toutes les tentatives de sortie de la pensée magique.
Donc, on va essayer ensemble de voir quels sont les soutiens, les piliers que nous avons, même si on tombe dans la pensée magique, pour en avoir conscience et ensuite pour pouvoir se dire qu'on en sort.
Les tentatives de sortie de la pensée magique sont l'expression d'un effort continu, avec des rechutes.
Je vous le disais, c'est très difficile de ne pas rechuter face à des moments d'émotions fortes.
Elles sont fondées sur la rationalité.
Ce que j'appelle "rationalité", c'est la réflexivité, c'est-à-dire la capacité de se penser soi-même, de se dire : "Que suis-je en train de faire ?
De penser ?
De dire ?
Et pourquoi fais-je cela ?"
Cette réflexivité-là est très récente.
En fait, elle est tellement récente qu'elle date de saint Augustin.
C'est le "Je pense, donc je suis" de Descartes, qui avait été déjà dit, un peu plus d'un millénaire plus tôt, par saint Augustin.
Si je doute, c'est que je pense.
Si je pense, c'est que j'existe.
Ça, c'est une attitude de réflexivité.
Et la méthode, c'est-à-dire les principes de la logique élémentaire : "Ai-je raison de penser que ceci est relié avec cela ?
Et comment puis-je vérifier si c'est exact ou si c'est faux ?"
À partir de ce moment-là, on peut, sinon se dégager complètement de la pensée magique, en tout cas, avoir un certain recul par rapport à elle, au quotidien.
Ces tentatives de désenchantement ont eu un moment de gloire au XVIIIe siècle, je vais arriver à Kant.
Ensuite, elles ont chuté à cause du romantisme, parce que le romantisme a, à bien des niveaux, essayé de remettre l'émotion au-delà de la raison.
La raison, pour le romantisme, devenait quelque chose d'austère et de calculateur, etc.
Et l'émotion devait être le principe moteur de l'être humain.
Donc, avec l'émotion, bien évidemment, la pensée magique revient en force.
Vous le voyez dans les mythes allemands, dans les mythes de Wagner, de Goethe, etc., dans toute une mythologie romantique.
Souvent aussi les tentatives de sortie de la pensée magique sont mal comprises.
En d'autres termes, il y aurait même une pédagogie de la sortie de la pensée magique à faire.
Un peu comme le dit Pennac.
Et parfois, la pensée rationnelle peut être instrumentalisée par la pensée magique.
C'est-à-dire qu'on est tellement enfermés dans notre pensée magique qu'on va la rationaliser, au point de la rendre quasiment rationnelle, alors que les fondements sur lesquels se base ce que nous sommes en train de dire sera de la pensée magique.
Mais les tentatives de sortie de la pensée magique ont un point commun essentiel : Elles sont toutes subversives, c'est-à-dire qu'elles n'acceptent pas l'ordre social et elles n'acceptent pas l'ordre collectif.
Je vais revenir à ça, après les anthropologues, car c'est très important.
La sortie de la pensée magique défait les ordres dans lesquels les groupes, les clans, les chapelles, les sociétés, les maîtres à penser, les gourous, etc., voudraient nous enfermer.
En d'autres termes, la pensée magique a une autorité sur nous, et le fait de désenchanter enlève froidement cette autorité.
Cette subversion, vous l'imaginez, n'est pas appréciée par tout le monde.
Donc, quand Kant écrit les dix pages qui s'appellent "Qu'est-ce que les Lumières ?", c'est exactement ce qu'il dit, sauf qu'il pense, lui, aux autorités de son époque, c'est-à-dire, le roi et le pape.
En gros, l'autorité royale et l'autorité religieuse.
Et il prône la sortie de ces deux autorités de la manière suivante : "Qu'est-ce que les Lumières ?
C'est la sortie de l'homme de sa minorité dont il est lui-même responsable.
Minorité, c'est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d'autrui, minorité dont il est lui-même responsable", "???"
en allemand, "puisque la cause en réside non dans un défaut de l'entendement, mais dans un manque de décision et de courage de s'en servir sans la direction d'autrui."
Et il continue, vous devez connaître, c'est célèbre : "Ose penser, aie le courage de te servir de ton propre entendement.
Voilà la devise des Lumières."
Bien sûr, quand on dit, comme il dit : "Servez-vous de votre entendement", la réaction immédiate sera : "C'est trop facile.
Comment me servir de mon entendement face à un médecin qui en sait beaucoup plus sur ma maladie ?
Comment me servir de mon entendement face à une défaillance dans un avion que seuls les mécaniciens peuvent réparer ?"
Donc, se servir de son entendement, ce n'est pas affronter une connaissance par une ignorance, c'est surtout accepter d'utiliser son propre entendement à bon escient, pas n'importe comment, ni dans n'importe quelles circonstances.
C'est-à-dire ne pas obéir.
C'est pour ça que je disais : "Attention à la subversion."
La subversion par la rationalité consiste à dire froidement : "N'obéissez pas."
Alors, que s'est-il passé au XVIIIe siècle ?
Avant le XIXe siècle, l'Église connaissait la pensée magique et elle s'en méfiait.
Il y avait des sorciers.
Il y a eu des procès en sorcellerie.
Des choses extrêmement sombres se sont passées dans le monde médiéval.
Mais avec la conscience d'une Église, parfois très diplomate, qui, en fait, a essayé de cadrer tout ce qui était magique en le réintégrant dans le cadre des institutions de l'Église.
C'est comme ça que vous avez les saints, les reliques, les pèlerinages, tout un tas de choses.
Les fêtes qui se situent précisément au moment où les fêtes païennes devaient avoir lieu.
Donc, l'Église a réinterprété toute la pensée magique, l'Église catholique, a réinterprété une bonne partie de la pensée magique qui existait, de manière à la réintégrer dans un champ chrétien.
Mais au XIXe siècle, les anthropologues se sont mis, eux, à parcourir la planète.
Ils ont été en particulier en Afrique, en Amérique latine et en Amérique du Nord, chez...
Comment les appelle-t-on ?
On ne parle plus des Indiens.
Les...
Les ?
Les Amérindiens...
Enfin, ça change encore ces jours-ci.
Ils ont été en Australie, bien évidemment, et dans toute la multitude d'îles, Polynésie, Micronésie, etc., à la rencontre de peuplades, de toutes petites communautés, qui n'ont pratiquement jamais eu de contact avec la civilisation.
Ils se sont installés respectueusement chez eux ou bien ils ont transporté des documents.
Certains ont travaillé "live", d'autres ont travaillé à partir de textes.
Et l'idée était d'essayer de comprendre comment leur raisonnement fonctionne.
Et c'est là qu'ils ont découvert la pensée magique, donc à partir des années 1850.
À partir des années 1950 et au-delà, des peuples qui ne connaissent rien à la science, à la technologie, il n'en existe pratiquement plus.
Ça devient beaucoup plus dur de traiter de ces questions-là.
Mais on a un énorme corpus d'anthropologues voyageurs ou commentateurs, que je vous invite à consulter, si cela vous intéresse.
Je les ai mis tous en bloc.
Non, pardon.
Ce n'est pas exhaustif, comme liste.
J'ai essayé d'aller depuis quelques-uns des plus anciens jusqu'à ceux qui vivent encore actuellement, comme Maurice Godelier, Philippe Descola, etc.
Et dans toutes ces situations-là, vous avez des gens qui ont...
La plupart de ces livres sont en ligne.
Vous pouvez les trouver intégralement en ligne, et d'autres.
Tous ces gens-là ont essayé de décrire ce qu'ils percevaient, de raconter ce qu'ils voyaient comme mode de raisonnement, chez les peuples qu'ils ont rencontrés.
J'ai une sympathie particulière pour Marcel Mauss.
Vous savez peut-être qu'il est le neveu de Durkheim, ils ont beaucoup travaillé ensemble.
J'aurais pu mettre Durkheim sur la liste.
J'ai beaucoup de sympathie pour Marcel Mauss.
1 : Il a une thèse extrêmement puissante sur les modes de fonctionnement de la pensée magique.
2 : Il ne s'est pas contenté d'aller regarder comment cela fonctionnait chez des peuples lointains.
Il est revenu regarder comment ça fonctionnait dans le Berry, dans la Beauce profonde, un peu partout en France.
Et il s'est dit : "Mince, c'est la même chose."
Ce ne sont pas les mêmes représentations, les mêmes analogies, mais, en gros, les mécanismes de la pensée magique...
Marcel Mauss a fait beaucoup pour le fait d'admettre que la pensée magique est une pensée universelle.
Ce n'est pas seulement là-bas, c'est aussi ici.
Je voulais vous parler, justement, de cette thèse de Marcel Mauss, car je pense que c'est l'une des plus importantes.
La pensée magique, pour lui, c'est la pensée collective.
Vous pouvez avoir une pensée magique minimale individuelle, chez vous, en fonction de vos expériences personnelles.
Mais la pensée magique va se faire confirmer ou réfuter par la manière dont le collectif ou les autorités qui sont autour de nous vont nous la faire vivre.
Il le dit de la manière suivante : "Il n'y a que des besoins collectifs, ressentis par tout un groupe, qui puissent forcer tous les individus de ce groupe à opérer dans le même temps, la même synthèse.
La croyance de tous, la foi, est l'effet du besoin de tous, de leurs désirs unanimes.
Le jugement magique est l'objet d'un consentement social, traduction d'un besoin social sous la pression duquel se déclenche toute une série de phénomènes de psychologie collective : le besoin ressenti par tous suggère à tous la fin.
Entre ces deux termes, une infinité de moyens termes sont possibles.
De là, la variété extrême des rites employés pour un même objet.
Entre ceux-ci, le choix s'impose.
Et il vient soit de la tradition, soit de l'autorité..."
On retombe sur l'autorité dont Kant avait parlé dans un autre contexte.
"D'un magicien en renom, soit de la poussée unanime et brusque de tout le groupe."
Cet enchantement...
Actuellement, à la télévision, on parlerait "d'hystérie collective", quelque chose qui ressemble beaucoup à la pensée magique en cette époque de post-vérité, n'est-ce pas ?
Mais cet enchantement signifie que la totalité du groupe se met à croire quelque chose.
Je ne parle pas des monothéismes, c'est encore un autre cas.
L'ensemble du groupe se met à croire en quelque chose et à se fier, dans sa croyance en ce quelque chose, à l'autorité de quelqu'un.
Quelqu'un d'immanent, ce n'est pas le Dieu transcendant.
Ça peut être le prêtre ou le curé, mais aussi le sorcier du village, le gourou, monsieur le Maire.
Ça peut être le prof d'école, par exemple.
Ce sont des gens face auxquels on se soumet.
Lorsqu'on se soumet, c'est collectivement.
Car il devient très difficile de se sortir tout seul de la soumission collective qui est adressée à l'autorité en question.
Ça peut même être dangereux.
Les caractéristiques de la pensée magique : Elle est obscure, identifiable, mais difficilement analysable.
Confuse, mais pas complexe.
Elle est agissante, c'est important.
Avec la pensée magique, vous pouvez jeter un sort à quelqu'un, faire de la magie, créer quelque chose, guérir quelqu'un, tuer quelqu'un, envoûter quelqu'un.
Donc, il existe dans la croyance dans la pensée magique des forces entre les mains de certaines personnes et elles ne sont entre les mains de ces personnes que parce que les autres y croient.
C'est comme l'hypnose.
Quand vous ne voulez pas vous faire hypnotiser, l'hypnotiseur ne peut pas vous hypnotiser.
C'est la même chose.
La croyance doit être collective ou elle ne marche pas.
Elle est arbitraire, évidemment, car elle dépend de l'autorité ou de la puissance de celui qui l'exprime.
Et surtout, elle est holiste.
Elle ne tient absolument aucun compte d'une démarche analytique.
La démarche analytique vient avec la raison, avec la réflexivité.
Et la pensée ne connaît pas quelque chose qui serait capable de catégoriser les objets.
J'ai, avec Marcel Mauss, un exemple absolument délicieux à vous montrer immédiatement après.
Bien évidemment, elle est omniprésente, je l'ai assez dit.
Elle peut être violente car elle est forcément une aliénation par rapport à soi-même.
Et elle peut être morbide, lorsqu'elle touche des émotions morbides, c'est-à-dire des désirs de mort ou de vengeance, ou bien de la peur, des choses de ce genre-là.
Je voulais vous donner un seul exemple, c'est le "mana" des Mélanésiens.
C'est archicélèbre, dans la pensée de Marcel Mauss.
Ceux qui ont fait de l'anthropologie, vous connaissez tout ça par cœur.
Voilà ce qu'il dit : "Le mana est une force.
Mais ce n'est pas simplement une force, un être, c'est encore une action, une qualité et un état.
En d'autres termes, le mot est à la fois un substantif, un adjectif et un verbe.
On dit d'un objet qu'il est mana pour dire qu'il a cette qualité.
Dans ce cas, le mot est une sorte d'adjectif.
On ne peut pas le dire d'un homme.
On dit d'un être, esprit, homme, pierre ou rite, qu'il a du mana, le mana de faire ceci ou cela.
On emploie le mot 'mana' aux diverses formes de diverses conjugaisons.
Il signifie alors avoir du mana, donner du mana, etc.
En somme, ce mot subsume une foule d'idées que nous désignerions par les mots de 'pouvoir de sorcier, qualité magique d'une chose, chose magique, être magique, avoir du pouvoir magique, être incanté, agir magiquement.' Il nous présente, réunies sous un vocable unique, une série de notions dont nous avons entrevu la parenté, mais qui nous étaient ailleurs données à part.
Il réalise cette confusion de l'agent, du rite et des choses qui nous a paru être fondamentale en magie."
C'est très important car ça montre d'une part, l'aspect confus, puisque le mot signifie une extraordinaire polysémie, pluralité de choses en même temps.
Et d'autre part, c'est holiste.
C'est-à-dire que, de toutes les façons, celui qui va utiliser ce mot pour justifier quelque chose, aura toujours le moyen de dire : "Si le serpent a tué quelqu'un, c'est parce que le mana du serpent était supérieur à lui.
Si lui a tué le serpent, c'est parce que son mana à lui était le meilleur."
Il y aura toujours une justification avec le mana.
Ce qui s'est passé avec les anthropologues, comme ça se passe souvent, dans de nombreuses sciences, surtout en sciences humaines et sociales, c'est que les chercheurs se sont divisés en plusieurs écoles et chapelles car il s'agissait aussi d'essayer de comprendre à quoi sert tout ça et comment ça marche.
Donc, ils se sont divisés.
Il y a des chapelles...
Tout le monde a accrédité l'idée que la pensée magique est universelle, qu'elle se trouve partout.
Certains en ont fait des études comparatives, comme Marcel Mauss, comparant les Mélanésiens et les habitants du Berry.
"La Mare au diable", George Sand.
D'autres ont essayé de confronter ça avec la pensée occidentale et de se dire : "Comment, nous, qui avons développé une pensée rationnelle, méthodologique, analytique, etc., pouvons aborder cette pensée ?
Et comment cette pensée peut-elle aborder la nôtre ?
Et pourquoi cela a-t-il divergé à un tel point ?"
Cela aboutit, évidemment, à un énorme relativisme culturel, qui consiste à dire que les adeptes d'une pensée magique, il faut respecter leur pensée, d'une part.
Ou bien carrément de dire, comme Philippe Descola, que la pensée rationnelle n'est qu'une des catégories de la pensée humaine, mais au même niveau que les autres, avec l'animisme, etc.
Donc, la pensée rationnelle ou l'animisme, par exemple, se mettent à devenir à égalité.
Évidemment, je ne suis pas d'accord.
La pensée rationnelle est une rupture avec la pensée magique.
Mais c'est une rupture difficile à accomplir.
J'arrive aux modes de fonctionnement...
J'espère que je ne vous ennuie pas trop.
C'est la partie principale de mon intervention.
J'ai appelé ça des "effecteurs".
C'est un mot de l'informatique, qui signifie "ce qui met en action".
Qu'est-ce qui fait bouger la pensée magique ?
Au tout départ, il y a un questionnement.
On s'interroge sur quelque chose.
Dans la vie d'un être humain, on s'interroge tout le temps sur beaucoup de choses.
Il est évident que le questionnement va aller vers la pensée magique et vers la pensée scientifique, comme il va aller vers la pensée philosophique ou religieuse.
C'est tout un champ très différent de réponses à un questionnement qui, lui, cherche en réalité une connaissance, un besoin d'expliquer quelque chose.
Ensuite, il y a l'anthropomorphisme : On va projeter sur les choses des qualités qui sont celles de l'être humain.
C'est relativement facile.
Nous le connaissons depuis très longtemps.
Cet anthropomorphisme ramène les choses vers nous.
Il nous donne l'impression que nous les comprenons mieux, dans la mesure où elles nous donnent l'impression qu'elles nous ressemblent.
Évidemment, ce n'est jamais vrai.
C'est extrêmement difficile de sortir d'une pensée anthropomorphique, en particulier dans une science expérimentale qui est la biologie, pour sortir de la notion de finalité.
De ne pas expliquer le comportement d'une plante comme si on expliquait le comportement d'un enfant, par exemple.
Il y a l'utilité car, en fait, on a besoin de la pensée magique.
Elle permet d'être efficace.
Pour un sorcier qui veut le pouvoir sur son clan, la pensée magique est géniale car elle va lui permettre d'asseoir son utilité par le biais de son efficacité.
Et même si son efficacité est fausse, ça n'a aucune importance, puisque les gens y croient.
Donc, de toute façon, il est garanti à partir de là.
Au pire des cas, il échoue, c'est lui qui est massacré, et quelqu'un d'autre prendra la place.
Car le besoin d'autorité, de toute façon, sera présent.
C'est une fonction sacrée.
Le sacré est quelque chose de terrible dans la vie de l'être humain car il se fonde sur la peur et sur l'interdit.
Sur la peur et, en particulier, la peur de la mort.
À partir du moment où on touche à des questions comme la mort, sa mort à soi, celle d'autrui, la mort de celui qu'on a envie de tuer, la mort de soi parce qu'on risque d'être tué par quelqu'un d'autre, l'ordre social se coagule, en quelque sorte, autour des fonctions sacrées, qui vont permettre de protéger le clan par rapport à cette crainte de la mort, et d'une manière terrifiante.
Vous savez, par exemple, que, dans les temps passés, on sacrifiait des enfants aux dieux, au pluriel.
Le fait de sacrifier son propre enfant à un dieu signifiait qu'on croyait très fortement à l'efficacité de cette action.
C'est-à-dire qu'on avait besoin de se protéger de la colère de ce dieu, ou bien on avait besoin de lui faire plaisir au point de lui immoler ce qu'on a de plus cher, et, donc, d'arriver au stade du sacrifice, y compris humain.
C'est pour ça que je vous dis que le monothéisme n'est pas là-dedans, puisque Abraham, le sacrifice interdit.
À un moment, dans le monothéisme, on a dit : "On arrête de sacrifier des êtres humains."
Il y a aussi la notion de fatalité, d'ordre cosmique, du fait...
Je vais le dire personnellement, du fait que j'aie le sentiment d'avoir un destin, que ma vie a une finalité, que cette finalité est gérée par des forces qui sont supérieures et que ces forces supérieures me donnent des signes.
Dans l'astrologie mésopotamienne, c'était ça : Les étoiles dans le ciel n'étaient pas les divinités.
Ce n'était pas Astarté, Ishtar, etc.
C'étaient des signes des divinités.
En d'autres termes, les divinités utilisaient le ciel pour dire aux humains si c'était le moment d'aller en guerre, de faire la paix, etc.
Donc, cet ordre cosmique dans lequel il y a des signes, tôt ou tard, n'importe qui d'entre nous, dans un hasard ou une coïncidence, s'est dit : "C'est le destin qui m'appelle" ou bien "c'est la fatalité" ou "je fais ça car je suis obligé de le faire", presque sans y réfléchir.
Mais dans les effecteurs de la pensée magique, il y a les effecteurs de la pensée scientifique.
Et c'est là où ça devient délicat de distinguer les deux, hors rationalité.
Parmi les effecteurs de la pensée magique, il y a l'analogie, c'est évident.
Il y a la causalité, qui est souvent source de superstition.
Il vous arrive trois, quatre fois la même chose, même si c'est complètement déconnecté, a priori, il devient très difficile, ensuite, de ne pas penser qu'il y a une connexion.
Je dis n'importe quoi : Je fais une fête, je rate mon examen.
La première fois, je me dis : "Tant pis pour moi, c'est ma faute."
La deuxième, troisième, quatrième fois, je me dis : "Il y a peut-être un signe, quelque chose en train de me dire que..."
Donc, on ouvre la porte à des généralisations non légitimes, uniquement parce que des causalités, qui ne sont pas de vraies causalités, ont conditionné notre mode de connaissance.
La substantialisation est extrêmement importante.
La substantialisation est essentielle car nous avons tendance, en pensée magique, à donner de la matière à des choses qui n'en ont pas.
Le mal, par exemple.
Le mal en tant qu'objet qui se déplace, qui passe de quelqu'un à quelqu'un d'autre, qui est contagieux.
Le mal dans le sens de "mauvais".
L'énergie.
L'énergie qui est un principe de physique, dont la définition, c'est "la capacité de produire du travail", se met à devenir substantialisée par les énergies positives, négatives, les énergies qui se promènent dans l'organisme, les énergies des mains du magnétiseur, etc.
On va retrouver cette substantialisation presque partout.
L'unité holistique, j'en ai déjà parlé, l'espace et le temps, l'enchaînement, la continuité des choses.
Il n'y a aucune rupture.
Le rite.
Si vous entrez dans un rite et s'il vous arrive quelque chose de mal, le jour où vous n'obéissez plus au rite, vous allez revenir dare-dare au rite car ça devient trop effrayant.
Y compris en alimentation.
Si vous avez un rite alimentaire particulier et que vous l'arrêtez une fois et que ça vous rend malade, le lendemain, vous reprenez votre rite.
Parfois, la maladie n'est pas nécessairement connectée avec le rite.
Mais le signe que ça va vous donner, c'est : "Attention, il ne faut pas interrompre le rite."
Quand le rite est individuel, chacun de nous peut le vivre dans sa cuisine.
Quand le rite est collectif, il devient encore plus puissant.
Et puis il y a le mythe.
Il est fondateur du collectif, c'est-à-dire ces espèces de grands narratifs auxquels on se raccroche car c'est à travers eux que l'on trouve sa propre appartenance.
Je ne dis pas son "identité", son appartenance car on est dans la tribalité, là.
Chaque tribu, langue, chapelle, y compris n'importe où dans les sociétés modernes, possède ses mythes fondateurs parce que c'est le mythe qui va unifier le groupe.
Et puis il y a les dualités.
Elles sont partout.
C'est ce contre quoi le christianisme a voulu se battre, dans les premières années de l'Église, contre le manichéisme, etc., puisque c'est l'anthologie du bien face au mal, mais c'est aussi l'anthologie de nous face à eux, c'est la tribu par excellence.
La lumière/l'obscurité, mâle/femelle, céleste/chtonien, etc.
Toutes ces dualités que vous retrouverez dans la pensée de l'école de Pythagore, qui, malgré sa rationalité en mathématiques, n'a pas réussi à se dégager des dualités qui existent dans toutes les sociétés païennes.
Quels sont les pièges ?
Ils sont évidents : Il n'y a pas de méthode, donc ça devient très difficile à analyser.
Il n'y a pas de démarche analytique, puisqu'il n'y a pas de méthode.
La charge émotionnelle est très forte.
En général, on plonge dans la pensée magique pour des raisons qui nous touchent fortement.
C'est pour ça que la médecine est souvent atteinte, ou l'alimentation.
Le corps, en général.
La charge est parfois collective, puisque la pression sociale aussi et l'appartenance vont jouer un rôle.
Il y a une non réfutabilité certaine puisque, malheureusement, on retombe constamment dedans.
La pensée magique donne l'impression d'être complètement transparente...
En d'autres termes, vous avez beau affronter la pensée magique avec la pensée rationnelle, ça ne marche pas, ça ne sert à rien.
Vous ne pouvez pas convaincre quelqu'un qui croit dans une pensée magique par le pouvoir de la raison.
À la limite, vous pouvez le convaincre par une autre pensée magique, qui le séduira davantage.
Les lieux de la pensée magique aujourd'hui.
Je n'entrerai pas dans les détails, puisque chacun de nous, et moi aussi, aura des histoires de pensée magique en médecine.
N'oubliez pas l'effet placebo.
La foi dans le médecin ou dans le médicament, qui a une puissance magique bien plus grande qu'on ne l'imagine.
Je veux dire le vrai médicament, pas le placebo.
Le médicament doté d'un principe actif, les gens le prennent comme une religion, parfois.
L'alimentation, évidemment.
La nature, je vais vous donner un exemple, car c'est très rigolo, et l'énergie, dont j'ai parlé, avec les ondes et les énergies positives et négatives.
La nature est un concept exceptionnel en pensée magique car c'est, à l'origine, un concept philosophique inventé par les philosophes grecs, c'est la "physis", la "matière".
Et la notion de nature, dans la pensée grecque, il ne s'agissait pas de la nature, puisque la nature, c'était le cosmos, mais du "naturel" par rapport à "culturel" ou à "artificiel".
C'était dans un lien d'opposition à quelque chose qui sort de la nature.
Et ce qui s'est passé avec la nature, c'est que, petit à petit, le mot lui-même a glissé vers des anthropomorphismes de plus en plus profonds, à tel point qu'elle s'est mise à devenir libre, sauvage, asservie, sacrée, agressive, intelligente, bienfaisante, vengeresse.
Vous trouverez ces mots dans tous les discours sur la nature.
La nature n'a strictement rien à voir avec ça.
Mais nous avons mythifié la nature à un tel point que nous lui avons donné des caractéristiques et des capacités qui sont bien au-delà de ce que le le concept seul est capable de faire.
Je vous dis, pour terminer, en trois mots, la pensée magique chez l'enfant, parce que Piaget en a parlé.
Il dit : "Avant de pouvoir structurer une situation complexe, l'enfant de 3-4 ans, comme le bébé de quelques mois, en présence des situations plus simples mais obscures à son point de vue, se borne à l'assimiler à l'acte qu'il faudrait exécuter et confère encore, grâce à une croyance résiduelle au pouvoir en soi de l'activité propre, une sorte de valeur absolue à ses gestes, ce qui revient à oublier momentanément que les choses sont des substances permanentes 'groupées' spatialement, sériées temporellement et soutenant entre elles des relations causales objectives."
Il est intéressant de voir que Piaget inverse l'ordre des choses.
C'est comme si l'ordre rationnel venait avant l'ordre magique.
Alors que, pour l'enfant, c'est l'ordre magique qui vient en premier.
J'ai oublié de vous dire un effecteur important de la pensée magique, chez tout le monde, y compris chez l'enfant.
C'est la parole, le verbe.
C'est le fait que quand vous dites quelque chose, il devient une réalité immédiatement.
Autrement dit, nous sommes tous Dieu dans la pensée magique.
On dit : "Que la lumière soit."
Et la lumière est.
Bien évidemment, le monothéisme a viré cette habitude.
Les caractéristiques de la pensée magique chez l'enfant, je les ai trouvées sur Internet, chez une psychiatre de l'enfant.
J'ai trouvé que c'était correct.
Elle parle d'une "pensée globale et syncrétique", c'est-à-dire qui mélange les opposés sans en faire une synthèse.
C'est une pensée réaliste, pour laquelle tout est réel.
Elle est égocentrique, puisque tout tourne autour de moi, l'enfant.
Elle est magique.
Et cette pensée mêle fiction et réalité, donc elle ne connaît pas la démarche analytique.
Ça, c'est l'enfant en dessous de 7 ans.
À partir de 7 ou 8 ans, ce genre de distinctions vont se faire et l'enfant va sortir de cette pensée magique-là, pour tomber dans la pensée magique des autorités, dont on a parlé plus haut.
Il y a un psychologue, qui n'est plus très connu, que je voulais remettre à l'ordre du jour car il est très sympa.
Il s'appelle Henri Wallon.
Il a été très connu dans les années 1950-1960.
Je voudrais vous lire ceci de lui.
Il dit : "Entre la représentation volontariste et magique du monde, qui s'observe dans les civilisations dites primitives, et celle qui s'exprime par les lois impersonnelles et nécessaires de la physique moderne, il a fallu une élaboration idéologique qui, dans tous les domaines de la connaissance, dépouillât graduellement les notions et les symboles de leur subjectivité initiale.
Si l'enfant n'est pas d'emblée capable de leur conférer l'objectivité qu'ils impliquent, il arrive aussi à l'adulte de ne pas savoir s'y tenir.
Dans la sensibilité de chacun persiste le confusionnisme primitif et c'est par une tension constante de l'effort intellectuel que sont maintenues les distinctions qui nous opposent les choses comme des réalités indépendantes."
L'objectivité est le premier facteur, selon lui, de sortie de la pensée magique.
Donc, l'objectivité est souvent difficile à maintenir.
Je voudrais conclure par des phrases prémonitoires.
Elles m'ont fait peur.
Ce n'est pas de la pensée magique.
Ce monsieur est un astrophysicien célèbre qui a eu son heure de gloire dans la vulgarisation, dans les années 1960-1970.
Il a fait une série de films appelée "Cosmos".
Il est beaucoup passé à la télévision.
Et il avait peur du retour de la pensée magique.
Je voudrais vous lire ce qu'il dit, phrase par phrase.
Je vous demande d'y réfléchir, en fonction de la situation d'hystérie collective dans laquelle on se trouve aujourd'hui par rapport aux "alternative facts", à la post-vérité, etc.
C'est comme s'il l'avait vu venir, mais il y a trente ans de cela.
Il parle de l'Amérique, évidemment.
"J'ai la hantise d'une Amérique du temps de mes enfants ou petits-enfants, où les USA seraient devenus seulement une société de services et d'information, où pratiquement toutes les industries manufacturières se seraient délocalisées vers d'autres pays, où les merveilles de la puissance technologique seraient réservées aux mains de quelques-uns, où les représentants de l'intérêt public seraient incapables de comprendre les défis qui se présentent à eux, où les gens auraient perdu leur aptitude à l'autonomie et leur capacité à interroger, en connaissance de cause, ceux qui ont le pouvoir, où nous nous accrocherions à nos boules de cristal et à nos horoscopes, où enfin, nos facultés critiques en déclin, nous rendraient incapables de distinguer entre bien-être et vérité, glissant ainsi, sans le remarquer, vers la superstition et les âges obscurs."
Je vous remercie.
Modératrice.
-Madame Nayla Farouki, merci beaucoup pour votre exposé, qui était passionnant, parfois surprenant.
En tout cas, qui nous éveille.
Et je pense que vous allez avoir beaucoup de questions.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Vous avez mon mail, si vous avez des questions subsidiaires.
Je réponds toujours.
Modératrice.
-J'en profite pour vous dire que si vous souhaitez revoir cette conférence, elle sera en ligne, au plus tôt...
Je n'ai pas demandé aux techniciens, mais on va dire au plus tôt, dans quinze jours, trois semaines.
Et quand ce sera prêt, vous pourrez la retrouver car je trouve que c'est une conférence importante, pour nous, pour l'avenir.
Nous allons passer aux questions.
La règle : Des questions plutôt courtes, avec des réponses courtes également.
Et pour le confort de notre invitée, s'il vous plaît, pourrez-vous vous lever ou lever la main, quand vous parlerez ?
Car dans la lumière, c'est difficile de vous voir.
J'ai déjà une première question à ma droite.
Auditrice 1.
-Bonsoir.
Merci pour cet exposé très enrichissant.
J'avais deux questions qui ne sont pas liées.
Pouvez-vous répondre aux deux ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-L'une après l'autre parce que j'oublie !
Auditrice 1.
-Vous avez évoqué "se servir de son entendement".
Avez-vous exprimé là l'idée du libre arbitre ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Absolument.
Mais du libre arbitre en termes de pensée.
On peut être enfermé chez soi et se servir de son entendement.
C'est-à-dire avoir une pensée libre, avant d'avoir une action libre.
Auditrice 1.
-Parce que la notion de libre arbitre commence à émerger.
C'est un terme assez explicite, me semble-t-il.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Oui, mais le libre arbitre est majoritairement considéré comme appartenant à l'action, pas à la connaissance.
Kant parle de la connaissance.
Vous lisez les choses et vous ne le prenez pas pour argent comptant.
Auditrice 1.
-Autre question : Où placer la magie du rêve nocturne ?
Parce que, à ce compte-là, on en fait tous l'expérience.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Le rêve nocturne ne dépend pas de nos facultés intellectuelles.
On rêve.
Il faut relire "L'Interprétation des rêves" de Freud, entrer dans des considérations psychologiques et psychanalytiques sur la nature du rêve.
On peut être dans des rêves qui sont magiques.
Pas dans le sens de "merveilleux", mais ça veut dire qu'il se passe des choses qui ne sont pas raisonnablement liées les unes avec les autres.
Mais comme c'est du rêve...
Auditrice 1.
-Non, mais la notion même de rêve qui fait abstraction du temps et de l'espace, c'est déjà en soi...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-J'ai compris.
Ce sur quoi je voudrais attirer votre attention, c'est que la pensée magique dans le réel, ce n'est pas du rêve.
Elle est rusée.
Elle a une finalité.
On sait vers quoi on va, on sait qui domine l'autre.
Vous voyez ?
Elle est floue et elle est un peu déconstruite, comme dans le rêve, c'est vrai.
Mais elle n'est pas le rêve.
Et malgré le fait que j'aie terminé sur la pensée magique de l'enfant, la pensée magique de l'adulte n'est pas du tout celle de l'enfant.
La pensée magique de l'enfant reste innocente.
La pensée magique de l'adulte ne l'est plus.
Auditrice 1, puis Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Merci beaucoup.
-Je vous en prie.
Auditeur 1.
-Bonsoir et merci.
Je suis un grand magicien.
La preuve, c'est que je suis barbu.
Je voulais vous dire aussi que j'exerce mes talents aussi dans la médecine ou la thérapie.
Et un truc qui me gêne toujours, depuis quarante ans que je le fais, c'est que beaucoup de personnes que je vois vont voir leur médecin et vont voir, pas forcément moi, mais vont voir aussi un thérapeute qui est plus ou moins magicien, sans dire à l'un qu'ils voient l'autre.
Ça, c'est quelque chose qui me gêne beaucoup.
Et je crois que ce serait bien qu'on arrive à intégrer la pensée magique et la pensée rationnelle.
Si vous pouvez m'éclairer là-dessus...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Ce qui serait très bien, c'est que les médecins de la Evidence-Based Medicine intègrent le fait que les gens en face d'eux ne sont pas dans une pensée rationnelle, surtout quand ça les concerne en particulier.
Nous allons chez le médecin en souffrance, chez le médecin ou chez n'importe qui à qui nous pouvons donner notre confiance pour alléger cette souffrance, avec le sentiment que la guérison viendra par une pensée magique.
Ça peut être la pensée magique du médicament, ça peut être la pensée magique du guérisseur, la pensée magique de la psychanalyse.
La dame est partie ?
Auditeur 1.
-C'est de l'autosuggestion aussi.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Ça peut être de l'autosuggestion.
C'est pour ça que j'ai parlé aussi de l'effet placebo.
Et c'est vrai que les gens en général, s'ils vont chez deux personnes sans le dire à l'une ou à l'autre, ils peuvent aussi aller chez trois médecins, puis se décider ensuite.
En général, on sélectionne...
Auditeur 1.
-Pourquoi ne peuvent-ils pas le dire aux médecins ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je spécule, là, parce que je n'y ai pas réfléchi.
Il est possible que ce soit dû au fait que le médecin est un représentant d'une autorité, et qu'ils pensent qu'ils vont avoir besoin de lui, peut-être, et qu'ils n'ont pas envie de lui dire qu'ils le trahissent.
C'est une relation affective.
Mais, à la limite, ils ne diront pas non plus à un médecin qu'ils ont été Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences, puis auditeur 1.
chez un autre médecin.
-C'est qu'ils ont peur.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Ils ont peur de l'autorité.
Je ne sais pas vous, mais quand on va chez le médecin, on est tout petit.
Et quand on va chez le médecin avec une cheville brisée, comme ça m'est arrivé, on est très petit.
On a besoin de lui.
Il devient...
La psychanalyse connaît ça très bien.
Elle appelle ça une "projection".
On va projeter sur lui.
Auditeur 1.
-J'aurais une autre question par rapport à ce que vous disiez à la fin, que maintenant, en théorie, d'après la science, nous sommes dans une société scientifique rationnelle.
Oui.
Mais, par exemple, on fait des centrales nucléaires qui peuvent exploser à tout moment et empoisonner tout un pays, on fait des bombes qui peuvent détruire vingt ou trente fois la planète, rationnellement, on peut exterminer toute vie sur la planète, on fait une économie où la plupart des gens n'ont plus à manger, on organise la société d'une manière où il n'y a plus de travail.
À mon avis, ce n'est pas magique, ça.
C'est de la folie pure.
Même quand un président des États-Unis, dont vous avez parlé, même ses propres partisans le disent fou et qu'il faut l'enfermer.
Mais on ne le fait pas.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Mais la pensée magique fait ça aussi.
Elle fait ça aussi chez nos cousins, les singes.
La violence de l'humain vers l'humain est universelle, qu'il y ait la technologie ou pas.
Le plus grand génocide qui a eu lieu à la fin du XXe siècle, c'était à coups de machette.
C'étaient les Hutus contre les Tutsies.
On n'a pas besoin de la science et de la technologie pour s'exterminer.
Auditeur 1.
-Excusez-moi si j'insiste : Avec des machettes, on peut exterminer une tribu ou quelques centaines de personnes, mais avec la bombe atomique, on peut exterminer toute la planète.
Auditeur 1, puis Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
Ce n'est pas la même échelle.
-On est d'accord.
Auditeur 1.
-Donc, la pensée n'est pas la même.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-La pensée est la même.
La capacité n'est pas la même.
Mais on est d'accord.
La folie de l'être humain ne faisait pas partie de mon sujet.
Auditeur 1.
-Et le remède ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Ça, ce n'est pas moi qui vais le dire.
La coordinatrice.
-Il y a plusieurs questions.
Il y a Madame.
Auditrice 2.
-Bonsoir et merci.
Dans votre conférence, vous avez exclu les monothéismes.
Je voulais savoir si vous les aviez exclus dans leur essence, c'est-à-dire le Dieu qui parle ou aurait parlé, ou plus collectivement ?
Car, aujourd'hui, les pratiquants des grandes religions monothéistes m'apparaissent à moi comme dans un système de pensée magique.
Et je voulais que vous précisiez...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Quand je dis "monothéisme", je parle des livres, la Bible et le Coran.
Dans la Bible et le Coran, il y a une tentative de sortie de la pensée magique.
D'abord, de la sortie du polythéisme, donc de la soumission à une pluralité de divinités.
Le Dieu transcendant et un, commun aux trois monothéismes, est en-dehors.
Il est transcendant.
Il refuse le sacrifice humain et donne la liberté à l'être humain, le choix de faire le bien ou le mal.
Donc, par ces caractéristiques-là, les textes du monothéisme sont une sortie de la pensée magique.
D'ailleurs, comment il s'appelle...
Quand on a besoin d'un nom, il s'en va.
Celui qui a écrit que le christianisme est le désenchantement du monde ?
Marcel Gauchet.
Il a développé la thèse que c'est le christianisme qui a désenchanté le monde.
Je pense que Marcel Gauchet a tort pour la simple raison qu'il est chrétien, et avant le christianisme, il y avait le judaïsme.
Et "Genèse" et "Exode" sont des livres de désenchantement du monde et de la liberté de la pensée individuelle.
Auditrice 2.
-Merci.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Maintenant, les monothéismes d'aujourd'hui, je ne discute même pas.
Auditrice 2.
-D'accord.
Auditeur 2.
-Merci.
Je suis là.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je vous ai vu.
Auditeur 2.
-Bonsoir.
Merci pour votre exposé.
Quand on vous écoute, n'y a-t-il pas, d'emblée, une défaite de la rationalisation face à la pensée magique ?
Quand vous parlez de "désenchantement", ça nous renvoie à notre condition humaine.
"Pensée magique", ça nous élève vers un monde différent, où tout est possible.
Alors, n'est-ce pas la mort annoncée de la rationalité, d'envisager les choses comme un désenchantement ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je suis très pessimiste pour la rationalité.
Je pense que la pensée magique est de loin plus puissante, sans compter la folie dont a parlé Monsieur.
Bien évidemment, la rationalité, c'est une mince couche de crème chantilly sur le gâteau.
On peut essayer de la maintenir.
Mais quand les forces...
Vous avez dit : "On peut monter vers la pensée magique" ?
Auditeur 2.
-Je voulais dire que, d'un côté, ça nous renvoie vers une condition concrète, humaine, terrestre.
De l'autre, ça pourrait nous élever...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Non.
La pensée magique ne nous élève pas, elle nous descend.
La pensée magique ne nous libère pas.
Elle est aliénante.
Elle est aliénante et nécessaire.
C'est ça, mon côté pessimiste.
Comme la pensée magique est attachée à l'émotionnel dans l'être humain, en raison des émotions qui sont très puissantes, on a besoin de la pensée magique.
On ne peut pas faire sans elle.
Par contre, lorsqu'elle se déchaîne, lorsqu'elle devient violente, cette pensée magique, il n'y a que la rationalité qui devrait pouvoir la maîtriser.
Donc, la rationalité a un rôle énorme à jouer, mais elle est très faible par rapport à la pensée magique.
Dans une foule en colère, comment pouvez-vous faire marcher la raison ?
C'est un exemple parmi d'autres.
Auditeur 2.
-Pardon, il y a sûrement d'autres questions.
Mais juste pour terminer.
D'un côté, j'ai l'impression que la rationalité répond à une question, qui est le comment.
Je ne sais pas jusqu'à quel point vous incluez les croyances, la spiritualité dans ce que vous appelez "pensée magique".
D'un autre côté, ça nous envoie vers le pourquoi.
Un niveau de réponse que la rationalité n'apporte pas nécessairement.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je pense que la science répond au comment, mais pas la rationalité.
La rationalité ne répond à rien, c'est une méthode qui sert à prendre du recul avec mes émotions.
Quand on est dans des situations émotionnellement très puissantes, et il n'y a que la rationalité...
C'est ce qui se passe souvent dans les tribunaux, aussi en médecine.
Il y a une rationalité presque austère, extrêmement rigide, qui va permettre de contrôler les émotions.
Car dès que les déchaînements d'émotions ont lieu, ça devient extrêmement violent.
La rationalité est le seul mode qu'a inventé l'être humain pour contrôler les émotions.
L'ennui, c'est que, a priori, on n'a pas tout le temps besoin, ni envie de contrôler les émotions.
Et les émotions sont très puissantes.
Surtout les pires.
Les émotions les plus puissantes, ce n'est pas la joie et la bonne humeur.
Les plus puissantes, c'est la peur et la haine.
Auditeur 2.
-Merci.
Auditeur 3.
-Ne pensez-vous pas que la pensée magique s'est démultipliée par le nombre de magiciens, d'illusionnistes qui sont produits, vous avez parlé de la télévision, par exemple, et aussi la spécialisation des connaissances, des savoirs, des émotions ou des domaines d'activité ?
Quand je pense, par exemple, à Weber et la phrase que vous avez donnée, évidemment, il y a une séparation entre ceux qui ont produit le tramway en question, et qui l'ont conçu, entre les concepteurs, les producteurs et ceux qui l'utilisent, les consommateurs.
Donc, il y a une démultiplication des magiciens.
On peut les trouver à peu près partout, tout le temps.
L'omniprésence est beaucoup moins centralisée qu'avant, dans les...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-On peut voir ça comme ça car on est dans une société de spectacle.
Et tout est magique.
D'ailleurs, la publicité nous parle de magie en continu.
Les parcs d'attraction nous parlent de magie en continu.
Et il est évident que la science peut être considérée comme une magie par ceux qui ne la comprennent pas.
Je travaille un peu sur les questions de mécanique quantique.
Je vous garantis que dans les textes de vulgarisation de la mécanique quantique, avec les chats morts et vivants, on est en pleine magie.
Si vous ajoutez à ça les technologies les plus innovantes, les robots, les réalités virtuelles, etc., quand on ne comprend pas, on a tendance à trouver que c'est magique.
Mon téléphone portable est magique.
Par contre, je sais qu'il ne l'est pas.
Je sais qu'il y a des gens qui l'ont fait avec des méthodes d'informatique, d'électronique, et que s'il tombe en panne, je vais le jeter à la poubelle, ou le recycler, sans avoir besoin de faire une incantation.
C'est ce qu'il dit à propos du tram.
Nous utilisons ces choses-là en y voyant une magie.
Mais si on gratte bien, y compris dans nos têtes de gens un peu rationnels, nous avons perdu cette magie-là.
Nous ne pensons pas que des forces surnaturelles téléguident nos téléphones.
Auditeur 3.
-Vous n'avez jamais employé le mot "magicien", c'est volontaire ?
Il n'y a pas de magicien ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Non, car le magicien, actuellement, est devenu le prestidigitateur.
Mais celui-là, on sait que ce qu'il fait, c'est du spectacle.
Il n'invoque pas des forces surnaturelles.
Il se paie notre tête, ce qui est bien.
Et on s'amuse, on rit.
Ce n'est pas la magie dans le sens trouble, dont je parlais, car celle-là ne dit pas qu'elle est du spectacle, elle dit qu'elle est de la réalité.
Auditeur 4.
-Bonsoir.
Je voulais vous demander : Comment vous situez les moines Shaolin, qui en concentrant leur force vitale, leur Qi, par leur pensée réalisent des exploits ?
C'est une forme de magie ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je n'explique absolument rien.
Vous remarquerez que je ne suis entrée dans aucun exemple, à part l'effet placebo que nous connaissons, parce qu'il y a énormément de phénomènes qui sont à la frontière de la science.
La science, jusqu'à présent, dit qu'elle ne sait pas.
Elle a intérêt à le dire quand elle ne sait pas.
Maintenant, est-ce que ce qu'elle ne sait pas est de l'ordre de l'hallucination collective ?
Est-ce de l'ordre du réel que la science ignore ?
Car la science avance, mais elle n'a pas le pouvoir de tout englober en une seule fois.
Je suis incapable de le dire.
C'est pour ça que je n'ai pas parlé de l'homéopathie, par exemple, ni d'astrologie, sauf pour parler des Mésopotamiens.
Je voudrais garder des points d'interrogation que la science pourrait être susceptible d'expliquer un jour.
Dans ces points d'interrogation, il y a des choses sont fausses.
Très probablement.
Mais ce sera à la science de nous le dire.
Les pouvoirs de l'esprit, je ne les ai jamais étudiés, donc je suis incapable de vous dire.
Ça ne plie pas les fourchettes, en tout cas.
Auditeur 4.
-Je vous remercie pour la conférence.
La coordinatrice.
-Si vous, vous ne donnez pas d'exemples, peut-être que le public peut témoigner et donner des exemples, si ça manque ?
Alors, je donne la parole...
Auditeur 5.
-Bonsoir et merci pour cet exposé.
Je me posais la question tout à l'heure, quand vous disiez que lorsqu'on a une pensée magique, c'est la première pensée qui arrive.
Ne serait-ce pas de l'intuition dont vous voulez parler ?
Deuxième question, je voulais savoir le rapport entre la raison et les émotions, notamment en termes neurobiologiques, c'est-à-dire la relation entre l'amygdale et le cortex frontal...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Cette question-là, vous la poserez au neurologue qui vient à la séance suivante, parce que je connais les thèses, mais les thèses anciennes, des années 1970-1980.
Je n'ai pas touché aux thèses actuelles.
Dans les thèses anciennes, le cerveau est constitué, comme dans l'évolution, avec un cerveau primate profond, un cerveau reptilien profond, un cerveau mammifère un peu au-dessus et un cerveau purement cognitif humain.
Je pense que tout cela est passé à la trappe et que le cerveau, en réalité, est une machine complète, dans laquelle tout interagit avec tout.
Maintenant, peut-on situer réellement les émotions par rapport à la cognition ?
Je ne sais pas.
Il est certain que des zones du cerveau sont scientifiquement connues, comme l'aire de Broca...
Auditeur 5.
-En effet, l'émotion peut inhiber les pensées...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-L'émotion ne va pas inhiber la pensée.
Pire, elle va instrumentaliser la pensée.
C'est-à-dire que la raison devient l'esclave de l'émotion.
Vous allez justifier votre émotion, en disant : "C'est absolument rationnel."
Et vous allez sortir une hypothèse qui donne l'impression de la rationalité et qui, au fond, sera fondée sur l'émotion.
Auditeur 5.
-On peut prendre l'exemple des gens qui ont subi un traumatisme crânien ou même un traumatisme violent, comme un gros accident.
On sait très bien que dès que le souvenir revient, l'amygdale s'active si fort qu'elle inhibe complètement le raisonnement, donc, le cortex frontal.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Les émotions sont très puissantes.
C'est pour ça que je disais que la raison, c'est la chantilly sur le gâteau.
C'est une mince couche.
Ce sont les émotions qui nous guident.
La psychologie et la psychanalyse le disent depuis très longtemps.
Pour Jean-Didier Vincent, nous sommes menés par nos hormones.
Pour d'autres, par nos émotions.
Nous sommes menés par nos émotions et elles colorent nos motivations.
Ça, je l'ai appris en faisant des livres sur la peur de la science.
Expliquer la science, qui fait peur, à quelqu'un qui a déjà peur ne sert à rien.
Plus vous expliquerez, plus il aura peur.
Si vous expliquez à quelqu'un qui n'a pas peur, ouvert aux possibilités, ça devient intéressant.
Mais à partir du moment où il y a une émotion forte, je parlais surtout de la peur et de la haine, elle va colorer la totalité du cognitif qui vient derrière elle.
Si ça se trouve, les neurologues ne vous le diront pas.
C'est expérimental, pour moi.
Auditeur 6.
-Merci beaucoup pour cette conférence.
Juste deux petits points rapides sur l'effet placebo.
On l'appelle de plus en plus "effet contextuel".
C'est intéressant.
En fait, il y a une forme de pensée magique qui s'est posée autour du terme "effet placebo", en attribuant beaucoup de ces effets à quelque chose qui viendrait de la personne, alors qu'on vérifie de plus en plus que la blouse, la salle, la luminosité et le contexte comptent bien plus que la croyance de la personne sur l'effet miracle du médicament.
Une anecdote, que je tiens d'un vulgarisateur : Quand les pythagoriciens n'ont pas réussi à trouver un entier, ils ont sacrifié des vierges pour voir si ça changerait quelque chose...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Non, non.
La légende dit qu'il y en a un qui s'est suicidé.
Ce qu'ils avaient découvert avant la racine de 2, c'étaient les trois règles de la logique de base d'Aristote : Principe d'identité, principe de non-contradiction et principe du tiers exclu.
Ensuite, ils ont découvert, à leur grand dam, que racine de 2, on peut démontrer que c'est pair et démontrer que c'est impair.
Donc, ils ont disjoncté.
Mais pas très longtemps, car les mathématiques, c'est génial : Il suffit de créer un ensemble au-delà de cet ensemble-là...
Vous sortez des nombres entiers, vous entrez dans les nombres...
C'est quoi ?
Les nombres irrationnels.
Et voilà, ça marche.
Auditeur 6.
-Merci beaucoup.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-On ne sacrifiait plus d'êtres humains, dans la Grèce qu'on connaît.
On a sacrifié des êtres humains à Carthage.
On en a sacrifié chez les Aztèques.
On a sacrifié, sans doute, des êtres humains dans l'Égypte très ancienne.
Mais c'est une pratique qui s'est arrêtée relativement vite.
Auditeur 7.
-Que pensez-vous de l'idée que la culture, la civilisation ont été créées pour contrôler la pensée magique ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Une très belle phrase de quelqu'un, dont je n'ai jamais retrouvé le nom, dit : "La civilisation, nous la créons pour lutter contre notre propre barbarie."
Je serais très heureuse d'en connaître l'auteur car je pense que c'est très vrai.
Pardon, je vous ai interrompu.
Auditeur 7.
-Il y a une petite contradiction entre le fait que la civilisation et la culture soient là pour contrôler la pensée magique et le fait que la pensée magique, dans toutes les cultures, existe, et un peu de la même façon.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Exact.
Alors, il y a plusieurs façons de parler de civilisation.
La civilisation, dans le cas où elle est un ordre social large, à l'évidence, elle a pour but aussi de contrôler la pensée magique, d'éviter l'anarchie.
Auditeur 7.
-Bon.
C'est tout.
Merci.
Auditrice 3.
-Bonsoir.
Merci pour cette conférence extrêmement intéressante.
J'aurais voulu savoir quelle est la différence, pour vous, entre la pensée magique et l'instinct, l'intuition qu'on peut avoir sur certaines choses.
On ignore d'où ça vient, mais ça peut nous guider.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-L'instinct n'a rien à voir car les êtres humains ont perdu leur instinct, en faveur, justement, de leur pensée, qu'elle soit magique ou pas.
Je ne sais pas ce qu'est l'intuition.
L'intuition, c'est une pensée rapide.
Qui peut se tromper, au demeurant.
C'est une pensée qui n'est pas raisonnée, méthodologiquement.
Je pense aux enfants qui réussissent à résoudre un problème de mathématiques, sans passer par les différentes étapes.
Ils arrivent à la conclusion, qui est bonne.
Ensuite, il faut les torturer pour qu'ils remontent à la première étape et redescendent étape par étape.
C'est de l'ordre de l'intuitif.
C'est rapide et efficace.
Mais ça peut se tromper aussi.
Ensuite, il y a l'intuition au sens philosophique du terme.
Ça, c'est Descartes : "Je pense, donc je suis."
L'intuition signifie que c'est une connaissance immédiate.
Improuvable, mais immédiate, et dont je suis certain.
Sinon, je ne vois pas d'intuition dans le sens : "Je devine aujourd'hui ce qu'il va m'arriver dans trois jours."
Là, on entre dans des domaines flous, un peu perturbants.
J'ai du mal avec ça.
Auditrice 3.
-Merci.
Auditeur 8.
-Je voulais juste vous faire remarquer que nos ancêtres les Gaulois aussi faisaient des sacrifices humains.
Et, je pense, dans les auteurs, il manque Edgar Morin, qui est au moins aussi scientifique que vous.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Il n'est pas anthropologue.
Je n'ai cité que les anthropologues.
Auditeur 8.
-Mais juste une citation sur son cheval de bataille, sur la pensée complexe : "Il ne s'agit pas de reprendre l'ambition de la pensée simple, qui est de contrôler et de maîtriser le réel.
Il s'agit de s'exercer à une pensée capable de traiter avec le réel, de dialoguer, de négocier avec lui."
Qu'en pensez-vous ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Très franchement, je n'en pense rien car la pensée complexe, je n'ai toujours pas réussi à comprendre.
J'attends que quelqu'un m'explique, aussi scientifiquement que possible, ce qu'est la pensée complexe.
Et non pas comme une incantation.
Parce que dire que le monde est complexe, on est bien d'accord.
Ce qui a été étonnant dans l'histoire de l'humanité, c'est de penser qu'il était simple.
Pas l'inverse.
Le monde est complexe.
Depuis que Poincaré a découvert la loi des trois corps, on sait que même la mécanique céleste ne peut être calculée d'une manière déterministe et prévisible.
Donc, que la complexité existe, on est bien d'accord.
Bravo, Edgar Morin.
C'est très bien d'avoir dit : "La pensée complexe existe."
Pardon, "la complexité existe."
Maintenant, la question devient : "Que peut faire ma pensée, sa pensée à lui, notre pensée à nous, avec cette complexité ?"
Le monde est complexe, on est d'accord.
Ensuite, que fait-on ?
C'est là où j'ai un véritable embêtement car mon épistémologie, mon mode cognitif est fait pour analyser, pour diviser, pour catégoriser, comparer, trouver des liens de causalité.
Il ne peut pas penser, en tout cas pas le mien, la complexité.
La complexité est au-delà de mes capacités.
J'attends la science de la complexité.
Elle n'est toujours pas venue.
Auditeur 8.
-Ce n'est pas moi qui vais vous l'expliquer, mais il a écrit au moins cinquante bouquins...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je connais bien Edgar Morin, je n'ai pas de souci avec ça.
J'ai un souci avec le mantra de la complexité, en l'absence de méthode de résolution des problèmes complexes.
J'attends la résolution des problèmes complexes pour avoir accès à une connaissance.
Auditrice 4.
-Oui.
J'ai une question...
Je suis là.
Auditrice 4, puis Nayla Farouki.
-Oui, je vous ai vue.
-Pardon.
J'ai une question par rapport à la question de tout à l'heure.
Vous avez qualifié la pensée magique, comme si elle nous élèverait pas.
Mais qu'est-ce qui ferait que ça ne nous élèverait pas ?
J'ai l'impression que quand on croit vraiment au magique, on a tendance à déclencher peut-être des opportunités de vie qui ne se passeraient pas, si on était dans un réalisme pur et dur.
Moi, j'ai plus l'impression que ça nous élève.
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-C'est très bien si c'est le cas pour vous.
Dans les cas que ces auteurs décrivent, par exemple, j'ai essayé d'être objective, ça n'élève pas car c'est une pensée qui n'avance pas.
C'est une pensée qui s'installe, qui se solidifie.
Chez eux, je parle des anthropologues.
C'est une pensée qui fait du surplace, avec des outils différents, mais du surplace.
C'est un peu comme l'astrologie, pour ne pas la nommer.
Vous pouvez faire de l'astrologie comme les Mésopotamiens, vous pouvez la faire avec des ordinateurs hautement compliqués, etc.
Mais l'astrologie reste l'astrologie.
Elle est fossilisée au niveau de la connaissance.
Parce que les enchaînements causaux qu'elle prédit, qu'elle prévoit, elle est incapable de les expliquer.
C'est pour ça que cette pensée magique-là est une pensée entropique.
C'est le niveau le plus bas de la pensée.
Ensuite, il faut monter au-dessus.
Pourquoi pas le faire avec de la pensée magique ?
Se dire : "Pourquoi cela marche-t-il ?"
Peut-être que les spécialistes du cerveau nous expliqueront un jour pourquoi la pensée marche.
À ce moment-là, ce sera une vraie avancée.
Auditrice 4.
-Mais vous pensez quoi du fait que des gens puissent penser qu'on crée notre réalité à travers nos pensées et que le monde extérieur ne serait que la manifestation de nos pensées et de nos croyances ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je n'ai pas compris.
Auditrice 4.
-Qu'on crée notre réalité à travers nos pensées...
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Je ne pense pas qu'on crée complètement notre réalité.
On crée une partie de notre réalité, dans nos relations avec les gens, dans notre coloration du monde, dans notre appréhension du monde au travers de nos émotions et de notre pensée magique.
Mais une partie du monde est réfractaire au constructivisme.
Si j'avance vers le mur, je me cogne.
Et je ne peux pas nier que le mur existe.
La coordinatrice.
-Est-ce qu'on peut prendre une dernière question ?
Auditeur 9.
-Merci.
Je voulais revenir sur une question qui a déjà été posée.
Vous dites que le monothéisme s'est longtemps opposé à la pensée magique.
Déjà, l'Église catholique s'est longtemps opposée à la science.
Plus aujourd'hui, mais c'était vrai, du temps de Galilée.
Et l'Église catholique nous vend toujours le paradis, la résurrection du Christ et la vie éternelle.
N'est-ce pas de la pensée magique ?
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-Le paradis, la résurrection du Christ, etc., si vous voulez qu'on entre en exégèse, j'en suis capable, mais on se donne 2 heures de plus.
Auditeur 9.
-Je ne sais plus ce que veut dire "exégèse".
Nayla Farouki, philosophe et historienne des sciences.
-C'est prendre les textes de la Bible et essayer de les comprendre d'une manière aussi rationnelle que possible.
Le paradis, ce n'est pas seulement le folklore.
Ce n'est pas seulement Dante, vous voyez ?
Par contre, l'Église ne s'est pas opposée à la science.
Elle était convaincue d'une science : la science d'Aristote.
Donc, quand Galilée est venu remettre en cause la science d'Aristote, l'Église a eu la non présence d'esprit de maintenir les thèses aristotéliciennes.
Les thèses de l'Église sont celles d'Aristote.
Et la raison pour laquelle les thèses d'Aristote marchaient si bien, c'est que, à l'époque, on ne connaissait pas le principe d'inertie.
Et ne connaissant pas ce principe, il était pratiquement impossible de convaincre qui que ce soit de raisonnable, à défaut de rationnel, que la Terre puisse bouger, tourner, sans qu'on s'en aperçoive.
Vous voyez ?
Les raisons...
Galilée a eu la foi du charbonnier en Copernic et dans ses recherches à lui sur l'inertie, qui était fondée.
C'est seulement Newton, ensuite, qui a développé tout ça.
Mais à l'époque de Galilée, lorsqu'il disait : "La Terre tourne", la réponse était la même qu'au temps d'Aristote : "Montrez-nous pourquoi les oiseaux qui quittent l'arbre ne sont pas obligés d'y retourner, pourquoi une pierre qui tombe ne descend pas un peu plus loin."
Il y avait des raisons évidentes de refuser la thèse du mouvement de la Terre.
Les Grecs disaient : "Il faut sauver les apparences."
Si vous n'y arrivez pas, ce n'est pas de la science.
La coordinatrice.
-Madame Nayla Farouki, encore merci beaucoup.

Changer de raison pour garder la raison

Quand nous sommes amenés à agir contre nos convictions, nous tendons à modifier celles-ci pour réduire notre inconfort mental. La théorie de la dissonance cognitive explique ainsi comment les opinions et les comportements en société se forment et changent. Quels en sont les principes ?

Avec Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie au laboratoire de psychologie sociale (LPS), université d'Aix-Marseille

Séance proposée à l'occasion de la Semaine du cerveau.

"Cité des sciences et de l'industrie"
Les conférences
"Le Cerveau, entre raison et émotion"
Mardi 14 mars 19h00
"Changer de raison pour garder la raison"
Avec Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale (LPS),Université d'Aix-Marseille.
Avec le soutien de Pour la science, Cerveau & Psycho.

Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale (LPS),Université d'Aix-Marseille.
-Bonsoir à toutes et à tous.
Effectivement, je vais vous parler de changement de comportement, de changement d'opinion.
D'abord, je suis Fabien Girandola.
Je travaille dans un laboratoire qui se situe à Aix-en-Provence.
J'appartiens à l'université d'Aix-Marseille.
Ce qui peut expliquer, de par ma provenance du Sud, un petit accent, on va dire, du Sud.
Marseillais, peut-être.
Donc, je travaille sur différentes thématiques.
Changement d'opinion, changement de comportement.
Ces thématiques-là font partie d'un ensemble, on va dire, de travaux de recherche du labo de psychologie sociale d'Aix-Marseille université.
Ce sont des thématiques qui sont, on va dire, assez transversales.
Là, on va voir la théorie de la dissonance cognitive.
On peut aussi trouver la théorie de la dissonance cognitive, l'explication des changements des attitudes et comportements et donc, leur effet sur ce qui se passe dans la tête, dans le champ de la santé publique, par exemple, du développement durable ou dans le champ du travail.
Bien sûr, je n'aurai pas le temps de vous présenter tout ça.
Une heure de présentation, ça implique de faire des choix.
Je vais vous présenter la théorie de la dissonance cognitive.
Et cette théorie-là, vous verrez, elle est déjà assez ancienne, mais elle est extraordinaire.
Et vous verrez avec moi, je l'espère, que ce que je vais vous présenter, ce sont parfois des choses contre-intuitives.
On va commencer par un questionnement tout simple.
J'ai choisi, pour commencer à vous présenter la théorie sur laquelle va porter la conférence, celle de la dissonance cognitive, un exemple.
Mais c'est un exemple qui, dans notre discipline, en psychologie sociale, est un exemple, on va dire, fondateur, fondamental, de ce que peut être le changement d'opinion et de comportement.
C'est une étude sur le terrain.
Je vais un peu vite.
Voilà, donc c'est une étude sur le terrain qui a été menée par des psychologues sociaux il y a une soixantaine d'années déjà.
Vous verrez que cette étude-là peut finalement très bien se comprendre lorsqu'on convoque certaines théories dont la dissonance cognitive.
Ce que je vous raconte ici, ce que je vais vous montrer, ce sont des choses que, peut-être, quelque part...
Alors, non pas l'histoire que je vais raconter, mais vous avez vécu un changement d'opinion et de comportement.
Mais commençons cette histoire-là par une annonce publique dans un journal local.
Vous êtes abonné à un journal, le journal dit, en gros, "Attention, il y la prophétie de la planète Clarion qui alerte la ville.
Fuyez le déluge."
Vous voyez ça dans le journal, en gros titre.
Bien.
On commence comme ça.
"Lake City sera détruite par une lame de fond surgie du Grand Lac avant l'aube du 21 décembre 1954."
Donc, vous voyez, c'est assez ancien.
"Affirme Marian Keech, résumant des messages transmis par l'écriture automatique."
Vous ouvrez votre journal, vous voyez cette annonce.
Quelqu'un qui se fait passer pour quelqu'un qui reçoit des messages d'un autre monde, avertit des gens qu'on lui expédie des messages d'une planète qui s'appelle Clarion.
Des êtres supérieurs descendent de soucoupes volantes.
Ces êtres supérieurs-là avertissent les gens de notre ville, les gens du comté, les gens de l'Etat, qu'il va y avoir une lame de fond, que tout le monde va être englouti.
Peut-être ça vous rappelle des prophéties émises il y a pas mal de temps.
Ou même récemment, il y a quatre ou cinq ans.
Mais voilà, imaginez-vous à la place des habitants de Lake City.
Ils lisent ça.
Ça peut être un peu surprenant.
Trois psychologues sociaux...
Et là, on arrive sur le champ, On aura peut-être notre mot à dire.
La psychologie sociale s'occupe du changement d'opinion, de comportement.
Trois psychologues sociaux, Festinger, Riecken et Schachter, qui sont un petit peu à l'origine de cette étude-là, se sont dit : "Tiens, on va voir ce qui va se passer."
Les gens sont en réception de cette annonce-là.
Certains savent qu'il va se passer quelque chose.
Que leur ville va être engloutie, que leur État va être englouti.
Qu'est-ce qui va se passer dans la tête des gens ?
Comment vont-ils réagir, se comporter ?
Qu'ont-ils fait, Festinger, Riecken et Schachter ?
Ils se sont dit : "On va s'infiltrer dans le groupe et on va voir comment ceux qui croient à cette prophétie-là vont réagir."
Ici, la psychologie sociale, c'est quelque chose d'éminemment écologique, d'éminemment pratique, puisqu'on va s'immerger dans le terrain, avec les individus qui vont vivre cette annonce-là.
Il y a l'aspect d'observation, qui est très important.
Ce qui est intéressant, c'est qu'on va essayer de comprendre comment vont se former les opinions vis-à-vis de la catastrophe annoncée.
Comment vont se former les nouveaux comportements.
Et qu'est-ce qui va en ressortir.
Nos trois psychologues sociaux étaient convaincus, évidemment, que cette prophétie n'aurait jamais lieu.
Et que vont faire les adeptes, une fois qu'ils sauront que cette prophétie ne pourra se faire ?
On est ici sur des aspects importants de la psychologie sociale, qui sont les croyances groupales.
Elles vont un petit peu nous apprendre sur le terrain comment les gens peuvent réfléchir, peuvent se former de nouvelles croyances, en fonction des événements dans lesquels ils sont, ou de la situation dans laquelle ils sont.
Le plus bêtement du monde, ils vont rencontrer la personne qui reçoit des messages de l'autre bout du monde.
Cette fameuse Marian Keech qui, soi-disant, pratique l'écriture automatique, donc elle reçoit des messages de l'autre monde, de la planète Clarion, avec l'écriture automatique.
Et donc, elle annonce brutalement, "Fin du monde, le 21 décembre 1954."
Bien.
Ça a quand même une certaine pesanteur, quelque part, si vous y croyez.
Ce qui est intéressant, c'est savoir comment les habitants vont répondre à cette annonce de fin du monde.
Dans un premier temps, en tout cas, ce sont les observations des psychologues sociaux, on voit que cette personne-là s'entoure d'un petit groupe.
On va dire un groupe d'adeptes, de croyants.
Ce petit groupe l'entoure pour la réconforter, d'une certaine manière, parce qu'elle reçoit soi-disant les messages de la planète Clarion, en écriture automatique.
Et puis, il la réconforte aussi, ou l'aide à suivre les instructions de la planète Clarion.
Et, évidemment, les extraterrestres proposent une évacuation.
On va venir les chercher en soucoupes pour qu'ils partent.
Donc ils réfléchissent à tout ça, ils mettent en œuvre un plan pour essayer de partir en soucoupe volante, avec, donc, les habitants de la planète Clarion.
Ici, on voit que dans un premier temps, cette personne, Marian Keech, qui reçoit des messages on va dire, de l'autre bout du monde, s'entoure d'un groupe.
Et on a là les premiers éléments d'une fédération groupale.
C'est-à-dire que des adeptes commencent à venir auprès d'elle.
On a un sentiment, on va dire, de plus en plus fort de croyance en la prophétie.
Et on a un sentiment type identitaire qui se met en route.
C'est-à-dire qu'on partage tous la même croyance.
Et on commence à y croire de plus en plus dur et fort.
Ce qui nous intéresse ici, c'est essentiellement deux questions, d'un point de vue psychosocial.
Comment ce petit groupe qui se construit va appréhender cette nouvelle croyance ?
"Ça y est, on va tous partir car la fin du monde est imminente."
Mais surtout, et pour beaucoup, on va essayer de comprendre comment les habitants de cette ville vont s'organiser lorsqu'ils sauront que, finalement, il n'y aura pas de destruction du monde.
D'un point de vue psychosocial, c'est très important.
Ce sont des croyances très sensibles.
Imaginez-vous croire dur comme fer qu'une lame de fond va vous emporter avec votre famille.
Et voilà !
Du jour au lendemain, vous savez que ça va pas arriver.
Quel processus on met en œuvre pour compenser tout ça ?
On est ici dans des choses qui sont éminemment psychosociales et à la formation des croyances groupales et identitaires.
Je vous décris, on va dire, quelques phases très importantes dans le déroulement de l'étude.
Avant le 20 décembre, avant la fin du monde, le groupe vit un petit peu en autarcie.
Donc le groupe fuit la publicité.
On donne des interviews, mais avec réticence.
Et puis, Marian Keech, la fameuse prêtresse qui reçoit des messages de la planète Clarion, vit un peu isolée et seuls les membres adeptes ont droit de lui parler ou de converser avec elle.
On s'aperçoit quand même qu'au fur et à mesure du temps, l'engagement des uns et des autres devient un peu plus important.
C'est un engagement crescendo, on y croit de plus en plus.
On commence à se préparer à partir, on commence à réfléchir à peut-être vendre sa maison.
Etc.
etc.
Vendre sa maison, ça implique quoi, aussi ?
Ça implique de renoncer à sa famille.
Les adeptes se détachent de leur famille.
Ça implique une démission, l'abandon des études, pour les étudiants croyants.
Et ça implique parfois d'abandonner son conjoint.
Certains y croyaient, d'autres pas.
Donc on met tout en quarantaine d'une certaine manière, et voilà.
On y croit tellement fort qu'on tourne la page sur la vie que l'on connaissait jusqu'à maintenant.
Et, en même temps, puisqu'on fait des sacrifices.
On renonce à sa famille, à son conjoint, à son travail.
Vous voyez que l'engagement, ce fameux engagement, cette implication, cet engagement, va augmenter la force de la croyance.
C'est-à-dire que plus on agit, plus on réalise certains comportements, on abandonne ceci, cela, plus la croyance augmente.
Et elle augmente fort.
La croyance de la fin du monde, bien sûr.
Voilà ce que reçoit Marian Keech.
Le 20 décembre, un extraterrestre viendra à leur rencontre à minuit.
Ils vont embarquer dans un vaisseau pour Clarion.
Ils reçoivent comme instruction, mais ça, c'est du détail, d'enlever tout élément métallique de son corps.
Ils s'y préparent.
Ils savent qu'à minuit, un vaisseau va venir.
Ils sont tous là, en train d'attendre que le vaisseau vienne les récupérer.
Bien !
Imaginez, ils y croient dur comme fer.
Bien.
Donc ils attendent ça.
Il est 23h59.
Tous ont les yeux rivés sur la pendule.
23h59 et 58 secondes.
59 secondes.
Minuit.
Que se passe-t-il ?
Rien !
Absolument rien.
C'est un peu prévu.
OK !
Mais voilà, c'est une déception.
Mais quand même, on se reprend un peu.
Ah !
Mais dans une autre chambre, une pendule indique 23h55.
Ouf !
L'espoir renaît.
C'était pas la bonne heure.
C'était pas minuit mais 23h55.
Voilà, donc on va attendre cinq minutes.
Dix minutes après, malheureusement, la seconde horloge affiche minuit.
Puis rien ne se passe.
Imaginez dans quel état sont les adeptes.
Et là, on a un premier processus qui va se mettre en œuvre.
Ce que nous, on appelle la dissonance.
La dissonance, c'est la contradiction entre ce que les adeptes pensent...
"Je vais partir au-delà de ce monde pour être sauvé."
Et ce que montre la réalité.
Ce sont deux choses qui sont incompatibles.
"Je crois que je vais partir pour me sauver de la catastrophe, mais personne vient me prendre.
Je reste ici, avec les autres."
Il y a une contradiction entre deux croyances.
"Je sais qu'il faut que je parte et puis voilà, je reste là."
Cette contradiction, nous, on appelle ça de la dissonance.
La dissonance entre deux opinions, entre un comportement et une opinion, entre un comportement et une attitude.
"Je crois que je vais partir, je ne pars pas, je reste."
On verra tout au long de l'exposé que cette dissonance-là, c'est comme vivre une tension.
Un inconfort.
Vous verrez peut-être que vous vivez constamment des dissonances.
Cette dissonance-là, que vont en faire ces adeptes ?
C'est jamais bien, de vivre avec une contradiction, une dissonance dans la tête.
On va voir ce qu'ils vont faire de la contradiction, la dissonance.
Quelque chose de nouveau pour bien vivre avec.
Ça devient important.
Imaginez ce groupe en état de dissonance.
Il reste assis plusieurs heures, en rond, dans un silence de stupéfaction.
Marian Keech, la prêtresse, se retire pour pleurer.
Toute seule, dans sa chambre.
4h45...
Ah !
On reçoit un message par écriture automatique, envoyé de Clarion à Marian Keech.
Marian Keech reçoit un message.
À 4h45 du matin.
Quel est ce message ?
Le voici.
"Le petit groupe, assis toute la nuit, a répandu tant de lumière que Dieu a sauvé le monde de la destruction."
Ah !
Tiens !
Ah, la bonne affaire !
Ah, ça en sauve pas mal !
Bien...
Ce petit message-là a eu de gros effets.
Et je dirais de grands effets.
Puisque ça a restructuré les croyances, en quelque sorte.
Puisque dans l'après-midi, les adeptes, Marian Keech en tête, contactent la presse, contactent les journalistes.
On essaie d'en parler autour de soi.
Mais cette fois, avec vigueur, avec force.
On essaie de faire de la publicité.
Publicité ou en tout cas, histoire, qui va essayer de les réconforter.
On cherche un soutien social.
On cherche un support social.
Pourquoi ?
Aussi pour essayer de réduire un peu cette dissonance que l'on a dans la tête, au niveau groupal.
C'est une contradiction.
"Mais on a reçu ce message-là !"
Ça veut dire que finalement, cette dissonance, on peut la réduire.
Puisqu'on a fait, quand même, les efforts pour amener les gens à croire à la destruction.
La destruction n'a pas lieu, mais on a reçu ce message-là, donc on peut essayer maintenant de construire un groupe plus fort en faisant de la publicité.
C'est en faisant la publicité, du prosélytisme, que l'on va, petit à petit, réduire sa dissonance, réduire ses contradictions.
Alors, que va-t-il se passer ?
Et, de plus en plus...
Alors, je vous raconte pas toute l'histoire en détail.
Ce serait bien trop long.
Là, on est vers la fin de l'histoire.
Que va-t-il se passer ?
On observe chez les adeptes une radicalisation des croyances.
C'est-à-dire que la prêtresse est de plus en plus sûre de sa foi.
De plus en plus sûre de ce qu'elle dit.
Les adeptes organisent des projets.
Même des étudiants du groupe renoncent à leur fête de Noël, pour rester en groupe et parler de tout ça.
Un membre va même jusqu'à vendre sa maison pour montrer qu'il y croit fermement.
Donc vous voyez que commence à se produire une certaine, on va dire...
On commence à adopter de nouvelles raisons qui vont nous permettre de justifier petit à petit...
nos croyances.
Ou, en tout cas, l'infirmation de nous croyances.
Donc on est en train de changer, petit à petit, de raisons et de trouver des nouvelles raisons à nos comportements.
Bien !
Donc, radicalisation des croyances, on y croit dur comme fer, mais encore plus.
Plus qu'avant.
On y croit encore dur comme fer, plus encore.
Il est vrai que cette radicalisation des croyances s'exprime principalement chez ceux qui étaient là le 20 décembre.
C'est-à-dire chez les individus qui ont fait l'effort de venir, de s'inscrire, un petit peu, dans le groupe, et d'essayer de comprendre un peu ce qui se passe.
Mais ceux qui n'étaient pas dans le groupe eux-mêmes n'ont pas été, on va dire, atteints par cette dissonance.
Ils n'ont pas vécu de l'intérieur la tension qu'a vécue le groupe.
Et donc là, on dira déjà que pour qu'il y ait dissonance, pour qu'il y ait, en tout cas, une forte contradiction, il faut quand même que l'on soit engagé au niveau comportemental.
C'est-à-dire qu'on ait réalisé, qu'on réalise avec le groupe, certains comportements, ces comportements-là étant ceux du groupe, ceux qui appartiennent au groupe, ceux qui révèlent l'identité du groupe.
Et là, ça devient très important, parce qu'il faut absolument qu'à la base de la dissonance, il y ait une implication comportementale, un engagement.
On arrive petit à petit vers la dissonance cognitive, à travers cet exemple-là.
Ce que je pourrais dire sous forme de résumé, c'est qu'avant l'événement, peu de prosélytisme.
Mais après l'événement, c'est-à-dire, en fait, le non-événement, puisqu'il n'y a pas eu de lame de fond, il n'y a rien eu.
Mais ce non-événement-là a permis une radicalisation des croyances.
Au point de vue des raisons, des pensées, mais ça va plus loin, ça va sur le comportement.
C'est-à-dire qu'on va essayer de convaincre que l'on avait raison.
Là aussi, c'est une façon de réduire cette contradiction insupportable entre ce que je pense et le fait que ça ne s'est pas produit.
Donc, radicalisation des croyances, prosélytisme intensif.
Médias, etc., organisation de conférences.
On essaie de se faire connaître le plus possible.
Ce qui est intéressant ici, c'est de savoir, effectivement, qu'on observe les choses.
Ça, nous les observons, les choses.
Mais comment peut-on analyser les choses ?
Quels sont les mécanismes ?
Quels sont les processus qui vont, de toute façon, nous expliquer pourquoi les gens radicalisent leur opinion ?
Je vous l'ai dit, il y a cette fameuse contradiction, cette fameuse dissonance.
C'est qu'on a toutes et tous notre propre conception des choses.
On a des représentations préexistantes.
On a des pensées en tête.
Et chacun voit un petit peu le monde selon sa fenêtre, finalement.
Et donc, si on attaque, si on remet en cause ces croyances, c'est comme si on remettait en cause un petit peu l'identité des individus.
L'identité groupale des individus, qui s'est forgée à force de discours, qui s'est forgée à force de rencontres, forgée dans le groupe.
Et cette menace identitaire va éveiller la dissonance.
Pour preuve, radicalisation, prosélytisme, etc.
Il y a un réduction de la dissonance dont je vous parle qui est causée par la différence entre les pensées et la réalité.
Bien.
On essaie justement de construire un support social, d'attirer les uns et les autres pour réduire cette dissonance.
C'est-à-dire que plus on essaie de convaincre, plus on se réconforte, d'une certaine manière.
Et se réconforter, c'est une bonne manière de réduire la contradiction, la dissonance.
Et on radicalise, au fur et à mesure, ses opinions.
On radicalise au fur et à mesure, ses comportements.
Il faut voir ici que si on dispose d'éléments un peu plus théoriques, on va dire que le groupe constitue un lieu de résistance des croyances.
Parce que c'est un consensus.
Et ce lieu de résistance permet aux individus de construire une identité commune.
Et là, ça devient très important.
Cette identité commune est très importante.
Et donc...
au-delà de radicaliser ses propres opinions, je vous l'ai déjà dit, on essaie de mettre en action de nouvelles choses, de nouveaux comportements, du prosélytisme, qui vont nous permettre, effectivement, d'avoir accès à de nouveaux comportements pour réduire cette contradiction.
S'il fallait résumer un petit peu l'étude, on dirait que les individus, quels qu'ils soient, ont tendance à s'arranger avec la réalité.
On modifie personnellement ses propres perceptions.
On interprète les événements comme on veut les interpréter.
On trouve ou on se trouve pas mal de bonnes raisons d'y croire.
Et ça montre quoi ?
Que l'Homme n'est pas si rationnel que ça.
Il n'est pas rationnel, il rationnalise.
C'est-à-dire que dans certains cas, il arrive qu'on réajuste nos opinions à nos comportements.
On réalise certains comportements.
Et finalement, une fois que ces comportements sont fabriqués, on se dit : "Tiens, si j'ai fait ça, c'est que j'aime faire cette chose."
Donc on réajuste nos opinions au comportement qu'on a réalisé.
On appelle ça, dans notre jargon psychologique, on appelle ça la rationalisation.
On justifie a posteriori ses comportements en leur attribuant un sens, une raison.
Ça nous est tous arrivé, de procéder comme ça.
Vous faites quelque chose...
Et puis, on vous dit...
Voilà.
Vous vous dites : "Pourquoi j'ai fait ça ?"
Il est parfois plus facile de changer l'opinion que le comportement.
Donc vous rajustez vos opinions à votre comportement.
Ces études-là ont fait l'objet d'ouvrages, en anglais et en français.
Si jamais vous voulez jeter un œil.
Ce sont les études fondatrices qui restent dans la mémoire de la psychologie sociale.
Rappelez-vous le film sorti en 2012.
Dans film "2012", les choses étaient identiques.
Depuis le début de l'ère chrétienne, c'est-à-dire, depuis l'an zéro, il y a eu 183 appels à la fin du monde.
Et il y en aura encore.
C'est toujours, pour les futurs psychologues sociaux, parce qu'avant 1954, la psychologie sociale ne s'est pas intéressée vraiment à l'histoire, mais il y a toujours des choses à découvrir avec les groupes et ceux qui vivent à l'intérieur.
On arrive et on entre dans la théorie de la dissonance cognitive.
Et vous voyez que la théorie fête ses 60 ans cette année.
1957.
Et on la doit à un grand monsieur de la psychologie sociale.
Ce grand monsieur, Leon Festinger, est malheureusement décédé.
Mais il a révolutionné la psychologie sociale.
La théorie de la dissonance cognitive est une des théories les plus connues de la psychologie sociale.
Elle explique pas mal de choses.
On va faire un peu de théorie.
Rassurez-vous, on va rester à un niveau facilement accessible.
Mais vous verrez que...
Il faut d'abord voir que la théorie de la dissonance cognitive, c'est...
C'est employé souvent.
Je dirais un peu n'importe quand, n'importe où.
On dit : "Je suis en état de dissonance."
Même en musique !
C'est leur truc.
Nous, en psycho sociale, on a tendance à désigner la dissonance comme le résultat d'une contradiction.
Mais la dissonance, c'est un gros pouvoir de motivation.
La dissonance peut vous motiver à faire des choses dont vous n'avez pas encore perception.
Depuis 1957, on dénombre pas mal d'expérimentations.
3 000 expérimentations.
En gros, environ.
Sur un moteur de recherche, tapez dissonance cognitive.
Vous avez à peu près 3 000 expériences.
Donc, bien sûr, on peut pas les compter ce soir.
On essaie de comprendre avec ça comment l'être humain pense, comment il transforme ses idées, ses comportements.
S'il y avait des principes à extraire de la dissonance cognitive, on dirait qu'on fait tout, ou en tout cas, la théorie met essentiellement le projecteur, sur la façon dont les gens essaient d'être cohérents, quand ils ont des idées et des actions contradictoires.
Cohérents, car la contradiction n'est jamais facile à supporter.
Donc la dissonance non plus.
On va essayer de trouver de bonnes raisons, de changer de raisons, d'en trouver d'autres, pour mener une vie cohérente et signifiante.
Et ça, ça devient très important.
Quel est le processus ?
Quelles situations vont vous mettre en état de dissonance pour que vous soyez amené à changer d'opinion et de comportement.
On va voir ça par quelques expériences.
J'ai choisi volontairement les expériences les plus classiques en psychologie sociale.
Des expériences assez anciennes que l'on reproduit actuellement dans nos laboratoires, et qui ont toute la force des années 1950, des années 1960, mais sont de vrais classiques.
Vous allez être surpris par certaines d'entre elles.
Juste quelques éléments définitoires.
La dissonance est un état de tension, d'inconfort psychologique, dans lequel vous êtes placé en cas de contradiction.
Ça, on le sait.
Je prends quelque chose de simple.
"Fumer est une habitude stupide, je n'aime pas fumer."
Ça peut arriver de pas aimer fumer.
"Mais je fume un paquet par jour."
Donc là, il y a une contradiction.
La contradiction, elle y est.
"J'aime pas fumer et je fume."
Et donc, logiquement, d'un point de vue théorique, vous allez, ici, éprouver de la dissonance.
L'important, c'est que vous allez essayer de réduire cette dissonance, par quelque moyen que ce soit.
Ces moyens-là vont nous intéresser.
Comment les individus vont réduire cette dissonance ?
Et ces dissonances sont ce que vous vivez.
Et lorsqu'on est en état de dissonance, de contradiction, il y a une motivation qui vous pousse à réduire cette dissonance.
Voilà ce qu'écrivait Festinger en 1958.
"Tout comme la faim est motivante, la dissonance cognitive est motivante.
La dissonance cognitive donnera naissance à une activité orientée vers la réduction ou l'élimination de la dissonance.
La réduction réussie est gratifiante au même titre au même titre que la pris de nourriture l'est quand on a faim."
Ça veut dire quoi ?
Que Festinger met la dissonance sur le même plan qu'un besoin physiologique.
Vous avez faim ?
Vous mangez.
C'est un besoin physiologique.
La dissonance, c'est pareil.
La dissonance, il faut la réduire.
C'est physiologique.
Bien !
Donc on va essayer de réduire cette dissonance en justifiant nos actes et nos choix, en changeant d'opinion a posteriori, ou, en reprenant le titre de l'exposé sur lequel je discours, à changer de raison pour garder la raison.
Simplement.
Et là, on est...
nous sommes placés dans des...
on va dire, dans des processus, qui n'appartiennent qu'à la théorie de la dissonance cognitive.
Il faut voir aussi que la dissonance est une théorie assez contre-intuitive, dans le sens où...
on pourrait penser qu'on réagit plus favorablement à une récompense...
On change de comportement lorsque la récompense est plus forte, mais on n'en change pas lorsque la récompense est faible.
Et donc ça, c'est la conception qui prédominait avant les années 1960, avec ce qu'en psychologie, on appelle les principes du behaviorisme.
Avant, on considérait que pour changer de comportement, il fallait bien payer les gens.
Pour changer les comportements, il faut punir ou bien récompenser.
La théorie de la dissonance cognitive prend à contre-pied tout cela.
C'est une théorie contre-intuitive, vous allez le voir dans les exemples.
Ça veut dire que les humains réfléchissent.
Dans le cadre du behaviorisme, on prend les gens pour des animaux.
Vous déclenchez quelque chose et l'animal va réagir.
Ici, avec la dissonance cognitive, c'est quelque chose de plus fin qui va nous amener à des changements contre-intuitifs.
Pourquoi ?
Parce que l'être humain réfléchit, trouve de bonnes raisons, pour changer de raison.
Voilà les deux grands principes de la dissonance cognitive.
Si on est amené à récompenser quelqu'un, on va dire, d'une somme d'argent.
On va dire que cette somme d'argent-là, va être considérée comme une justification au comportement qu'on veut lui demander.
L'individu va se dire : "J'agis ainsi parce que je suis rémunéré."
Et donc, il n'y aura pas d'engagement de la part de l'individu.
L'engagement sera faible.
Si quelqu'un fait quelque chose pour une somme d'argent, l'engagement sera faible.
Mais si l'engagement est faible, il n'y aura pas de dissonance, pas de changement d'attitude, puisque l'engagement est très faible.
Si on vous paye grassement pour faire quelque chose, vous le ferez pour la récompense et non pas parce que vous le pensez.
Maintenant, si on vous offre une récompense qui est minimale, les justifications externes sont aussi minimales.
Vous allez vous dire : "Je réalise cette chose-là mais je le fais non pas pour la récompense, mais parce que je l'aime bien.
J'aime bien faire ce qu'on m'a dit de faire."
Et, dans ce cas-là, il y a de la dissonance.
Et donc, un changement d'attitude qui sera à l'œuvre.
Obtention de la dissonance, changement d'opinion, changement d'attitude.
Ce dont il faut se souvenir ici, c'est qu'une forte récompense sans attirer de dissonance cognitive amène plus de résistance qu'un changement.
Par contre, une faible récompense, alors là, va produire quelque chose dans la tête des individus.
Cette faible récompense-là, c'est quelque chose de minimal qui permet à l'individu d'éprouver une dissonance maximale et une réduction de la dissonance par un changement d'opinion.
Par exemple.
Chose très importante aussi, ce sont les conditions nécessaires pour qu'on éprouve la dissonance, c'est que, lorsqu'on est en état de dissonance, il ne faut pas être obligé de réaliser un comportement.
Voyez ceux qui ont cru la prophétie de la planète Clarion, ils étaient pas obligés d'adhérer.
Ils venaient s'ils voulaient.
Donc ce libre choix est très important.
C'est important.
"Je le fais parce que j'ai envie de le faire."
Et c'est parce que vous en avez envie qu'il y a dissonance et donc, là aussi, changement d'opinion ou d'attitude.
Le libre choix est très important.
Si on vous impose les choses, le contraire sera produit.
Si on vous impose les choses, les justifications externes seront, on va dire, maximales.
On vous dit : "Vous faites ça, vous êtes obligé."
Si vous êtes obligé, il n'y a pas de dissonance, puisqu'on vous oblige à le faire.
Donc, pas de dissonance, pas de changement d'opinion, pas de changement d'attitude.
Voilà les deux conditions qui sont nécessaires pour obtenir un changement, en tout cas, de la dissonance.
Il faut, d'une part, que l'on donne des justifications.
Pour...
Enfin...
Excusez-moi, juste une chose.
Les bonnes raisons que l'on donne, si elles sont trop importantes, ne permettent pas à l'individu d'éprouver de la dissonance.
Pour éprouver la dissonance, il faut des raisons minimales au comportement.
Et là, le sujet éprouve de la dissonance.
Et bien sûr, il faut que l'individu soit déclaré libre.
C'est la condition d'un fort engagement.
Donc, deux conditions essentielles.
Raison minimale et libre choix maximal.
Si vous combinez ces deux raisons-là, si on a ces deux conditions, vous aurez un changement d'attitude maximal.
En tout cas, une dissonance et un changement d'attitude maximal.
On va essayer de voir quels sont...
Je vais aller plus vite, parce que l'heure tourne.
Je vais juste vous...
vous raconter...
l'expérience de Cohen, en 1962.
Ça, c'est une expérience qui a fait date, on va dire, dans l'histoire de la dissonance.
Puisque...
Vous voyez, 1962, ça date pas d'hier, c'est assez loin.
Mais on a des effets très importants.
Et donc, en 1962, sur les campus universitaires américains, il y avait pas mal de manifestations étudiantes.
Les étudiants manifestaient souvent et il y avait pas mal de répression policière.
Cohen, qui était le professeur de psycho sociale à l'université, demande à ses étudiants de rédiger un texte.
Et ce texte...
Il y est allé fort, Cohen !
Dans ce contexte explosif, il demande de rédiger un texte en faveur de la répression des étudiants par la police.
C'est contraire aux attitudes et aux opinions des étudiants.
Que va-t-il se passer ?
Imaginez les étudiants en train d'écrire, enfin, d'écouter le professeur.
Il y a une dissonance.
On leur demande d'écrire un texte auquel ils n'adhèrent pas.
Donc, dissonance.
Mais Cohen va plus loin.
Il leur dit : "Ecrivez ce texte et je vous offre un demi-dollar."
À d'autres étudiants, il dit : "Si vous écrivez ce texte, je vous offre un dollar.
Ecrivez ce texte et je vous offre deux dollars.
À d'autres étudiants, chaque fois.
Ce sont des étudiants différents.
"Si vous écrivez ce texte, je peux vous offrir cinq dollars."
Et il va même jusqu'à dix dollars.
Excusez-moi, je suis allé trop vite.
La question qu'on se pose, dans quel cas ces étudiants vont-ils éprouver le plus de dissonance ?
Avec un demi-dollar, un dollar, deux dollars, cinq dollars ou dix dollars ?
On a dit que plus la récompense est forte, moins il y a de dissonance.
Vous vous souvenez ?
Donc logiquement, l'hypothèse, c'est que moins ils sont rémunérés, plus ils éprouvent de dissonance.
Vous me suivez ?
Et plus ils éprouvent de dissonance, plus ils devront réduire cette dissonance.
Comment vont-ils la réduire, cette dissonance ?
En changeant d'opinion.
Et ils vont changer d'opinion envers quoi ?
Envers la répression policière.
Je vous donne quelques résultats obtenus par Cohen.
On est d'accord que lorsqu'on est payé un demi-dollar, c'est une justification très, très faible.
Vous vous rendez compte ?
Vous allez rédiger un texte pour un demi-dollar.
Donc ça va produire chez vous une forte dissonance.
Vous êtes payé dix dollars.
Ça va produire chez vous une faible dissonance.
Vous êtes payé dix dollars, vous rédigez le texte pour dix dollars.
Donc ça vous donne des raisons, des justifications.
On est d'accord.
Voilà l'hypothèse de Cohen.
Quand on touche un demi-dollar, on devrait changer d'opinion envers la répression policière.
Quand on touche dix dollars, on devrait conserver son opinion envers la répression policière.
Je vous donne les résultats, mais c'est pas le plus important.
Donc ensuite, on demandait aux étudiants de donner leur opinion en faveur ou pas de la répression policière.
Sur une échelle qui allait de 1 à 7, donc on leur demandait de noter leur opinion sur une échelle variant de 1 à 7.
1, c'était la borne de l'échelle qui voulait dire "contre la police".
Et 7, "pour la police".
Si on se positionnait vers 7, on soutenait la répression policière.
Si on se positionnait vers 1, on dénonçait la répression policière.
Vous voyez que déjà, lorsqu'on est payé un demi-dollar, on se positionne au milieu de l'échelle.
Un peu plus qu'au milieu.
On est un peu en faveur de la répression.
Donc on réduit sa dissonance.
Lorsqu'on est payé un dollar, il y a moins de dissonance.
Moins de dissonance, moins de changement.
La répression policière, on aime moins.
Lorsqu'on est payé deux dollars, encore moins.
Au fur et à mesure, on se rapproche de la borne 1.
De la borne 1, contre la police.
Cinq dollars, 2,32.
Et dix dollars, 2,70.
Ça veut dire que les individus ont changé d'attitude selon le montant de la récompense.
Si vous offrez une forte récompense, vous changez quasiment pas d'attitude.
Vous êtes à 2,70.
Si vous donnez une forte récompense, vous voyez que le changement est assez significatif.
Il est en moyenne, si on fait la moyenne, à 4,54.
Alors, d'un point de vue statistique, il faut en faire un peu, des stats, on voit vraiment, avec des stats, que c'est la condition un demi-dollar qui se différencie significativement des conditions cinq et dix dollars.
Ici, on a la preuve éclatante qu'avec une faible ou une forte récompense, on peut faire varier les attitudes.
Et ça, c'est une expérience qui a été répliquée en laboratoire, avec différentes thématiques, différentes récompenses, etc.
Et là, bien sûr, ils étaient libres de rédiger.
Cohen leur disait : "Comme vous voulez.
Rédigez ou pas."
Alors...
on va s'interroger sur les moyens de réduire cette dissonance.
Ça nous arrive à tous, de la réduire.
On est tous, quelquefois quotidiennement, dans un état de dissonance.
Comment réduire cette dissonance ?
Comment on va la gérer, cette dissonance ?
Alors, je prends souvent le cas du fumeur.
Parce que c'est un cas très illustratif et très facile à...
à comprendre.
Je sais pas s'il y a des fumeurs et des fumeuses ici.
Vous savez que fumer, ça n'est pas bon.
Donc vous êtes en état de dissonance, vous fumez même si c'est pas bon.
Comment vous allez réduire cette dissonance ?
Vous savez que vous pouvez pas arrêter de fumer.
Parce que...
vous fumez !
Alors...
première possibilité, changer de comportement, arrêter de fumer.
Ça arrive !
On jette son paquet de cigarettes.
On veut plus en entendre parler.
Certains peuvent le faire.
D'autres ne peuvent pas le faire.
Arrêter de fumer, c'est plutôt rare.
Deuxième façon de procéder, c'est simplement de nier les choses.
"Moi, j'y crois pas.
Moi, de toute façon, le tabac, ça m'a jamais rien fait.
Moi, j'y crois pas.
Et puis, bon, je fume pas tant que ça.
J'ai un oncle qui fumait trois paquets par jour et il est décédé à 98 ans."
Donc, changer ses opinions envers le cancer, par exemple.
"J'y crois pas, à tout ça.
Je nie les choses."
Le fait de nier, le déni, c'est aussi un moyen de réduire sa dissonance.
Il n'y pas que le fait de changer d'opinion.
Mais il y a aussi le fait de nier.
On nie les choses, c'est un moyen de réduire sa dissonance.
Vous pouvez très bien réduire votre dissonance en vous disant, "Fumer, ça me détend.
Fumer, ça me permet de pas prendre de poids."
Ce sont des arguments qui permettent de réduire votre dissonance.
Les chemins de réduction de la dissonance sont multiples et variés.
Il n'y a pas qu'un chemin, le seul changement d'opinion.
Mais on peut trouver d'autres chemins de réduction de la dissonance.
Alors je dis pas ça dans le vide.
Toutes ces possibilités de réduction ont été testées dans des situations contrôlées de laboratoires.
Je vous dis, il y a 3 000 expériences, dont celle-ci, qui montrent comment on peut réduire sa dissonance.
Finalement, vous avez, là aussi, réussi, d'une certaine manière, à réduire votre dissonance, à trouver une cohérence qui est votre cohérence, pour retrouver, on va dire, un mode de vie qui vous est propre.
Mais sans dissonance.
Donc, se trouver de bonnes raisons pour finalement garder votre raison.
Là aussi, pris par le temps, je passerai sur quelques expériences très intéressantes mais sur lesquelles je n'ai pas le temps de m'arrêter.
Je vous avais préparé pas mal de choses.
Mais...
La question est de savoir s'il existe, par exemple, une contagion de la dissonance.
Est-ce qu'on peut éprouver de la dissonance en voyant quelqu'un qui éprouve de la dissonance ?
Existe-t-il une contagion de la dissonance ?
Il est évident que si je pose cette question, déjà...
c'est déjà un peu affirmatif.
Eh bien, oui !
On peut éprouver de la dissonance en voyant quelqu'un éprouver lui-même de la dissonance.
C'est ce qu'on nomme, dans le jargon, de la dissonance vicariante.
Si vous observez quelqu'un qui éprouve de la dissonance, comme quelqu'un qui écrit un texte pour la répression policière et que vous regardez cette personne-là écrire ce texte, vous allez vous-même éprouver de la dissonance.
Vous observez son comportement.
Donc il n'y a pas besoin de faire un comportement.
Il suffit d'observer quelqu'un en état de dissonance, pour que vous éprouviez de la dissonance.
Mais il y a quand même une condition.
Il y a une condition.
C'est que vous et la personne qui rédige le texte apparteniez au même groupe.
Si cet étudiant écrit un texte pour la répression policière, la dissonance sera éprouvée aussi par un observateur à condition qu'il soit lui aussi un étudiant et qu'il s'identifie fortement au groupe d'étudiants.
Alors, vous voyez que...
finalement, cette dissonance-là prend de plus en plus d'ampleur dans notre vie quotidienne.
À tel point qu'on peut se poser de vraies questions.
Vos comportements dans la vie quotidienne sont-ils des comportements qui découlent vraiment de vos idées ou est-ce que ce sont des comportements ou des idées, des opinions, qui sont réajustées par rapport aux comportements que vous avez réalisés ?
Parfois, on fait des choses dans la vie quotidienne qu'on n'apprécie pas.
On les fait parce qu'on est obligés de le faire.
Mais bon, on vous demande de faire quelque chose, "Tu as le choix, tu fais comme tu veux."
On vous laisse le choix, mais vous sentez bien qu'il faut faire cette chose.
C'est dans ce cas que vous éprouvez le plus de dissonance.
Lorsqu'on vous dit...
qu'on vous demande, poliment, gentiment, de faire une chose mais cette chose-là...
elle vous agace un petit peu.
Vous allez éprouver une contradiction comme un pincement à l'estomac.
"Tiens, pourquoi je fais ça ?"
Voilà.
Là, si vous sentez ce pincement à l'estomac, c'est la dissonance.
Vous voyez ?
Cet inconfort psychologique, cette tension.
"Pourquoi je fais ça ?"
Après, on n'y pense plus.
Mais on sait plus ce qui se passe dans la tête.
Et parfois, on organise nos croyances par rapport au comportement qu'on est en train de réaliser ou qu'on a fait.
Réorganisation a posteriori des opinions au comportement.
Alors, pour Festinger, ce processus-là est inconscient.
On n'en a pas réellement conscience.
On va dire : "Oui, c'est moi qui l'ai voulu."
"J'ai mangé du pain...
du pain complet, par exemple.
Du pain bio, j'aime pas le bio, j'ai mangé du bio.
Finalement, c'est pas si mauvais que ça."
Vous avez éprouvé de la dissonance.
Vous changez d'opinion envers le pain bio.
Vous voyez ?
Donc on arrive avec...
Et en plus, avec la contagion de la dissonance, à des effets vraiment très importants qui peuvent expliquer les comportements, les opinions, dans notre vie quotidienne.
Bien sûr, il faut être méfiant, il faut prendre du recul.
Mais il faut autant que faire se peut être vigilant là-dessus.
Et c'est pas facile du tout.
Même les psychologues se laissent prendre.
Le cordonnier est souvent le plus mal chaussé.
L'heure passe.
Je vais passer un peu vite.
J'avais préparé pas mal de choses.
Mais voilà, c'est pas...
Sachez aussi que...
cette dissonance-là, elle se réduit...
Là, on voit les modes de réduction de la dissonance.
Cette dissonance-là, elle se réduit aussi lorsqu'on prend des décisions.
Vous prenez une décision, par exemple.
Je sais pas, certains jouent au loto, par exemple.
Au tiercé.
On a montré que les gens, par exemple, éprouvent de la dissonance, lorsqu'ils jouent.
Et pour réduire cette dissonance-là, ils vont augmenter leur confiance en leur pari.
C'est-à-dire qu'ils vont être surconfiants.
Et la surconfiance, c'est aussi une réduction de la dissonance.
On est plus confiant envers un pari après avoir parié qu'avant.
Ce qui explique que si vous achetez un billet de loto, par exemple, que vous choisissez un billet de loto et qu'on vous demande de le céder, vous aurez du mal à le céder.
C'est le vôtre, vous l'avez choisi.
Et donc, vous êtes confiant envers votre choix.
Vous aurez du mal à céder ce billet de loto.
Et ça, c'est de la dissonance, parce qu'une fois que les choses sont faites, que le comportement est fait, tous les processus de la dissonance s'enclenchent les uns après les autres.
Ici, la surconfiance.
Elle a été illustrée dans des cas...
dans des cas, on va dire, historiques.
On appelle ça l'escalade dans l'engagement.
Vous savez, on réalise un petit acte, qui va justifier un autre acte.
Cet acte-là va justifier un autre acte.
Ça aussi, c'est un effet de la réduction de la dissonance.
C'est la rationalisation en acte.
Pour justifier un comportement, vous allez en faire un plus coûteux.
Et un autre encore plus coûteux, etc, etc.
Certains psychologues sociaux qui avaient une vision très large des choses ont expliqué certains événements historiques avec ces effets de réduction de la dissonance.
Je dis pas que l'effet de la réduction de la dissonance soit explicable, en tout cas, le facteur le plus saillant.
Mais des gens comme Janis et Vogel qui ont essayé d'expliquer des décisions mal prises, de par ces effets de dissonance.
Quand on est engagé dans une action, il est très dur de revenir dessus.
Par dissonance, on en fait un peu plus.
On augmente peu à peu.
C'est de l'escalade d'engagement, de la rationalisation en acte.
Quand on est au-delà de notre propre personnalité, au-delà de notre façon de voir les choses, on est ici dans des...
dans des réseaux groupaux, sociaux très importants.
La dissonance nous fait commettre des erreurs.
Elle nous amène à des comportements non spontanés.
Donc il y a tout un ensemble sur lequel on peut jouer et qui est explicable par la théorie de la dissonance.
Donc on a fait aussi...
Mais je passe assez vite car ça va trop loin.
Puisque c'est la semaine du cerveau, on a mis en évidence...
Pas mal d'expérimentations ont été faites pendant les élections américaines, aux États-Unis sur...
Sur la façon dont les gens vont réduire leur dissonance.
Et en fait, on a montré que...
Alors, je voudrais...
Oui.
On a montré qu'il y a des régions du cerveau qui sont propices à la dissonance.
On peut essayer de voir où cette dissonance-là, dans quel cortex elle se situe.
Pendant les élections américaines...
Nos collègues américains ont les moyens de faire tout ça.
Avec des IRM, etc.
On met dans un IRM un candidat qui a voté pour Bush ou un candidat qui a voté pour Kerry.
C'était les élections de 2004.
Bush, le Républicain.
Kerry, le Démocrate.
On essaie de voir ce qui se passe dans le cerveau des gens.
Lorsqu'on donne des informations qui sont dissonantes, lorsqu'on fait croire au candidat démocrate que le Républicain est le meilleur, certaines zones cérébrales se désactivent ou s'activent, en fonction de l'information que l'on reçoit.
Si, par exemple, on vous transmet de l'information qui vous arrange pas du tout, on vous fait croire que le Démocrate est meilleur que le Républicain, on voit à l'IRM que certaines zones du cerveau se désactivent.
Ces zones du cerveau vous permettent de ne pas engranger l'information contraire, l'information qui est dissonante.
Donc physiologiquement parlant, il y a des effets de ce type-là qui sont très, très, très forts.
Ça explique pas mal de choses.
Dès que vous retrouvez votre consonance, d'autres zones du cerveau s'allument.
Enfin, qui s'activent, une fois que vous avez rétabli votre consonance.
Le cerveau à part entière...
Ça montre un petit peu, déjà, là, ça montre que Festinger avait raison en 1957.
Il avait pas l'IRM, en 1957, Festinger.
Toutes ces expériences vont dans le même sens.
Il y a une exposition sélective à l'information.
En état de dissonance, vous allez vous exposer à votre information et pas à l'information qui est celle des autres.
Je vous invite, vous suivez sûrement l'actualité politique...
En ce moment, moi, je me régale.
Je me régale avec ces informations qui passent, comme ça.
Ces démentis, etc.
De jour en jour !
Voilà, et il y a de la dissonance.
Il y a de la dissonance.
Je veux pas vous le faire croire à tout prix.
Mais des choses peuvent s'expliquer par la dissonance.
Cette théorie est merveilleuse.
Voilà, je vais arriver à la fin de mon exposé.
Je vous avais prévu pas mal de choses.
Là aussi, au niveau religieux...
on a travaillé sur des gens qui croyaient profondément.
On a demandé à des chrétiens évangéliques de lire, retenir, réciter devant un magnétophone un texte remettant en question la suprématie du Christ.
C'est pas rien !
Donc identité du groupe menacée.
Rappelez-vous Marian Keech.
On va pas changer d'attitude, c'est pas possible.
C'est trop résistant, on change pas d'avis envers le Christ.
Pour réduire la dissonance, on va oublier.
On oublie le contenu.
Exposition sélective à l'information.
C'est des vieilles "expé", 1962.
OK, c'est pas récent, mais on fait les mêmes expérimentations et on observe les mêmes effets.
Dès qu'il y a exposition sélective, qu'on vous livre un contre-argument, vous mettez de côté.
Je vous avais préparé des diapositives sur la politique, parce que j'adore bien la politique.
On s'aperçoit qu'on réagit pas de la même façon, selon qu'on est plutôt libéral ou conservateur.
Mais je vais laisser libre cours à la discussion.
C'est l'heure.
Deux diapos sur les applications de la dissonance.
Sur quoi on travaille, actuellement ?
Il faudrait quatre heures, pour parler de la dissonance, hein.
On travaille sur les techniques de changement de comportement.
On a du jargon, hypocrisie induite, auto-prophéties, dissonance vicariante, qu'on a vue, c'est la contagion.
On travaille sur les différences.
Certains supportent la dissonance.
On travaille sur les mesures implicites et explicites.
Comment mesurer la dissonance, les mesures probantes.
Les indices physiologiques.
L'exposition sélective, dont je viens de parler.
Tous ces champs entrent dans notre vie quotidienne.
On vous dit de manger et bouger quotidiennement.
Vous le faites ou vous mettez de côté ?
Eh ouais !
Identité sociale, perspective interculturelle.
Japonais et Chinois éprouvent-ils la dissonance comme les Européens ?
Il y a beaucoup de choses à dire, là aussi.
La formation des préjugés, la communication politique.
Et on travaille aussi sur des problématiques plus...
plus politiques, comme les techniques de diffusion de la responsabilité, la résistance au changement, la radicalisation politique ou religieuse m'intéresse aussi.
Et l'engrenage dans l'escalade de l'engagement.
Ces thématiques nous sont essentielles.
Elles nous projettent dans l'actualité qui est...
brûlante.
Et aussi, on commence à réfléchir un petit peu à tout ce qui tourne autour des théories du complot.
Les complotistes.
"Est-ce que les Américains sont allés sur la Lune ?"
"Comment est morte Diana ?
Est-ce un complot ?"
Que faire de la dissonance cognitive dans tout ça ?
Il y en a.
À nous de l'analyser.
Voilà.
Je crois avoir fini, donc...
Si vous êtes intéressés, voilà les deux ouvrages sur lesquels vous pouvez partir, mais les références seront données.
C'est l'heure des questions et des réponses, si je peux apporter des éclaircissements.
Et désolé pour ce petit dépassement de temps.
Je vous remercie.
Modératrice.
-Merci beaucoup pour votre exposé.
Il nous a donné beaucoup de lumière.
Surtout par les temps à venir.
Vous avez tous compris qu'avant les élections, vous reviendrez sur nos archives, vous retrouverez cette conférence, vous l'écouterez attentivement, puis vous irez mettre votre bulletin dans les urnes.
M.
Girandola, merci beaucoup, c'était passionnant.
Ça nous aide pas mal.
Et aussi, ça nous inquiète un peu.
Parce que...
on en a tous, de la dissonance.
Et dans quel sens orienter la diminution des tensions pour avoir un monde intelligent et bienveillant ?
Et puis, là, pour qu'on se sente bien et qu'on vote juste ?
Non, là, j'exagère.
Je passe la parole au public.
Et puis, je vais prendre la première question.
Auditrice 1.
-Bonsoir.
Excusez-moi par avance si vous avez déjà exposé la question dont je vous fais part.
La dissonance n'est-elle pas positive en cela qu'elle nous place dans l'acceptation forcée de l'opinion inverse ?
Une ouverture de conscience, en quelque sorte.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-C'est une question qui appellerait beaucoup de débat et de développement.
Donc, l'ouverture de conscience, en tout cas, qui peut être inconsciente.
Puisque...
Voilà, non mais...
Lorsqu'on est amené à réaliser un comportement, un comportement, on va dire, sous contrainte faible, c'est-à-dire lorsqu'il y a aussi le libre choix, on va être amené à rationnaliser, à trouver de bonnes raisons à notre comportement.
Si on en croit les recherches faites jusqu'à maintenant, on pourrait parler de dissonance positive, oui, peut-être, mais "positive" entre guillemets.
C'est-à-dire que si vous trouvez de bonnes raisons qui vous sont intéressantes, et vous savez qu'elles vont vous permettre de vivre une vie cohérente, sans trop d'irrégularités, alors oui, la dissonance peut être "positive" pour vous.
Dans le sens où vous avez pu réguler des tensions pré-existantes.
Alors maintenant, des expérimentations montrent que ces phénomènes de dissonance peuvent être modérés par des différences personnologiques.
Comme par exemple, ce qu'on appelle dans notre jargon, effectivement, le besoin de tolérance à la dissonance, ou le besoin d'ouverture d'esprit ou pas.
Ça dépend des thématiques, des situations, de la façon dont vous allez produire cette dissonance-là.
Pour vous répondre, je dirais oui, si on met entre guillemets ce terme "positif" que vous employez.
L'essentiel, c'est que vous soyez bien après.
Si vous avez une raison pour justifier votre comportement, et que cela vous convient, même de manière inconsciente, vous vivez votre vie librement.
Auditrice 1.
-C'est une dynamique de l'évolution, en quelque sorte, d'être en butte à des dissonances.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Oui, mais ce qui est intéressant ici...
On pourrait aller plus loin...
On est quotidiennement face à des contradictions.
Comment va-t-on gérer ces contradictions ?
Je vais pas parler de l'évolution, mais pourquoi pas ?
Mais comment va-t-on gérer ces contradictions qui permettront, si vous voulez, par ce processus de dissonance, de mieux les vivre.
Je suis d'accord avec vous.
De toute façon, quotidiennement parlant, et c'est le propre de l'Homme, en tout cas, Festinger l'a démontré dans ses écrits, on sera toujours confronté à ces contradictions, à ces disharmonies cognitives.
J'ai bien répondu à votre question ?
Auditrice 1.
-Oui, merci.
Auditrice 2.
-Bonsoir.
Je voulais poser une question par rapport au premier exemple, la prophétie de fin du monde.
Vous avez dit que certains adeptes avaient réduit leur dissonance par plus d'engagement en allant faire du prosélytisme.
Si on applique ça au militantisme politique, ça voudrait pas dire que les personnes les plus prosélytes sont celles qui ont le plus de dissonance et qui sont les moins convaincues par les idées qu'elles véhiculent ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Elles ont rationnalisé, en tout cas.
Elles ont une bonne raison de le faire.
Maintenant, c'est un processus de...
Alors, je sais pas.
Ça appelle un autre débat, votre question.
Est-ce que j'agis parce que j'ai une idée forte en tête ?
Ou est-ce que je me suis construit cette idée forte au fur et à mesure de mes actions progressives dans le temps ?
La question est pas la même.
L'ensemble des expérimentations que l'on mène montre qu'en effet, parfois, vous pouvez être engagé dans un environnement militantiste depuis une trentaine d'années, et vous dire : "Je crois en l'environnement.
Je crois en l'environnement.
Ce sont mes idées fortes."
Mais c'est oublier que, depuis 30 ans, vous distribuez des tracts, vous faites du prosélytisme, et toutes ces petites actions, faites les unes après les autres, ces petits actes d'engagement, vont vous conduire progressivement à vous engager plus fortement.
Et donc, effectivement, il peut y avoir des contradictions.
Mais ces contradictions sont vite réduites.
Vous avez votre collègue qui fait pareil que vous.
Ça vous donne un support social.
Votre famille vous encourage, ça donne un support social.
Toutes les questions qui pourraient faire naître une dissonance sont vite effacées.
Ou, alors, vous en faites toujours un petit peu plus, pour réduire cette dissonance.
Et le prosélytisme, c'est aussi une manière d'affirmer ses opinions, on est bien d'accord.
Mais reste la question de savoir d'où viennent ces opinions.
Est-ce que ce sont des conditions fermes que l'on a adoptées lors d'un débat, ou est-ce que c'est une socialisation qui vient de votre famille, infantile, maternelle, etc.
Voilà !
Voyez ?
C'est une question à double tranchant.
Et moi, je serais tenté de dire qu'il y a prosélytisme.
Mais le prosélytisme, ça veut dire que des comportements ont été faits qui, par rationalisation aussi, font que la dissonance se réduit par rationalisation en acte.
Interviennent d'autres processus dont j'ai pas eu le temps de parler.
Mais vous avez des processus d'internalisation.
Je réalise quelque chose, j'y crois dur comme fer.
Avec l'internalisation, vous direz : "Être militant fait partie de moi."
L'internalisation, même la naturalisation, vous fait dire : "C'est ma vie, d'être militant."
Ça, vous pouvez le dire.
Mais nous, en tant que psychologues sociaux, on saura jamais trop si c'est vraiment vos idées, votre force, vos opinions, ou vos actes qui vous ont engagée depuis une trentaine d'années à ça.
Et ça, on aura toujours du mal à le dire.
Parce qu'on se pose plein de questions là-dessus.
C'est une très bonne question, de savoir comment nos idées naissent, comment nos idées se transforment et comment on en est à aujourd'hui.
Par rapport aux idées qu'on partage avec les uns et les autres.
J'ai pas pu en parler, mais le support social et identitaire est essentiel aussi, à cette réduction des dissonances, et à cette escalade, aussi, dans l'engagement.
Ça ira ?
Auditrice 2.
-Merci.
Modératrice.
-C'est épineux !
Qui est-ce qui s'y risque ?
Auditeur 1.
-Bonsoir.
Pareil, j'aimerais revenir sur l'histoire de Marian Keech.
Je ne sais pas dans quelle mesure on pourrait pas expliquer la montée, la radicalisation des individus autour de Marian, avec d'autres explications, comme par exemple, les biais.
Je suis pas psy, je suis novice.
Mais j'ai entendu parler d'un biais cognitif, le biais des coûts irrécupérables.
Et je me demande dans quelle mesure...
De jour en jour, on investit et à un moment, on se dit : "Je peux plus m'arrêter là."
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Oui, je suis tout à fait d'accord.
C'est une explication possible.
Les coûts irrécupérables, c'est ce qu'on appelle "dépenses gâchées", en psychologie.
"Coût irrécupérable", c'est économique.
Dépense gâchée, c'est de la psychologie sociale.
C'est quoi ?
C'est une escalade dans l'engagement.
C'est ce dont je viens de parler tout à l'heure.
L'escalade de l'engagement, c'est une façon de justifier des petites actions par des actions plus conséquentes.
Et donc, oui, je suis d'accord avec vous.
Effectivement, on peut expliquer par des dépenses gâchées, par l'escalade de l'engagement, les actions réalisées par les adeptes de Marian Keech, tout à fait.
Vous avez raison.
J'ai pas insisté sur la présentation.
J'ai parlé de radicalisation.
Mais il est évident que la radicalisation peut aussi...
être l'effet d'une escalade dans l'engagement.
Et donc, être un coût irrécupérable.
Donc je suis d'accord.
J'ai bien répondu à votre question ?
Auditeur 1.
-Oui, mais au final, qu'est-ce qui est vrai ?
La dissonance cognitive ou le biais cognitif...
le biais...
Qu'est-ce qui explique le mieux ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Ça dépend quel point de vue on prend.
Si on part du biais cognitif, donc je pense que vous voulez parler des biais cognitifs que l'on connaît.
On va dire, des raccourcis cognitifs.
Pour moi, il y a pas trop de doute.
Le raccourci cognitif peut être un produit de la dissonance.
Des expérimentations montrent cela.
C'est-à-dire que...
Il y a des expérimentations, je pense aux expérimentations traditionnelles, Kahneman, Tversky, des choses comme ça, qui montrent qu'effectivement, on est tous emprunts à des biais cognitifs, d'heuristique, disponibilité, etc.
Mais ce sont des biais cognitifs.
OK ?
Mais la dissonance, pourquoi elle n'interviendrait pas aussi dans ces biais cognitifs ?
Est-ce que l'adoption d'un biais cognitif n'est pas, aussi, d'une certaine manière, une production ou une réduction de dissonance ?
C'est une hypothèse que j'avance.
Mais moi, j'aimerais bien tester ce genre de trucs en situation contrôlée de laboratoire.
On a déjà fait des choses, pour le biais de surconfiance.
Lorsqu'on est surconfiant, une fois qu'on a parié, une fois qu'on a fait du prosélytisme, on exprime une plus grande confiance envers notre comportement qu'avant.
La surconfiance, c'est aussi un biais cognitif.
Et qui est issu, aussi, d'une réduction de la dissonance.
Donc les deux s'expriment assez bien.
Auditeur 1.
-Les deux s'imbriquent.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Oui.
Oui, entre guillemets.
Je peux pas dire un oui franc et massif.
Il y a besoin d'expérimentations, de voir comment les choses s'imbriquent.
Si jamais je devais me positionner, je dirais plutôt oui que non.
Modératrice.
-Très bien.
Je vais prendre une autre...
D'abord, là.
Profitez-en pour prendre les références des ouvrages affichés parce que je pense que c'est un bon complément à la conférence.
Auditeur 2.
-Bonjour, je voulais vous interroger sur les théories du Soi, pour expliquer la dissonance cognitive.
Je partage aussi la vision radicale de la dissonance cognitive, comme vous, visiblement.
Et en lisant...
j'ai lu votre ouvrage.
Et je me suis interrogé sur pourquoi ne pas accorder à l'idée que donne les théories autour de l'autoconsistance du Soi, le statut ou le concept de culpabilité ?
L'idée est que la dissonance est une menace pour le Soi.
Elle menace l'intégrité, un Soi qui est moralement bon.
Ne pourrait-on pas expliquer ça avec le concept de culpabilité, et laisser à la dissonance cognitive son statut premier, soit expliquer un exercice libéral du pouvoir social.
Et expliquer ce que montrent les théories autour du Soi, comme étant le résultat d'un sentiment de culpabilité, qui est aussi un "drive", un état motivationnel inversif et qui pousse aussi à sa réduction.
Par ailleurs, ce qui est intéressant, c'est que la psychologie sociale est une discipline qui s'intéresse aux relations interpersonnelles.
Il me semble qu'aucun sentiment ne médiatise autant ces relations que le sentiment de culpabilité.
On pourrait dire que c'est fondateur de la relation aux autres.
Les cognitivistes ne veulent-ils pas faire un peu d'exorcisme, faire sortir ce sentiment métapsychologique, qui appartient à une certaine idée de la psychologie spiritualiste, pour atteindre quelque chose de plus cognitiviste, de plus pur empiriquement ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Bien...
C'est vraiment un concentré, en 30 secondes, de questions très, très, très, techniques.
Vous citez...
Je vais pas entrer dans les débats théoriques de versions radicales, de théorie du Soi.
Donc, ce que je peux vous dire, effectivement, et ce que je peux dire au public aussi, en même temps...
Je vais répondre à votre question, mais je suis obligé d'expliquer, avant de vous répondre.
Il existe, évidemment, comme dans toute science, diverses interprétations de la façon dont naît la dissonance.
Donc voilà.
Et donc, il y a des théories qui disent, "La dissonance s'exprime lorsqu'on attaque le Soi de l'individu."
C'est-à-dire quand notre Soi profond est attaqué.
Par exemple, vous vous considérez comme honnête et bon et vous faites quelque chose de malhonnête.
Votre Soi profond est attaqué.
Votre définition de vous-même l'est.
Vous allez éprouver de la dissonance.
C'est ce que vous disiez.
Vous avez dit aussi qu'on pourrait parler de culpabilité et vous avez fait un rapprochement entre dissonance et culpabilité, ce qui n'est pas faux.
Certaines expérimentations montrent qu'on peut effectivement...
En tout cas, la dissonance étant un affect négatif, on peut rapprocher cet affect négatif de la culpabilité.
Ce sont des recherches en cours qui nécessitent développement.
Mais l'idée fait son chemin, si vous voulez.
Alors, pour revenir à votre question...
Qui était ?
En deux mots, rappelez-la.
C'était ?
Auditeur 2.
-Est-ce que, justement, les théories autour de la consistance de Soi ne sont pas explicables par ce sentiment de culpabilité ?
On attaque le Soi.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Oui, d'accord.
Auditeur 2.
-Et ne pas laisser le statut de la dissonance cognitive uniquement à la situation de Festinger, au paradigme de la soumission induite.
Ça a aussi des vertus explicatives d'un certain ordre social...
C'est paradigmatique, ça éclaire sur le fonctionnement de la société.
Dans la société libérale, ça éclaire les mods d'exercice du pouvoir social.
Enfin, les modalités de cet exercice.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-S'il fallait prendre position entre les théories du Soi et la célèbre version radicale, qui dit qu'il suffit de deux conditions incompatibles pour qu'il y ait dissonance, il est évident que j'aurais tendance à dire que le Soi n'intervient pas forcément dans les effets de dissonance.
Même si des expérimentations l'ont montré.
J'aurais tendance à dire qu'effectivement, si on active une contradiction entre ce que je fais...
entre mon Soi et ce que je fais, un inconfort psychologique va se déclencher, un affect négatif, qui peut être apparenté à de la culpabilité.
Mais ça reste à prouver.
Par contre, si on prend une version plus radicale, on vous dira que deux conditions en contradiction suffisent à reproduire la dissonance.
Donc le Soi, on le met à l'écart.
Maintenant, si on prend, on va dire, un petit peu plus de hauteur, avec des auteurs comme Jean-Léon Beauvois, comme Robert-Vincent Joule, qui ont travaillé là-dessus, sur la version radicale.
Vous avez d'excellents ouvrages qui ont été rédigés sur cette question-là.
C'est-à-dire, je pense à un ouvrage de Jean-Léon Beauvois qui traitait par exemple de la servitude libérale.
Jean-Léon disait tout simplement qu'on vit en démocratie pour mieux rationnaliser, d'une certaine manière.
C'est-à-dire que la démocratie est un système valable, certes.
Il n'y a rien à dire.
Mais justement, ce libre arbitre qui est censé être le nôtre, ne nous amène-t-il pas à rationnaliser mieux nos comportements ?
Si on prend de la hauteur par rapport au débat, on peut effectivement se dire, "On vit en société libérale, démocratique.
On est tous censés être libres."
Vous savez, la liberté est un facteur de production de la dissonance.
Et justement, le fait d'être en démocratie, est-ce que c'est pas aussi le système tel qu'il est conçu qui nous amène à rationnaliser les choses que l'on fait ?
Et qu'on croit être les nôtres, par tout un effet de réduction de la dissonance au niveau des idées et des comportements.
Alors qu'elles sont pas, au départ, peut-être, les nôtres.
Vous voyez ?
Donc là, il y a des ambigüités, effectivement, qui peuvent se poser, si on se pose les questions sociétales par rapport à nos comportements en situation...
nos comportements sociétaux, tout simplement.
Alors oui, il y a beaucoup à dire là-dessus.
On pourrait parler des expérimentations qui ont été faites en laboratoires, qui montrent ça, en effet.
C'est-à-dire que l'idéologie peut moduler fortement les effets de production de la dissonance.
J'espère avoir répondu à la question, qui était pas simple.
Théoriquement parlant, il y a deux grands champs théoriques que vous opposez et qui relèvent de...
50 ans de littérature.
Donc ma réponse est minimalement, on va dire, réduite, par rapport à ce que je pourrais dire par rapport à la question.
Mais je pense avoir dit l'essentiel.
Auditeur 2.
-Merci.
Auditeur 3.
-Bonsoir.
Est-ce que l'appartenance à un groupe conditionne la théorie ou y a-t-il des expériences qui montrent qu'elle vaut au niveau individuel et que l'effet de groupe la renforce ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-L'identité sociale n'est pas nécessaire à la production des dissonances.
Malheureusement, j'ai pas eu le temps de présenter des "manips" que je voulais montrer.
Mais on peut obtenir des effets de dissonance sans forcément rendre saillante l'appartenance à un groupe ou à une identité sociale.
Par contre, lorsqu'on active, lorsqu'on sait que les gens...
ou alors qu'on sait que les individus appartiennent à un groupe, qu'on leur fait remarquer, on s'aperçoit de suite que ce groupe va modérer les effets de dissonance.
Les effets de dissonance vont trouver un autre moyen de s'exprimer.
Comme, par exemple, l'oubli, le changement de comportement, mais pas forcément le changement d'attitude.
Et nous autres, lorsqu'on fait ce genre d'études en laboratoires, on s'amuse, passez-moi l'expression, mais on expérimente, justement, on fait varier différentes modalités de la saillance identitaire.
Cela montre que selon notre appartenance au groupe, selon qu'elle est faible ou forte, selon qu'on l'identifie faiblement ou fortement, on n'observe pas les mêmes effets de dissonance.
L'effet de dissonance vicariante, lorsqu'on voit quelqu'un de dissonant donc qu'on éprouve la dissonance, on ne peut éprouver cet effet que si on s'identifie fortement au groupe auquel appartient la personne.
Donc oui, il y a des effets de dissonance qui sont tout à fait observables et productibles sans mettre en cause, attiser ou manipuler l'appartenance groupale ou identitaire des individus.
Auditeur 4.
-Bonsoir.
Ma question, c'est de savoir quels sont les leviers, s'il y en a, qui font qu'une personne va reconnaître qu'elle réduit sa dissonance, qu'elle est en dissonance.
Qu'est-ce qui fait qu'elle reconnaît ses contradictions ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Si on la place dans une situation...
Si on fait les expérimentations que nous, on fait en laboratoire, où on sait pertinemment qu'une personne a une opinion contraire à ce qu'on lui demande de faire, on le sait, donc on sait qu'elle va éprouver de la dissonance.
Cette personne s'en rend compte.
On va lui dire, par exemple, de rédiger un texte...
Je dis n'importe quoi.
Un texte pour la peine de mort, alors qu'elle est contre.
On sait que cette personne est contre la peine de mort et on lui demande un texte pour la peine de mort.
La contradiction est flagrante.
On sait que cette personne va éprouver de la dissonance.
Ensuite, lorsqu'on n'est pas en situation de laboratoire, c'est plus difficile de détecter la dissonance.
Ce sont des expériences qui sont parfois assez intimes.
On pense des choses qui sont contradictoires, qui peuvent se manifester...
J'ai des collègues qui travaillent par le langage.
La dissonance peut s'exprimer selon les mots qu'on emploie, selon les articles qu'on emploie, selon différentes modalités.
La dissonance peut s'exprimer par les mouvements que l'on fait.
La dissonance peut s'exprimer sans qu'on le sache par des indices physiologiques.
Par exemple, si on vous amène à vous priver de manger pendant 24 heures alors que vous avez faim, vous allez éprouver de la dissonance.
Pour réduire cette dissonance, vous allez dire : "J'ai pas faim."
Certes, mais si on vous fait une analyse sanguine, on va trouver dans le sang des marqueurs qui montrent que vous n'avez pas faim.
Donc on a des indices physiologiques qui corrèlent avec des indices verbaux, langagiers et cognitifs.
Pour savoir si quelqu'un en face de nous est dissonant ou pas, c'est une autre histoire.
Des collègues qui travaillent sur le comportement non verbal pourraient le dire.
Quoique...
Pour l'instant, on n'a pas beaucoup d'études faisant le lien entre comportement non verbal et dissonance.
C'est peut-être un moyen de réduire sa dissonance.
Auditeur 4.
-En fait, je voulais savoir...
Enfin, je supposais qu'une personne puisse reconnaître sa dissonance.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Elle-même ?
Bien sûr, bien sûr !
"Là, je suis en état de dissonance, qu'est-ce que je fais ?"
Mais la question peut se poser et puis, peut s'oublier.
Et c'est l'oubli qui est important.
L'oubli peut être une conséquence de la réduction de la dissonance.
Vous voyez ?
C'est vraiment...
Les modes de réduction sont multiples et variés.
On peut se dire : "Je fais quelque chose que je veux pas faire.
Je le fais quand même."
Vous en prenez conscience, que vous le faites.
Ce qui est moins conscient, c'est la réduction de la dissonance.
Nous, on peut le mesurer.
On a des questionnaires.
On a toute une méthodologie.
Il n'y a aucun problème.
Mais la personne qui le vit dans sa vie quotidienne, en famille, avec son époux, son épouse, avec ses enfants, etc.
La dissonance s'exprime constamment.
Comment on la réprime ?
Comment on la gère ?
Il faut faire des observations participantes, comme l'ont fait Festinger et Schachter avec les adeptes.
Mais ça devient effectivement assez difficile à réaliser.
Il faut des moyens, faire des observations participantes.
Et ça demande beaucoup de temps aussi.
Pour répondre à votre question, on peut très bien se dire, "Oui, je fais des choses que je ne veux pas faire, mais..."
Qu'allez-vous faire de cette contradiction-là ?
C'est ça qui est important.
Si vous voulez vous en débarrasser, l'oubli, peut-être, est effectivement un moyen commode de ne plus penser à cette dissonance, à cet état de dissonance.
Que fait l'oubli ?
Ça vous permet de vous exposer à une information et pas à une autre.
Certains modes de réduction de la dissonance peuvent, si l'oubli n'est pas, on va dire...
assez fort pour réduire votre dissonance, vous passez sur un autre mode de réduction, comme un système hydraulique.
Modératrice.
-On aurait dû inviter aussi un psy, parce qu'avec l'oubli, faut passer par son cabinet.
C'est au monsieur.
Auditeur 5.
-Vous avez parlé de démocratie.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Je vois pas qui parle.
Excusez-moi.
Merci !
Auditeur 5.
-Vous avez parlé de démocratie 2-3 fois.
J'ai tout de suite pensé à l'expérience des étudiants et de la répression policière.
C'est quand même une expérience de démocratie assez étrange.
Parce que non seulement on demande de rédiger un texte, donc d'avoir des opinions contraires à ce que les étudiants...
à ce qu'on peut attendre des étudiants.
Et en plus de ça, on les achète, quoi.
Non, pour ça, vraiment, c'est...
c'est effectivement la démocratie libérale...
Ce qu'on vit continuellement.
Mais il y a eu des étudiants dans cette expérience, qui ont refusé, véritablement, d'écrire contre leurs opinions ?
Qui ont fait acte de non-dissonance ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Alors...
Juste, je comprends effectivement, mais...
ce que je vous raconte là, c'est un exemple parmi d'autres.
Je vous donne un exemple.
Effectivement, la répression policière, ça semble...
Mais ce sont des thématiques qui, justement, sont très prenantes.
Alors, je réponds à votre question.
Il faut pas oublier qu'il y a une pression institutionnelle.
Celui qui fait l'expérience, Cohen, c'est un professeur de psychologie.
Il représente une autorité.
Il demande à des étudiants qui le connaissent s'ils veulent bien rédiger un texte pour la répression policière.
Donc il y a aussi ici un effet...
Auditeur 5.
-De pouvoir, bien sûr.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Voilà, de pouvoir qu'ont théorisé certains de mes collègues.
C'est la notion de pouvoir sur l'individu.
Vous voyez ?
Ça fait qu'on ne peut pas refuser parce que c'est le prof qui demande.
Mais en même temps, le prof nous laisse libres mais c'est quand même le prof qui le demande.
Vous voyez ?
Donc il n'y a pas d'injonction, dans le sens où personne ne dit, "Vous devez le faire.
Faites comme vous voulez, à vous de voir."
Ça suffit pour déclencher des effets de dissonance.
Dans certaines expérimentations, des expérimentations ont été conçues pour savoir si les gens acceptaient tout et n'importe quoi.
Deux ou trois expérimentations montrent que des gens refusent.
Ils refusent.
Ça existe, bien sûr.
Je me souviens de l'expérience de 1972, qui essaie de comprendre pourquoi les gens refusaient.
Alors, ce qu'on fait la plupart du temps, lorsque les gens refusent de participer, c'est qu'on essaie de voir après l'expérimentation, un petit peu, pourquoi ils ont refusé.
Dans des entretiens, par exemple.
"Pourquoi vous avez refusé ?"
Mais le refus est, on va dire...
Auditeur 5.
-Dans les statistiques, il n'y a pas...
Vous nous avez donné des statistiques, de 1 à 7, et tout ça.
Est-ce qu'il y en a vraiment qui ont refusé ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Je peux pas dire oui.
Auditeur 5.
-À quel moment ?
Dès le départ ?
Pendant l'expérience ?
Est-ce que dans les statistiques, les chiffres, sont pris en compte le refus et...
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Pour l'expérience de Cohen, je me souviens pas précisément du nombre de refus ou d'acceptations.
Mais je ne pense pas...
Ça, c'est une opinion.
Il faut que je revoie exactement le compte rendu scientifique.
Il y a peu de défections.
Parce qu'on arrive à obtenir de la part des individus, par exemple, de manger des sauterelles grillées.
Vous voyez ?
On peut faire écrire contre les Droits de l'Homme.
Il y a toujours des gens qui se posent des questions.
Auditeur 5.
-Il y a bien des journalistes qui le font, ça !
Et il y a des testeurs de parfums qui reniflent de la merde.
Ils sont payés pour.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Peut-être, mais voilà.
Le fait est qu'on donne une explication théorique qui, dans la vie quotidienne, n'existe pas.
Ou on croit le faire sans savoir que ça existe théoriquement.
Donc, les faits de résistance sont bénéfiques et même salutaires.
Mais, dans ces expérimentations, ces effets de résistance ne sont pas, on va dire, majoritaires, en tout cas.
C'est pas parce que vous laissez le libre choix que ce quelqu'un va sortir de la situation.
Ça, c'est un collègue américain qui l'a montré.
Il s'appelle Zimbardo.
C'est pas parce que vous laissez le choix que le choix vous permettra de sortir de la contradiction.
Le choix insuffle, vous donne un sentiment de liberté qui vous permet de rationnaliser, mais pas de sortir de la situation.
Je vous ai répondu ?
Auditeur 5.
-Oui, du point de vue du psycho-sociologue, oui.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Merci.
Auditrice 3.
-Bonjour.
Je suis ici.
J'avais aussi la question sur la résistance, je la supprime.
Et j'avais été intriguée par ce que vous avez passé un peu trop vite à mon goût sur les différences culturelles.
Je voulais savoir si, effectivement, vous aviez trouvé des choses pondérables, mesurables ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Moi, personnellement, je travaille sur les différences culturelles, mais pas sur la dissonance.
Oui, bien sûr qu'il y a des effets.
On n'observe pas les mêmes effets de dissonance si on fait des expérimentations d'esprit nord-américain, européen, ou d'esprit asiatique, si vous voulez.
On est dans deux cultures différentes.
On va dire qu'on est dans une culture individualiste pour la partie européenne et nord-américaine, et une culture plus collectiviste, asiatique, etc.
Et les effets de dissonance sont, on va dire, pas du tout identiques, selon ce que l'on manipule, selon le thème, selon la façon dont on fabrique la situation qui va amener les gens à cette situation de dissonance.
Le facteur interculturel est très important.
C'est d'ailleurs une des voies de recherches actuelles sur la façon dont les gens réduisent leurs dissonances selon qu'ils appartiennent à telle ou telle communauté.
Et encore, des expérimentations qui ont été faites en Chine, où il y a peut-être...
Et au Japon.
En Chine, par exemple, la culture est plutôt collectiviste.
Mais vous avez de plus en plus, maintenant, une culture assez occidentalisée, qui fait que certains partagent plus la culture, on va dire, libérale que collectiviste.
On observe des effets différents en Chine, selon qu'on appartienne à une culture plus individualiste dans un cadre qui reste encore collectif.
Donc il faut y aller vraiment très doucement.
Un autre exemple, nous avons fait des études en Chine, justement.
Sur le concept de libre choix, dont j'ai parlé tout à l'heure.
Le libre choix nous conduit à réaliser des comportements qu'on n'aurait pas réalisés spontanément.
Ça a été prouvé.
Le libre choix, ça marche très bien en France.
Ça marche très bien aux États-Unis.
L'esprit nord-américain, nord-européen.
En Chine, le libre choix ne marche pas.
Ils vont dire : "Le libre choix, je sais pas ce que c'est."
Donc on n'a pas d'effet de libre choix en Chine.
On a les statistiques qui descendent, comparativement aux effets observés aux États-Unis ou en France, par exemple.
Pareil dans certains États africains.
Des États africains sont plus libéraux.
On observe des effets différents.
Auditrice 3.
-C'est le biais culturel ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Oui.
Enfin, si on peut parler de "biais culturel".
Entre guillemets.
Mais voilà, les effets sont très différents d'une appartenance collectiviste ou individualiste pour les deux catégories qui sont les plus opposées.
Maintenant, il y a des finesses entre ces catégories-là qui montrent qu'on peut pas réduire les effets de dissonance à ces deux catégories.
Il faut des analyses beaucoup plus fines.
Au niveau de la construction du Soi, aussi.
Car certains auteurs ont montré que, je retombe sur les théories du Soi, parfois, on a en tête un Soi qui est plutôt indépendant.
C'est-à-dire qu'on vit dans une culture libérale qui insuffle des valeurs libérales.
Indépendance, autonomie, etc., qui vont favoriser les effets de dissonance.
On n'observe pas cela dans des cultures collectivistes, ou beaucoup plus autoritaires.
Et là, on tombe dans ce que je disais.
Donc ce sont des recherches passionnantes qui montrent qu'on n'obtient pas les mêmes effets selon les différents coins de la planète.
Je crois qu'il y a une question, là.
Modératrice.
-Alors, comme le temps passe et qu'à 21h, faut qu'on soit dehors, il y avait une question par ici.
Voilà, monsieur.
Auditeur 6.
-Bonsoir, monsieur.
Merci pour cette présentation.
Alors, ma question, c'est la dissonance qui mène à un changement de comportement ou d'opinion.
Quelle est la différence par rapport à sa situation, avec une remise en question de l'individu ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Alors...
Est-ce qu'être en dissonance, c'est se remettre en question ?
C'est ce que vous voulez savoir ?
C'est une question qui est très complexe.
Elle convoque plusieurs cadres théoriques.
Et répondre comme ça, brièvement, c'est très dur.
Ça dépend comment on voit la dissonance.
Je connais certaines expérimentations menées avec des psychanalystes, dans les années 1980.
Avec...
Aux États-Unis.
Pas en France, mais aux États-Unis.
Joel Cooper a travaillé là-dessus.
Il étudiait les effets de dissonance en situation de psychanalyse.
Et comment la dissonance peut interagir dans cette situation.
Donc là, il faudrait relire Cooper.
Mais alors, en termes de remise en question, c'est pareil, on retombe, si vous voulez, dans les processus...
D'ailleurs, a-t-on conscience de cette remise en question ?
Vous voyez ?
En a-t-on conscience, ou est-ce que ça se fait inconsciemment, par rationalisations successives ?
Peut-être qu'on peut en être conscient si on vous le fait remarquer.
Certaines expérimentations montrent que si on demande à nos participants d'essayer de réfléchir au sujet...
Par exemple, je prends la répression policière.
Si on leur demande de réfléchir pendant cinq minutes au sujet de la répression policière, donc ils vont construire une contre-argumentation.
Cette contre-argumentation-là peut agir sur les effets de dissonance, et donc contrecarrer la remise en question.
Donc, cette remise en question, on peut, d'une certaine manière, la produire ou pas la produire, selon les consignes qu'on va donner à nos participants.
Mais vous parlez d'une remise en question, moi, la remise en question, je l'apparenterais à la rationalisation.
On va rationnaliser les choses d'une certaine manière pour voir le monde tel qu'il est, ou le monde tel qu'il vous arrange, comme les adeptes de Marian Keech.
C'est ça, la remise en question.
On peut parler de remise en question dans un lexique moins psychosocial, mais je parlerais de rationalisation si on utilise le jargon psychosocial.
Vous voyez ?
Parler de remise en question comme ça, c'est...
On a des phénomènes de naturalisation qui interviennent.
Qui se font au fur et à mesure.
Si, pour cette réduction de la dissonance, vous vous dites : "Je suis environnementaliste.
Je le crois vraiment parce que j'ai réduit ma dissonance."
Enfin, je crois.
Je sais pas si la dissonance m'a amené là.
C'est le problème.
"Je crois que je suis environnementaliste.
Être environnementaliste, ça fait partie de ma nature."
Donc on passe de l'internalisation à la naturalisation.
Est-ce une remise en question ?
C'est une autre question.
Mais les concepts psychosociologiques sont là aussi pour nous aider, pour comprendre qu'effectivement, oui, la remise en question, elle est là, effectivement.
Plus ou moins consciente.
Modératrice.
-Oh là là !
On va pas dormir, ce soir.
Je prends une dernière question.
Auditrice 4.
-Dites-moi si je suis hors-sujet.
Justement, avant la prise de conscience, où peut-on placer les neurones miroirs, par rapport au mimétisme ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Alors...
Oui, alors moi, je vous renverrais, là, à la question de la dissonance vicariante.
Le neurone miroir, quand on voit quelqu'un réagir de façon dissonante, on sait pas si les neurones miroirs interviennent parce que dans le cadre des théories de la dissonance cognitive, on n'a jamais trop testé le rôle des neurones miroirs.
Mais on peut supposer que le fait de voir quelqu'un rédiger un texte pour la répression policière nous met dans un état de dissonance.
Après, vous dire que ce sont les neurones miroirs, je vous dirais : "Pourquoi pas ?"
Pour l'instant, j'ai pas de preuves qui vont dans ce sens.
En tout cas, sauf erreur de ma part, je n'ai pas de texte qui montre...
Ou voir des collègues australiens qui travaillent là-dessus, sur les effets physiologiques.
Je dirais : "Pourquoi pas ?"
La dissonance a des effets vicariants.
Les neurones miroirs renvoient ce que fait l'autre de dissonant et nous imprègne nous-mêmes de dissonance.
Merci beaucoup.
Modératrice.
-Une toute petite question pour moi sur le titre de votre ouvrage.
"La dissonance cognitive, quand les actes changent les idées".
Est-ce que les idées ne pourraient pas changer les actes ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-C'est...
J'emploierai quelque chose qu'on emploie souvent...
vraiment entre guillemets.
Pour être, on va dire...
Est-ce que c'est la poule ou l'œuf ?
Vraiment pour simplifier les choses.
Est-ce que ce sont les pratiques qui vont changer le comportement, qui vont changer les idées ?
Ou est-ce que ce sont les idées qui vont nous amener à réaliser certains nouveaux comportements, qui eux-mêmes vont changer nos idées, etc.
Il est évident qu'en situation de laboratoire, on amène les gens à s'engager.
Comportementalement.
On dit : "Vous êtes libre de faire ça."
Là, c'est bien les pratiques qui changent les idées.
Donc ici, les actes changent les idées.
Après, on a montré que, effectivement, parfois, il y a ce qu'on appelle des opinions très fortes, qui résistent au changement.
Là, on observe d'autres effets, l'oubli de la dissonance.
Mais ces idées très fortes, on appelle ça les attitudes fortes, comment se sont-elles formées ?
Comment ont-elles vu le jour ?
Ce sont des questions...
Se sont-elles formées parce qu'on a déjà réalisé des comportements qui vont dans ce sens ?
Ou est-ce que c'est peut-être dû à notre socialisation ?
Déjà, depuis la plus petite enfance.
Ou...
Alors je dis pas que...
Si vous prenez quelqu'un qui milite pour l'environnement depuis 30 ans, il aura une idée très forte.
Mais voilà, est-ce que le fait d'avoir une idée très forte ne révèle pas que ce militantisme a forgé cette idée-là ?
Donc c'est une question qui est, on va dire, éminemment...
pas dérangeante, mais qui pose aussi certaines...
certaines limites.
Il y a des collègues...
Ça dépend un peu comment on voit les choses.
Vous avez deux façons de voir les choses.
Soit ce sont les idées qui déterminent les comportements.
Et puis, vous n'en démordez pas.
Vous pouvez dire : "Nos comportements fabriquent nos idées."
Vous n'en démordez pas.
On peut voir les choses de différentes manières.
Après, c'est à nous de faire le lien entre les deux, je pense.
C'est ce qu'on fait en laboratoire, actuellement.
On travaille sur ce lien.
Parfois, c'est les perceptions que l'on a des choses, les représentations qu'on a des choses qui font que ces représentations vont entraîner tel comportement.
La représentation détermine le comportement.
Des expérimentations le montrent.
Dans certaines situations, c'est l'inverse.
C'est les comportements qu'on réalise dans la vie quotidienne, que l'on exprime en situation de laboratoire, qui font que nos idées vont changer.
Mais c'est vrai que le croisement entre les deux, c'est essayer de comprendre comment l'un influence l'autre et vice-versa.
C'est aussi très important.
Donc j'ai pas de "oui" ou de "non" à vous donner, à ce niveau-là.
Ce sont des champs de recherche éminemment passionnants.
Ils nécessitent, bien sûr, d'autres possibilités.
On a des boulevards de recherche, ne serait-ce qu'en termes de radicalisation, de communication politique, qui s'ouvrent devant nous.
Modératrice.
-La radicalisation, justement, c'est assez concret.
Je parle de ce que l'on vit actuellement.
Mais justement, ne faut-il pas changer les idées, c'était un peu l'arrière-pensée, pour créer de la dissonance, et avoir...
et s'orienter vers d'autres actes que des actes criminels ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Si c'était aussi facile que ça, on l'aurait fait de suite.
Mais il faut bien voir que ce cadre-là, le cadre de la radicalisation, s'adresse à des groupes très formés, à l'identité très forte, où la spiritualité est très forte.
C'est ça qui mène la danse.
On est sur des aspects identitaires très forts.
Plus que forts.
Ça dépasse, il faut dire, les...
Donc il faudrait faire éclater ce "Nous", ce groupe, par la dissonance, pour que ça change.
Pour l'instant, on cherche.
Modératrice.
-Cherchez bien !
On a besoin de vous.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-On fait que ça !
Modératrice.
-Donc, merci à l'équipe technique qu'on a retenue trop longtemps.
Merci à vous.
Merci beaucoup.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Merci, avec plaisir.
Merci à vous.
Modératrice.
-Merci, M. Girandola.
A écouter (1:57:55)
Chargement du média
"Cité des sciences et de l'industrie"
Les conférences
"Le Cerveau, entre raison et émotion"
Mardi 14 mars 19h00
"Changer de raison pour garder la raison"
Avec Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale (LPS),Université d'Aix-Marseille.
Avec le soutien de Pour la science, Cerveau & Psycho.

Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale (LPS),Université d'Aix-Marseille.
-Bonsoir à toutes et à tous.
Effectivement, je vais vous parler de changement de comportement, de changement d'opinion.
D'abord, je suis Fabien Girandola.
Je travaille dans un laboratoire qui se situe à Aix-en-Provence.
J'appartiens à l'université d'Aix-Marseille.
Ce qui peut expliquer, de par ma provenance du Sud, un petit accent, on va dire, du Sud.
Marseillais, peut-être.
Donc, je travaille sur différentes thématiques.
Changement d'opinion, changement de comportement.
Ces thématiques-là font partie d'un ensemble, on va dire, de travaux de recherche du labo de psychologie sociale d'Aix-Marseille université.
Ce sont des thématiques qui sont, on va dire, assez transversales.
Là, on va voir la théorie de la dissonance cognitive.
On peut aussi trouver la théorie de la dissonance cognitive, l'explication des changements des attitudes et comportements et donc, leur effet sur ce qui se passe dans la tête, dans le champ de la santé publique, par exemple, du développement durable ou dans le champ du travail.
Bien sûr, je n'aurai pas le temps de vous présenter tout ça.
Une heure de présentation, ça implique de faire des choix.
Je vais vous présenter la théorie de la dissonance cognitive.
Et cette théorie-là, vous verrez, elle est déjà assez ancienne, mais elle est extraordinaire.
Et vous verrez avec moi, je l'espère, que ce que je vais vous présenter, ce sont parfois des choses contre-intuitives.
On va commencer par un questionnement tout simple.
J'ai choisi, pour commencer à vous présenter la théorie sur laquelle va porter la conférence, celle de la dissonance cognitive, un exemple.
Mais c'est un exemple qui, dans notre discipline, en psychologie sociale, est un exemple, on va dire, fondateur, fondamental, de ce que peut être le changement d'opinion et de comportement.
C'est une étude sur le terrain.
Je vais un peu vite.
Voilà, donc c'est une étude sur le terrain qui a été menée par des psychologues sociaux il y a une soixantaine d'années déjà.
Vous verrez que cette étude-là peut finalement très bien se comprendre lorsqu'on convoque certaines théories dont la dissonance cognitive.
Ce que je vous raconte ici, ce que je vais vous montrer, ce sont des choses que, peut-être, quelque part...
Alors, non pas l'histoire que je vais raconter, mais vous avez vécu un changement d'opinion et de comportement.
Mais commençons cette histoire-là par une annonce publique dans un journal local.
Vous êtes abonné à un journal, le journal dit, en gros, "Attention, il y la prophétie de la planète Clarion qui alerte la ville.
Fuyez le déluge."
Vous voyez ça dans le journal, en gros titre.
Bien.
On commence comme ça.
"Lake City sera détruite par une lame de fond surgie du Grand Lac avant l'aube du 21 décembre 1954."
Donc, vous voyez, c'est assez ancien.
"Affirme Marian Keech, résumant des messages transmis par l'écriture automatique."
Vous ouvrez votre journal, vous voyez cette annonce.
Quelqu'un qui se fait passer pour quelqu'un qui reçoit des messages d'un autre monde, avertit des gens qu'on lui expédie des messages d'une planète qui s'appelle Clarion.
Des êtres supérieurs descendent de soucoupes volantes.
Ces êtres supérieurs-là avertissent les gens de notre ville, les gens du comté, les gens de l'Etat, qu'il va y avoir une lame de fond, que tout le monde va être englouti.
Peut-être ça vous rappelle des prophéties émises il y a pas mal de temps.
Ou même récemment, il y a quatre ou cinq ans.
Mais voilà, imaginez-vous à la place des habitants de Lake City.
Ils lisent ça.
Ça peut être un peu surprenant.
Trois psychologues sociaux...
Et là, on arrive sur le champ, On aura peut-être notre mot à dire.
La psychologie sociale s'occupe du changement d'opinion, de comportement.
Trois psychologues sociaux, Festinger, Riecken et Schachter, qui sont un petit peu à l'origine de cette étude-là, se sont dit : "Tiens, on va voir ce qui va se passer."
Les gens sont en réception de cette annonce-là.
Certains savent qu'il va se passer quelque chose.
Que leur ville va être engloutie, que leur État va être englouti.
Qu'est-ce qui va se passer dans la tête des gens ?
Comment vont-ils réagir, se comporter ?
Qu'ont-ils fait, Festinger, Riecken et Schachter ?
Ils se sont dit : "On va s'infiltrer dans le groupe et on va voir comment ceux qui croient à cette prophétie-là vont réagir."
Ici, la psychologie sociale, c'est quelque chose d'éminemment écologique, d'éminemment pratique, puisqu'on va s'immerger dans le terrain, avec les individus qui vont vivre cette annonce-là.
Il y a l'aspect d'observation, qui est très important.
Ce qui est intéressant, c'est qu'on va essayer de comprendre comment vont se former les opinions vis-à-vis de la catastrophe annoncée.
Comment vont se former les nouveaux comportements.
Et qu'est-ce qui va en ressortir.
Nos trois psychologues sociaux étaient convaincus, évidemment, que cette prophétie n'aurait jamais lieu.
Et que vont faire les adeptes, une fois qu'ils sauront que cette prophétie ne pourra se faire ?
On est ici sur des aspects importants de la psychologie sociale, qui sont les croyances groupales.
Elles vont un petit peu nous apprendre sur le terrain comment les gens peuvent réfléchir, peuvent se former de nouvelles croyances, en fonction des événements dans lesquels ils sont, ou de la situation dans laquelle ils sont.
Le plus bêtement du monde, ils vont rencontrer la personne qui reçoit des messages de l'autre bout du monde.
Cette fameuse Marian Keech qui, soi-disant, pratique l'écriture automatique, donc elle reçoit des messages de l'autre monde, de la planète Clarion, avec l'écriture automatique.
Et donc, elle annonce brutalement, "Fin du monde, le 21 décembre 1954."
Bien.
Ça a quand même une certaine pesanteur, quelque part, si vous y croyez.
Ce qui est intéressant, c'est savoir comment les habitants vont répondre à cette annonce de fin du monde.
Dans un premier temps, en tout cas, ce sont les observations des psychologues sociaux, on voit que cette personne-là s'entoure d'un petit groupe.
On va dire un groupe d'adeptes, de croyants.
Ce petit groupe l'entoure pour la réconforter, d'une certaine manière, parce qu'elle reçoit soi-disant les messages de la planète Clarion, en écriture automatique.
Et puis, il la réconforte aussi, ou l'aide à suivre les instructions de la planète Clarion.
Et, évidemment, les extraterrestres proposent une évacuation.
On va venir les chercher en soucoupes pour qu'ils partent.
Donc ils réfléchissent à tout ça, ils mettent en œuvre un plan pour essayer de partir en soucoupe volante, avec, donc, les habitants de la planète Clarion.
Ici, on voit que dans un premier temps, cette personne, Marian Keech, qui reçoit des messages on va dire, de l'autre bout du monde, s'entoure d'un groupe.
Et on a là les premiers éléments d'une fédération groupale.
C'est-à-dire que des adeptes commencent à venir auprès d'elle.
On a un sentiment, on va dire, de plus en plus fort de croyance en la prophétie.
Et on a un sentiment type identitaire qui se met en route.
C'est-à-dire qu'on partage tous la même croyance.
Et on commence à y croire de plus en plus dur et fort.
Ce qui nous intéresse ici, c'est essentiellement deux questions, d'un point de vue psychosocial.
Comment ce petit groupe qui se construit va appréhender cette nouvelle croyance ?
"Ça y est, on va tous partir car la fin du monde est imminente."
Mais surtout, et pour beaucoup, on va essayer de comprendre comment les habitants de cette ville vont s'organiser lorsqu'ils sauront que, finalement, il n'y aura pas de destruction du monde.
D'un point de vue psychosocial, c'est très important.
Ce sont des croyances très sensibles.
Imaginez-vous croire dur comme fer qu'une lame de fond va vous emporter avec votre famille.
Et voilà !
Du jour au lendemain, vous savez que ça va pas arriver.
Quel processus on met en œuvre pour compenser tout ça ?
On est ici dans des choses qui sont éminemment psychosociales et à la formation des croyances groupales et identitaires.
Je vous décris, on va dire, quelques phases très importantes dans le déroulement de l'étude.
Avant le 20 décembre, avant la fin du monde, le groupe vit un petit peu en autarcie.
Donc le groupe fuit la publicité.
On donne des interviews, mais avec réticence.
Et puis, Marian Keech, la fameuse prêtresse qui reçoit des messages de la planète Clarion, vit un peu isolée et seuls les membres adeptes ont droit de lui parler ou de converser avec elle.
On s'aperçoit quand même qu'au fur et à mesure du temps, l'engagement des uns et des autres devient un peu plus important.
C'est un engagement crescendo, on y croit de plus en plus.
On commence à se préparer à partir, on commence à réfléchir à peut-être vendre sa maison.
Etc.
etc.
Vendre sa maison, ça implique quoi, aussi ?
Ça implique de renoncer à sa famille.
Les adeptes se détachent de leur famille.
Ça implique une démission, l'abandon des études, pour les étudiants croyants.
Et ça implique parfois d'abandonner son conjoint.
Certains y croyaient, d'autres pas.
Donc on met tout en quarantaine d'une certaine manière, et voilà.
On y croit tellement fort qu'on tourne la page sur la vie que l'on connaissait jusqu'à maintenant.
Et, en même temps, puisqu'on fait des sacrifices.
On renonce à sa famille, à son conjoint, à son travail.
Vous voyez que l'engagement, ce fameux engagement, cette implication, cet engagement, va augmenter la force de la croyance.
C'est-à-dire que plus on agit, plus on réalise certains comportements, on abandonne ceci, cela, plus la croyance augmente.
Et elle augmente fort.
La croyance de la fin du monde, bien sûr.
Voilà ce que reçoit Marian Keech.
Le 20 décembre, un extraterrestre viendra à leur rencontre à minuit.
Ils vont embarquer dans un vaisseau pour Clarion.
Ils reçoivent comme instruction, mais ça, c'est du détail, d'enlever tout élément métallique de son corps.
Ils s'y préparent.
Ils savent qu'à minuit, un vaisseau va venir.
Ils sont tous là, en train d'attendre que le vaisseau vienne les récupérer.
Bien !
Imaginez, ils y croient dur comme fer.
Bien.
Donc ils attendent ça.
Il est 23h59.
Tous ont les yeux rivés sur la pendule.
23h59 et 58 secondes.
59 secondes.
Minuit.
Que se passe-t-il ?
Rien !
Absolument rien.
C'est un peu prévu.
OK !
Mais voilà, c'est une déception.
Mais quand même, on se reprend un peu.
Ah !
Mais dans une autre chambre, une pendule indique 23h55.
Ouf !
L'espoir renaît.
C'était pas la bonne heure.
C'était pas minuit mais 23h55.
Voilà, donc on va attendre cinq minutes.
Dix minutes après, malheureusement, la seconde horloge affiche minuit.
Puis rien ne se passe.
Imaginez dans quel état sont les adeptes.
Et là, on a un premier processus qui va se mettre en œuvre.
Ce que nous, on appelle la dissonance.
La dissonance, c'est la contradiction entre ce que les adeptes pensent...
"Je vais partir au-delà de ce monde pour être sauvé."
Et ce que montre la réalité.
Ce sont deux choses qui sont incompatibles.
"Je crois que je vais partir pour me sauver de la catastrophe, mais personne vient me prendre.
Je reste ici, avec les autres."
Il y a une contradiction entre deux croyances.
"Je sais qu'il faut que je parte et puis voilà, je reste là."
Cette contradiction, nous, on appelle ça de la dissonance.
La dissonance entre deux opinions, entre un comportement et une opinion, entre un comportement et une attitude.
"Je crois que je vais partir, je ne pars pas, je reste."
On verra tout au long de l'exposé que cette dissonance-là, c'est comme vivre une tension.
Un inconfort.
Vous verrez peut-être que vous vivez constamment des dissonances.
Cette dissonance-là, que vont en faire ces adeptes ?
C'est jamais bien, de vivre avec une contradiction, une dissonance dans la tête.
On va voir ce qu'ils vont faire de la contradiction, la dissonance.
Quelque chose de nouveau pour bien vivre avec.
Ça devient important.
Imaginez ce groupe en état de dissonance.
Il reste assis plusieurs heures, en rond, dans un silence de stupéfaction.
Marian Keech, la prêtresse, se retire pour pleurer.
Toute seule, dans sa chambre.
4h45...
Ah !
On reçoit un message par écriture automatique, envoyé de Clarion à Marian Keech.
Marian Keech reçoit un message.
À 4h45 du matin.
Quel est ce message ?
Le voici.
"Le petit groupe, assis toute la nuit, a répandu tant de lumière que Dieu a sauvé le monde de la destruction."
Ah !
Tiens !
Ah, la bonne affaire !
Ah, ça en sauve pas mal !
Bien...
Ce petit message-là a eu de gros effets.
Et je dirais de grands effets.
Puisque ça a restructuré les croyances, en quelque sorte.
Puisque dans l'après-midi, les adeptes, Marian Keech en tête, contactent la presse, contactent les journalistes.
On essaie d'en parler autour de soi.
Mais cette fois, avec vigueur, avec force.
On essaie de faire de la publicité.
Publicité ou en tout cas, histoire, qui va essayer de les réconforter.
On cherche un soutien social.
On cherche un support social.
Pourquoi ?
Aussi pour essayer de réduire un peu cette dissonance que l'on a dans la tête, au niveau groupal.
C'est une contradiction.
"Mais on a reçu ce message-là !"
Ça veut dire que finalement, cette dissonance, on peut la réduire.
Puisqu'on a fait, quand même, les efforts pour amener les gens à croire à la destruction.
La destruction n'a pas lieu, mais on a reçu ce message-là, donc on peut essayer maintenant de construire un groupe plus fort en faisant de la publicité.
C'est en faisant la publicité, du prosélytisme, que l'on va, petit à petit, réduire sa dissonance, réduire ses contradictions.
Alors, que va-t-il se passer ?
Et, de plus en plus...
Alors, je vous raconte pas toute l'histoire en détail.
Ce serait bien trop long.
Là, on est vers la fin de l'histoire.
Que va-t-il se passer ?
On observe chez les adeptes une radicalisation des croyances.
C'est-à-dire que la prêtresse est de plus en plus sûre de sa foi.
De plus en plus sûre de ce qu'elle dit.
Les adeptes organisent des projets.
Même des étudiants du groupe renoncent à leur fête de Noël, pour rester en groupe et parler de tout ça.
Un membre va même jusqu'à vendre sa maison pour montrer qu'il y croit fermement.
Donc vous voyez que commence à se produire une certaine, on va dire...
On commence à adopter de nouvelles raisons qui vont nous permettre de justifier petit à petit...
nos croyances.
Ou, en tout cas, l'infirmation de nous croyances.
Donc on est en train de changer, petit à petit, de raisons et de trouver des nouvelles raisons à nos comportements.
Bien !
Donc, radicalisation des croyances, on y croit dur comme fer, mais encore plus.
Plus qu'avant.
On y croit encore dur comme fer, plus encore.
Il est vrai que cette radicalisation des croyances s'exprime principalement chez ceux qui étaient là le 20 décembre.
C'est-à-dire chez les individus qui ont fait l'effort de venir, de s'inscrire, un petit peu, dans le groupe, et d'essayer de comprendre un peu ce qui se passe.
Mais ceux qui n'étaient pas dans le groupe eux-mêmes n'ont pas été, on va dire, atteints par cette dissonance.
Ils n'ont pas vécu de l'intérieur la tension qu'a vécue le groupe.
Et donc là, on dira déjà que pour qu'il y ait dissonance, pour qu'il y ait, en tout cas, une forte contradiction, il faut quand même que l'on soit engagé au niveau comportemental.
C'est-à-dire qu'on ait réalisé, qu'on réalise avec le groupe, certains comportements, ces comportements-là étant ceux du groupe, ceux qui appartiennent au groupe, ceux qui révèlent l'identité du groupe.
Et là, ça devient très important, parce qu'il faut absolument qu'à la base de la dissonance, il y ait une implication comportementale, un engagement.
On arrive petit à petit vers la dissonance cognitive, à travers cet exemple-là.
Ce que je pourrais dire sous forme de résumé, c'est qu'avant l'événement, peu de prosélytisme.
Mais après l'événement, c'est-à-dire, en fait, le non-événement, puisqu'il n'y a pas eu de lame de fond, il n'y a rien eu.
Mais ce non-événement-là a permis une radicalisation des croyances.
Au point de vue des raisons, des pensées, mais ça va plus loin, ça va sur le comportement.
C'est-à-dire qu'on va essayer de convaincre que l'on avait raison.
Là aussi, c'est une façon de réduire cette contradiction insupportable entre ce que je pense et le fait que ça ne s'est pas produit.
Donc, radicalisation des croyances, prosélytisme intensif.
Médias, etc., organisation de conférences.
On essaie de se faire connaître le plus possible.
Ce qui est intéressant ici, c'est de savoir, effectivement, qu'on observe les choses.
Ça, nous les observons, les choses.
Mais comment peut-on analyser les choses ?
Quels sont les mécanismes ?
Quels sont les processus qui vont, de toute façon, nous expliquer pourquoi les gens radicalisent leur opinion ?
Je vous l'ai dit, il y a cette fameuse contradiction, cette fameuse dissonance.
C'est qu'on a toutes et tous notre propre conception des choses.
On a des représentations préexistantes.
On a des pensées en tête.
Et chacun voit un petit peu le monde selon sa fenêtre, finalement.
Et donc, si on attaque, si on remet en cause ces croyances, c'est comme si on remettait en cause un petit peu l'identité des individus.
L'identité groupale des individus, qui s'est forgée à force de discours, qui s'est forgée à force de rencontres, forgée dans le groupe.
Et cette menace identitaire va éveiller la dissonance.
Pour preuve, radicalisation, prosélytisme, etc.
Il y a un réduction de la dissonance dont je vous parle qui est causée par la différence entre les pensées et la réalité.
Bien.
On essaie justement de construire un support social, d'attirer les uns et les autres pour réduire cette dissonance.
C'est-à-dire que plus on essaie de convaincre, plus on se réconforte, d'une certaine manière.
Et se réconforter, c'est une bonne manière de réduire la contradiction, la dissonance.
Et on radicalise, au fur et à mesure, ses opinions.
On radicalise au fur et à mesure, ses comportements.
Il faut voir ici que si on dispose d'éléments un peu plus théoriques, on va dire que le groupe constitue un lieu de résistance des croyances.
Parce que c'est un consensus.
Et ce lieu de résistance permet aux individus de construire une identité commune.
Et là, ça devient très important.
Cette identité commune est très importante.
Et donc...
au-delà de radicaliser ses propres opinions, je vous l'ai déjà dit, on essaie de mettre en action de nouvelles choses, de nouveaux comportements, du prosélytisme, qui vont nous permettre, effectivement, d'avoir accès à de nouveaux comportements pour réduire cette contradiction.
S'il fallait résumer un petit peu l'étude, on dirait que les individus, quels qu'ils soient, ont tendance à s'arranger avec la réalité.
On modifie personnellement ses propres perceptions.
On interprète les événements comme on veut les interpréter.
On trouve ou on se trouve pas mal de bonnes raisons d'y croire.
Et ça montre quoi ?
Que l'Homme n'est pas si rationnel que ça.
Il n'est pas rationnel, il rationnalise.
C'est-à-dire que dans certains cas, il arrive qu'on réajuste nos opinions à nos comportements.
On réalise certains comportements.
Et finalement, une fois que ces comportements sont fabriqués, on se dit : "Tiens, si j'ai fait ça, c'est que j'aime faire cette chose."
Donc on réajuste nos opinions au comportement qu'on a réalisé.
On appelle ça, dans notre jargon psychologique, on appelle ça la rationalisation.
On justifie a posteriori ses comportements en leur attribuant un sens, une raison.
Ça nous est tous arrivé, de procéder comme ça.
Vous faites quelque chose...
Et puis, on vous dit...
Voilà.
Vous vous dites : "Pourquoi j'ai fait ça ?"
Il est parfois plus facile de changer l'opinion que le comportement.
Donc vous rajustez vos opinions à votre comportement.
Ces études-là ont fait l'objet d'ouvrages, en anglais et en français.
Si jamais vous voulez jeter un œil.
Ce sont les études fondatrices qui restent dans la mémoire de la psychologie sociale.
Rappelez-vous le film sorti en 2012.
Dans film "2012", les choses étaient identiques.
Depuis le début de l'ère chrétienne, c'est-à-dire, depuis l'an zéro, il y a eu 183 appels à la fin du monde.
Et il y en aura encore.
C'est toujours, pour les futurs psychologues sociaux, parce qu'avant 1954, la psychologie sociale ne s'est pas intéressée vraiment à l'histoire, mais il y a toujours des choses à découvrir avec les groupes et ceux qui vivent à l'intérieur.
On arrive et on entre dans la théorie de la dissonance cognitive.
Et vous voyez que la théorie fête ses 60 ans cette année.
1957.
Et on la doit à un grand monsieur de la psychologie sociale.
Ce grand monsieur, Leon Festinger, est malheureusement décédé.
Mais il a révolutionné la psychologie sociale.
La théorie de la dissonance cognitive est une des théories les plus connues de la psychologie sociale.
Elle explique pas mal de choses.
On va faire un peu de théorie.
Rassurez-vous, on va rester à un niveau facilement accessible.
Mais vous verrez que...
Il faut d'abord voir que la théorie de la dissonance cognitive, c'est...
C'est employé souvent.
Je dirais un peu n'importe quand, n'importe où.
On dit : "Je suis en état de dissonance."
Même en musique !
C'est leur truc.
Nous, en psycho sociale, on a tendance à désigner la dissonance comme le résultat d'une contradiction.
Mais la dissonance, c'est un gros pouvoir de motivation.
La dissonance peut vous motiver à faire des choses dont vous n'avez pas encore perception.
Depuis 1957, on dénombre pas mal d'expérimentations.
3 000 expérimentations.
En gros, environ.
Sur un moteur de recherche, tapez dissonance cognitive.
Vous avez à peu près 3 000 expériences.
Donc, bien sûr, on peut pas les compter ce soir.
On essaie de comprendre avec ça comment l'être humain pense, comment il transforme ses idées, ses comportements.
S'il y avait des principes à extraire de la dissonance cognitive, on dirait qu'on fait tout, ou en tout cas, la théorie met essentiellement le projecteur, sur la façon dont les gens essaient d'être cohérents, quand ils ont des idées et des actions contradictoires.
Cohérents, car la contradiction n'est jamais facile à supporter.
Donc la dissonance non plus.
On va essayer de trouver de bonnes raisons, de changer de raisons, d'en trouver d'autres, pour mener une vie cohérente et signifiante.
Et ça, ça devient très important.
Quel est le processus ?
Quelles situations vont vous mettre en état de dissonance pour que vous soyez amené à changer d'opinion et de comportement.
On va voir ça par quelques expériences.
J'ai choisi volontairement les expériences les plus classiques en psychologie sociale.
Des expériences assez anciennes que l'on reproduit actuellement dans nos laboratoires, et qui ont toute la force des années 1950, des années 1960, mais sont de vrais classiques.
Vous allez être surpris par certaines d'entre elles.
Juste quelques éléments définitoires.
La dissonance est un état de tension, d'inconfort psychologique, dans lequel vous êtes placé en cas de contradiction.
Ça, on le sait.
Je prends quelque chose de simple.
"Fumer est une habitude stupide, je n'aime pas fumer."
Ça peut arriver de pas aimer fumer.
"Mais je fume un paquet par jour."
Donc là, il y a une contradiction.
La contradiction, elle y est.
"J'aime pas fumer et je fume."
Et donc, logiquement, d'un point de vue théorique, vous allez, ici, éprouver de la dissonance.
L'important, c'est que vous allez essayer de réduire cette dissonance, par quelque moyen que ce soit.
Ces moyens-là vont nous intéresser.
Comment les individus vont réduire cette dissonance ?
Et ces dissonances sont ce que vous vivez.
Et lorsqu'on est en état de dissonance, de contradiction, il y a une motivation qui vous pousse à réduire cette dissonance.
Voilà ce qu'écrivait Festinger en 1958.
"Tout comme la faim est motivante, la dissonance cognitive est motivante.
La dissonance cognitive donnera naissance à une activité orientée vers la réduction ou l'élimination de la dissonance.
La réduction réussie est gratifiante au même titre au même titre que la pris de nourriture l'est quand on a faim."
Ça veut dire quoi ?
Que Festinger met la dissonance sur le même plan qu'un besoin physiologique.
Vous avez faim ?
Vous mangez.
C'est un besoin physiologique.
La dissonance, c'est pareil.
La dissonance, il faut la réduire.
C'est physiologique.
Bien !
Donc on va essayer de réduire cette dissonance en justifiant nos actes et nos choix, en changeant d'opinion a posteriori, ou, en reprenant le titre de l'exposé sur lequel je discours, à changer de raison pour garder la raison.
Simplement.
Et là, on est...
nous sommes placés dans des...
on va dire, dans des processus, qui n'appartiennent qu'à la théorie de la dissonance cognitive.
Il faut voir aussi que la dissonance est une théorie assez contre-intuitive, dans le sens où...
on pourrait penser qu'on réagit plus favorablement à une récompense...
On change de comportement lorsque la récompense est plus forte, mais on n'en change pas lorsque la récompense est faible.
Et donc ça, c'est la conception qui prédominait avant les années 1960, avec ce qu'en psychologie, on appelle les principes du behaviorisme.
Avant, on considérait que pour changer de comportement, il fallait bien payer les gens.
Pour changer les comportements, il faut punir ou bien récompenser.
La théorie de la dissonance cognitive prend à contre-pied tout cela.
C'est une théorie contre-intuitive, vous allez le voir dans les exemples.
Ça veut dire que les humains réfléchissent.
Dans le cadre du behaviorisme, on prend les gens pour des animaux.
Vous déclenchez quelque chose et l'animal va réagir.
Ici, avec la dissonance cognitive, c'est quelque chose de plus fin qui va nous amener à des changements contre-intuitifs.
Pourquoi ?
Parce que l'être humain réfléchit, trouve de bonnes raisons, pour changer de raison.
Voilà les deux grands principes de la dissonance cognitive.
Si on est amené à récompenser quelqu'un, on va dire, d'une somme d'argent.
On va dire que cette somme d'argent-là, va être considérée comme une justification au comportement qu'on veut lui demander.
L'individu va se dire : "J'agis ainsi parce que je suis rémunéré."
Et donc, il n'y aura pas d'engagement de la part de l'individu.
L'engagement sera faible.
Si quelqu'un fait quelque chose pour une somme d'argent, l'engagement sera faible.
Mais si l'engagement est faible, il n'y aura pas de dissonance, pas de changement d'attitude, puisque l'engagement est très faible.
Si on vous paye grassement pour faire quelque chose, vous le ferez pour la récompense et non pas parce que vous le pensez.
Maintenant, si on vous offre une récompense qui est minimale, les justifications externes sont aussi minimales.
Vous allez vous dire : "Je réalise cette chose-là mais je le fais non pas pour la récompense, mais parce que je l'aime bien.
J'aime bien faire ce qu'on m'a dit de faire."
Et, dans ce cas-là, il y a de la dissonance.
Et donc, un changement d'attitude qui sera à l'œuvre.
Obtention de la dissonance, changement d'opinion, changement d'attitude.
Ce dont il faut se souvenir ici, c'est qu'une forte récompense sans attirer de dissonance cognitive amène plus de résistance qu'un changement.
Par contre, une faible récompense, alors là, va produire quelque chose dans la tête des individus.
Cette faible récompense-là, c'est quelque chose de minimal qui permet à l'individu d'éprouver une dissonance maximale et une réduction de la dissonance par un changement d'opinion.
Par exemple.
Chose très importante aussi, ce sont les conditions nécessaires pour qu'on éprouve la dissonance, c'est que, lorsqu'on est en état de dissonance, il ne faut pas être obligé de réaliser un comportement.
Voyez ceux qui ont cru la prophétie de la planète Clarion, ils étaient pas obligés d'adhérer.
Ils venaient s'ils voulaient.
Donc ce libre choix est très important.
C'est important.
"Je le fais parce que j'ai envie de le faire."
Et c'est parce que vous en avez envie qu'il y a dissonance et donc, là aussi, changement d'opinion ou d'attitude.
Le libre choix est très important.
Si on vous impose les choses, le contraire sera produit.
Si on vous impose les choses, les justifications externes seront, on va dire, maximales.
On vous dit : "Vous faites ça, vous êtes obligé."
Si vous êtes obligé, il n'y a pas de dissonance, puisqu'on vous oblige à le faire.
Donc, pas de dissonance, pas de changement d'opinion, pas de changement d'attitude.
Voilà les deux conditions qui sont nécessaires pour obtenir un changement, en tout cas, de la dissonance.
Il faut, d'une part, que l'on donne des justifications.
Pour...
Enfin...
Excusez-moi, juste une chose.
Les bonnes raisons que l'on donne, si elles sont trop importantes, ne permettent pas à l'individu d'éprouver de la dissonance.
Pour éprouver la dissonance, il faut des raisons minimales au comportement.
Et là, le sujet éprouve de la dissonance.
Et bien sûr, il faut que l'individu soit déclaré libre.
C'est la condition d'un fort engagement.
Donc, deux conditions essentielles.
Raison minimale et libre choix maximal.
Si vous combinez ces deux raisons-là, si on a ces deux conditions, vous aurez un changement d'attitude maximal.
En tout cas, une dissonance et un changement d'attitude maximal.
On va essayer de voir quels sont...
Je vais aller plus vite, parce que l'heure tourne.
Je vais juste vous...
vous raconter...
l'expérience de Cohen, en 1962.
Ça, c'est une expérience qui a fait date, on va dire, dans l'histoire de la dissonance.
Puisque...
Vous voyez, 1962, ça date pas d'hier, c'est assez loin.
Mais on a des effets très importants.
Et donc, en 1962, sur les campus universitaires américains, il y avait pas mal de manifestations étudiantes.
Les étudiants manifestaient souvent et il y avait pas mal de répression policière.
Cohen, qui était le professeur de psycho sociale à l'université, demande à ses étudiants de rédiger un texte.
Et ce texte...
Il y est allé fort, Cohen !
Dans ce contexte explosif, il demande de rédiger un texte en faveur de la répression des étudiants par la police.
C'est contraire aux attitudes et aux opinions des étudiants.
Que va-t-il se passer ?
Imaginez les étudiants en train d'écrire, enfin, d'écouter le professeur.
Il y a une dissonance.
On leur demande d'écrire un texte auquel ils n'adhèrent pas.
Donc, dissonance.
Mais Cohen va plus loin.
Il leur dit : "Ecrivez ce texte et je vous offre un demi-dollar."
À d'autres étudiants, il dit : "Si vous écrivez ce texte, je vous offre un dollar.
Ecrivez ce texte et je vous offre deux dollars.
À d'autres étudiants, chaque fois.
Ce sont des étudiants différents.
"Si vous écrivez ce texte, je peux vous offrir cinq dollars."
Et il va même jusqu'à dix dollars.
Excusez-moi, je suis allé trop vite.
La question qu'on se pose, dans quel cas ces étudiants vont-ils éprouver le plus de dissonance ?
Avec un demi-dollar, un dollar, deux dollars, cinq dollars ou dix dollars ?
On a dit que plus la récompense est forte, moins il y a de dissonance.
Vous vous souvenez ?
Donc logiquement, l'hypothèse, c'est que moins ils sont rémunérés, plus ils éprouvent de dissonance.
Vous me suivez ?
Et plus ils éprouvent de dissonance, plus ils devront réduire cette dissonance.
Comment vont-ils la réduire, cette dissonance ?
En changeant d'opinion.
Et ils vont changer d'opinion envers quoi ?
Envers la répression policière.
Je vous donne quelques résultats obtenus par Cohen.
On est d'accord que lorsqu'on est payé un demi-dollar, c'est une justification très, très faible.
Vous vous rendez compte ?
Vous allez rédiger un texte pour un demi-dollar.
Donc ça va produire chez vous une forte dissonance.
Vous êtes payé dix dollars.
Ça va produire chez vous une faible dissonance.
Vous êtes payé dix dollars, vous rédigez le texte pour dix dollars.
Donc ça vous donne des raisons, des justifications.
On est d'accord.
Voilà l'hypothèse de Cohen.
Quand on touche un demi-dollar, on devrait changer d'opinion envers la répression policière.
Quand on touche dix dollars, on devrait conserver son opinion envers la répression policière.
Je vous donne les résultats, mais c'est pas le plus important.
Donc ensuite, on demandait aux étudiants de donner leur opinion en faveur ou pas de la répression policière.
Sur une échelle qui allait de 1 à 7, donc on leur demandait de noter leur opinion sur une échelle variant de 1 à 7.
1, c'était la borne de l'échelle qui voulait dire "contre la police".
Et 7, "pour la police".
Si on se positionnait vers 7, on soutenait la répression policière.
Si on se positionnait vers 1, on dénonçait la répression policière.
Vous voyez que déjà, lorsqu'on est payé un demi-dollar, on se positionne au milieu de l'échelle.
Un peu plus qu'au milieu.
On est un peu en faveur de la répression.
Donc on réduit sa dissonance.
Lorsqu'on est payé un dollar, il y a moins de dissonance.
Moins de dissonance, moins de changement.
La répression policière, on aime moins.
Lorsqu'on est payé deux dollars, encore moins.
Au fur et à mesure, on se rapproche de la borne 1.
De la borne 1, contre la police.
Cinq dollars, 2,32.
Et dix dollars, 2,70.
Ça veut dire que les individus ont changé d'attitude selon le montant de la récompense.
Si vous offrez une forte récompense, vous changez quasiment pas d'attitude.
Vous êtes à 2,70.
Si vous donnez une forte récompense, vous voyez que le changement est assez significatif.
Il est en moyenne, si on fait la moyenne, à 4,54.
Alors, d'un point de vue statistique, il faut en faire un peu, des stats, on voit vraiment, avec des stats, que c'est la condition un demi-dollar qui se différencie significativement des conditions cinq et dix dollars.
Ici, on a la preuve éclatante qu'avec une faible ou une forte récompense, on peut faire varier les attitudes.
Et ça, c'est une expérience qui a été répliquée en laboratoire, avec différentes thématiques, différentes récompenses, etc.
Et là, bien sûr, ils étaient libres de rédiger.
Cohen leur disait : "Comme vous voulez.
Rédigez ou pas."
Alors...
on va s'interroger sur les moyens de réduire cette dissonance.
Ça nous arrive à tous, de la réduire.
On est tous, quelquefois quotidiennement, dans un état de dissonance.
Comment réduire cette dissonance ?
Comment on va la gérer, cette dissonance ?
Alors, je prends souvent le cas du fumeur.
Parce que c'est un cas très illustratif et très facile à...
à comprendre.
Je sais pas s'il y a des fumeurs et des fumeuses ici.
Vous savez que fumer, ça n'est pas bon.
Donc vous êtes en état de dissonance, vous fumez même si c'est pas bon.
Comment vous allez réduire cette dissonance ?
Vous savez que vous pouvez pas arrêter de fumer.
Parce que...
vous fumez !
Alors...
première possibilité, changer de comportement, arrêter de fumer.
Ça arrive !
On jette son paquet de cigarettes.
On veut plus en entendre parler.
Certains peuvent le faire.
D'autres ne peuvent pas le faire.
Arrêter de fumer, c'est plutôt rare.
Deuxième façon de procéder, c'est simplement de nier les choses.
"Moi, j'y crois pas.
Moi, de toute façon, le tabac, ça m'a jamais rien fait.
Moi, j'y crois pas.
Et puis, bon, je fume pas tant que ça.
J'ai un oncle qui fumait trois paquets par jour et il est décédé à 98 ans."
Donc, changer ses opinions envers le cancer, par exemple.
"J'y crois pas, à tout ça.
Je nie les choses."
Le fait de nier, le déni, c'est aussi un moyen de réduire sa dissonance.
Il n'y pas que le fait de changer d'opinion.
Mais il y a aussi le fait de nier.
On nie les choses, c'est un moyen de réduire sa dissonance.
Vous pouvez très bien réduire votre dissonance en vous disant, "Fumer, ça me détend.
Fumer, ça me permet de pas prendre de poids."
Ce sont des arguments qui permettent de réduire votre dissonance.
Les chemins de réduction de la dissonance sont multiples et variés.
Il n'y a pas qu'un chemin, le seul changement d'opinion.
Mais on peut trouver d'autres chemins de réduction de la dissonance.
Alors je dis pas ça dans le vide.
Toutes ces possibilités de réduction ont été testées dans des situations contrôlées de laboratoires.
Je vous dis, il y a 3 000 expériences, dont celle-ci, qui montrent comment on peut réduire sa dissonance.
Finalement, vous avez, là aussi, réussi, d'une certaine manière, à réduire votre dissonance, à trouver une cohérence qui est votre cohérence, pour retrouver, on va dire, un mode de vie qui vous est propre.
Mais sans dissonance.
Donc, se trouver de bonnes raisons pour finalement garder votre raison.
Là aussi, pris par le temps, je passerai sur quelques expériences très intéressantes mais sur lesquelles je n'ai pas le temps de m'arrêter.
Je vous avais préparé pas mal de choses.
Mais...
La question est de savoir s'il existe, par exemple, une contagion de la dissonance.
Est-ce qu'on peut éprouver de la dissonance en voyant quelqu'un qui éprouve de la dissonance ?
Existe-t-il une contagion de la dissonance ?
Il est évident que si je pose cette question, déjà...
c'est déjà un peu affirmatif.
Eh bien, oui !
On peut éprouver de la dissonance en voyant quelqu'un éprouver lui-même de la dissonance.
C'est ce qu'on nomme, dans le jargon, de la dissonance vicariante.
Si vous observez quelqu'un qui éprouve de la dissonance, comme quelqu'un qui écrit un texte pour la répression policière et que vous regardez cette personne-là écrire ce texte, vous allez vous-même éprouver de la dissonance.
Vous observez son comportement.
Donc il n'y a pas besoin de faire un comportement.
Il suffit d'observer quelqu'un en état de dissonance, pour que vous éprouviez de la dissonance.
Mais il y a quand même une condition.
Il y a une condition.
C'est que vous et la personne qui rédige le texte apparteniez au même groupe.
Si cet étudiant écrit un texte pour la répression policière, la dissonance sera éprouvée aussi par un observateur à condition qu'il soit lui aussi un étudiant et qu'il s'identifie fortement au groupe d'étudiants.
Alors, vous voyez que...
finalement, cette dissonance-là prend de plus en plus d'ampleur dans notre vie quotidienne.
À tel point qu'on peut se poser de vraies questions.
Vos comportements dans la vie quotidienne sont-ils des comportements qui découlent vraiment de vos idées ou est-ce que ce sont des comportements ou des idées, des opinions, qui sont réajustées par rapport aux comportements que vous avez réalisés ?
Parfois, on fait des choses dans la vie quotidienne qu'on n'apprécie pas.
On les fait parce qu'on est obligés de le faire.
Mais bon, on vous demande de faire quelque chose, "Tu as le choix, tu fais comme tu veux."
On vous laisse le choix, mais vous sentez bien qu'il faut faire cette chose.
C'est dans ce cas que vous éprouvez le plus de dissonance.
Lorsqu'on vous dit...
qu'on vous demande, poliment, gentiment, de faire une chose mais cette chose-là...
elle vous agace un petit peu.
Vous allez éprouver une contradiction comme un pincement à l'estomac.
"Tiens, pourquoi je fais ça ?"
Voilà.
Là, si vous sentez ce pincement à l'estomac, c'est la dissonance.
Vous voyez ?
Cet inconfort psychologique, cette tension.
"Pourquoi je fais ça ?"
Après, on n'y pense plus.
Mais on sait plus ce qui se passe dans la tête.
Et parfois, on organise nos croyances par rapport au comportement qu'on est en train de réaliser ou qu'on a fait.
Réorganisation a posteriori des opinions au comportement.
Alors, pour Festinger, ce processus-là est inconscient.
On n'en a pas réellement conscience.
On va dire : "Oui, c'est moi qui l'ai voulu."
"J'ai mangé du pain...
du pain complet, par exemple.
Du pain bio, j'aime pas le bio, j'ai mangé du bio.
Finalement, c'est pas si mauvais que ça."
Vous avez éprouvé de la dissonance.
Vous changez d'opinion envers le pain bio.
Vous voyez ?
Donc on arrive avec...
Et en plus, avec la contagion de la dissonance, à des effets vraiment très importants qui peuvent expliquer les comportements, les opinions, dans notre vie quotidienne.
Bien sûr, il faut être méfiant, il faut prendre du recul.
Mais il faut autant que faire se peut être vigilant là-dessus.
Et c'est pas facile du tout.
Même les psychologues se laissent prendre.
Le cordonnier est souvent le plus mal chaussé.
L'heure passe.
Je vais passer un peu vite.
J'avais préparé pas mal de choses.
Mais voilà, c'est pas...
Sachez aussi que...
cette dissonance-là, elle se réduit...
Là, on voit les modes de réduction de la dissonance.
Cette dissonance-là, elle se réduit aussi lorsqu'on prend des décisions.
Vous prenez une décision, par exemple.
Je sais pas, certains jouent au loto, par exemple.
Au tiercé.
On a montré que les gens, par exemple, éprouvent de la dissonance, lorsqu'ils jouent.
Et pour réduire cette dissonance-là, ils vont augmenter leur confiance en leur pari.
C'est-à-dire qu'ils vont être surconfiants.
Et la surconfiance, c'est aussi une réduction de la dissonance.
On est plus confiant envers un pari après avoir parié qu'avant.
Ce qui explique que si vous achetez un billet de loto, par exemple, que vous choisissez un billet de loto et qu'on vous demande de le céder, vous aurez du mal à le céder.
C'est le vôtre, vous l'avez choisi.
Et donc, vous êtes confiant envers votre choix.
Vous aurez du mal à céder ce billet de loto.
Et ça, c'est de la dissonance, parce qu'une fois que les choses sont faites, que le comportement est fait, tous les processus de la dissonance s'enclenchent les uns après les autres.
Ici, la surconfiance.
Elle a été illustrée dans des cas...
dans des cas, on va dire, historiques.
On appelle ça l'escalade dans l'engagement.
Vous savez, on réalise un petit acte, qui va justifier un autre acte.
Cet acte-là va justifier un autre acte.
Ça aussi, c'est un effet de la réduction de la dissonance.
C'est la rationalisation en acte.
Pour justifier un comportement, vous allez en faire un plus coûteux.
Et un autre encore plus coûteux, etc, etc.
Certains psychologues sociaux qui avaient une vision très large des choses ont expliqué certains événements historiques avec ces effets de réduction de la dissonance.
Je dis pas que l'effet de la réduction de la dissonance soit explicable, en tout cas, le facteur le plus saillant.
Mais des gens comme Janis et Vogel qui ont essayé d'expliquer des décisions mal prises, de par ces effets de dissonance.
Quand on est engagé dans une action, il est très dur de revenir dessus.
Par dissonance, on en fait un peu plus.
On augmente peu à peu.
C'est de l'escalade d'engagement, de la rationalisation en acte.
Quand on est au-delà de notre propre personnalité, au-delà de notre façon de voir les choses, on est ici dans des...
dans des réseaux groupaux, sociaux très importants.
La dissonance nous fait commettre des erreurs.
Elle nous amène à des comportements non spontanés.
Donc il y a tout un ensemble sur lequel on peut jouer et qui est explicable par la théorie de la dissonance.
Donc on a fait aussi...
Mais je passe assez vite car ça va trop loin.
Puisque c'est la semaine du cerveau, on a mis en évidence...
Pas mal d'expérimentations ont été faites pendant les élections américaines, aux États-Unis sur...
Sur la façon dont les gens vont réduire leur dissonance.
Et en fait, on a montré que...
Alors, je voudrais...
Oui.
On a montré qu'il y a des régions du cerveau qui sont propices à la dissonance.
On peut essayer de voir où cette dissonance-là, dans quel cortex elle se situe.
Pendant les élections américaines...
Nos collègues américains ont les moyens de faire tout ça.
Avec des IRM, etc.
On met dans un IRM un candidat qui a voté pour Bush ou un candidat qui a voté pour Kerry.
C'était les élections de 2004.
Bush, le Républicain.
Kerry, le Démocrate.
On essaie de voir ce qui se passe dans le cerveau des gens.
Lorsqu'on donne des informations qui sont dissonantes, lorsqu'on fait croire au candidat démocrate que le Républicain est le meilleur, certaines zones cérébrales se désactivent ou s'activent, en fonction de l'information que l'on reçoit.
Si, par exemple, on vous transmet de l'information qui vous arrange pas du tout, on vous fait croire que le Démocrate est meilleur que le Républicain, on voit à l'IRM que certaines zones du cerveau se désactivent.
Ces zones du cerveau vous permettent de ne pas engranger l'information contraire, l'information qui est dissonante.
Donc physiologiquement parlant, il y a des effets de ce type-là qui sont très, très, très forts.
Ça explique pas mal de choses.
Dès que vous retrouvez votre consonance, d'autres zones du cerveau s'allument.
Enfin, qui s'activent, une fois que vous avez rétabli votre consonance.
Le cerveau à part entière...
Ça montre un petit peu, déjà, là, ça montre que Festinger avait raison en 1957.
Il avait pas l'IRM, en 1957, Festinger.
Toutes ces expériences vont dans le même sens.
Il y a une exposition sélective à l'information.
En état de dissonance, vous allez vous exposer à votre information et pas à l'information qui est celle des autres.
Je vous invite, vous suivez sûrement l'actualité politique...
En ce moment, moi, je me régale.
Je me régale avec ces informations qui passent, comme ça.
Ces démentis, etc.
De jour en jour !
Voilà, et il y a de la dissonance.
Il y a de la dissonance.
Je veux pas vous le faire croire à tout prix.
Mais des choses peuvent s'expliquer par la dissonance.
Cette théorie est merveilleuse.
Voilà, je vais arriver à la fin de mon exposé.
Je vous avais prévu pas mal de choses.
Là aussi, au niveau religieux...
on a travaillé sur des gens qui croyaient profondément.
On a demandé à des chrétiens évangéliques de lire, retenir, réciter devant un magnétophone un texte remettant en question la suprématie du Christ.
C'est pas rien !
Donc identité du groupe menacée.
Rappelez-vous Marian Keech.
On va pas changer d'attitude, c'est pas possible.
C'est trop résistant, on change pas d'avis envers le Christ.
Pour réduire la dissonance, on va oublier.
On oublie le contenu.
Exposition sélective à l'information.
C'est des vieilles "expé", 1962.
OK, c'est pas récent, mais on fait les mêmes expérimentations et on observe les mêmes effets.
Dès qu'il y a exposition sélective, qu'on vous livre un contre-argument, vous mettez de côté.
Je vous avais préparé des diapositives sur la politique, parce que j'adore bien la politique.
On s'aperçoit qu'on réagit pas de la même façon, selon qu'on est plutôt libéral ou conservateur.
Mais je vais laisser libre cours à la discussion.
C'est l'heure.
Deux diapos sur les applications de la dissonance.
Sur quoi on travaille, actuellement ?
Il faudrait quatre heures, pour parler de la dissonance, hein.
On travaille sur les techniques de changement de comportement.
On a du jargon, hypocrisie induite, auto-prophéties, dissonance vicariante, qu'on a vue, c'est la contagion.
On travaille sur les différences.
Certains supportent la dissonance.
On travaille sur les mesures implicites et explicites.
Comment mesurer la dissonance, les mesures probantes.
Les indices physiologiques.
L'exposition sélective, dont je viens de parler.
Tous ces champs entrent dans notre vie quotidienne.
On vous dit de manger et bouger quotidiennement.
Vous le faites ou vous mettez de côté ?
Eh ouais !
Identité sociale, perspective interculturelle.
Japonais et Chinois éprouvent-ils la dissonance comme les Européens ?
Il y a beaucoup de choses à dire, là aussi.
La formation des préjugés, la communication politique.
Et on travaille aussi sur des problématiques plus...
plus politiques, comme les techniques de diffusion de la responsabilité, la résistance au changement, la radicalisation politique ou religieuse m'intéresse aussi.
Et l'engrenage dans l'escalade de l'engagement.
Ces thématiques nous sont essentielles.
Elles nous projettent dans l'actualité qui est...
brûlante.
Et aussi, on commence à réfléchir un petit peu à tout ce qui tourne autour des théories du complot.
Les complotistes.
"Est-ce que les Américains sont allés sur la Lune ?"
"Comment est morte Diana ?
Est-ce un complot ?"
Que faire de la dissonance cognitive dans tout ça ?
Il y en a.
À nous de l'analyser.
Voilà.
Je crois avoir fini, donc...
Si vous êtes intéressés, voilà les deux ouvrages sur lesquels vous pouvez partir, mais les références seront données.
C'est l'heure des questions et des réponses, si je peux apporter des éclaircissements.
Et désolé pour ce petit dépassement de temps.
Je vous remercie.
Modératrice.
-Merci beaucoup pour votre exposé.
Il nous a donné beaucoup de lumière.
Surtout par les temps à venir.
Vous avez tous compris qu'avant les élections, vous reviendrez sur nos archives, vous retrouverez cette conférence, vous l'écouterez attentivement, puis vous irez mettre votre bulletin dans les urnes.
M.
Girandola, merci beaucoup, c'était passionnant.
Ça nous aide pas mal.
Et aussi, ça nous inquiète un peu.
Parce que...
on en a tous, de la dissonance.
Et dans quel sens orienter la diminution des tensions pour avoir un monde intelligent et bienveillant ?
Et puis, là, pour qu'on se sente bien et qu'on vote juste ?
Non, là, j'exagère.
Je passe la parole au public.
Et puis, je vais prendre la première question.
Auditrice 1.
-Bonsoir.
Excusez-moi par avance si vous avez déjà exposé la question dont je vous fais part.
La dissonance n'est-elle pas positive en cela qu'elle nous place dans l'acceptation forcée de l'opinion inverse ?
Une ouverture de conscience, en quelque sorte.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-C'est une question qui appellerait beaucoup de débat et de développement.
Donc, l'ouverture de conscience, en tout cas, qui peut être inconsciente.
Puisque...
Voilà, non mais...
Lorsqu'on est amené à réaliser un comportement, un comportement, on va dire, sous contrainte faible, c'est-à-dire lorsqu'il y a aussi le libre choix, on va être amené à rationnaliser, à trouver de bonnes raisons à notre comportement.
Si on en croit les recherches faites jusqu'à maintenant, on pourrait parler de dissonance positive, oui, peut-être, mais "positive" entre guillemets.
C'est-à-dire que si vous trouvez de bonnes raisons qui vous sont intéressantes, et vous savez qu'elles vont vous permettre de vivre une vie cohérente, sans trop d'irrégularités, alors oui, la dissonance peut être "positive" pour vous.
Dans le sens où vous avez pu réguler des tensions pré-existantes.
Alors maintenant, des expérimentations montrent que ces phénomènes de dissonance peuvent être modérés par des différences personnologiques.
Comme par exemple, ce qu'on appelle dans notre jargon, effectivement, le besoin de tolérance à la dissonance, ou le besoin d'ouverture d'esprit ou pas.
Ça dépend des thématiques, des situations, de la façon dont vous allez produire cette dissonance-là.
Pour vous répondre, je dirais oui, si on met entre guillemets ce terme "positif" que vous employez.
L'essentiel, c'est que vous soyez bien après.
Si vous avez une raison pour justifier votre comportement, et que cela vous convient, même de manière inconsciente, vous vivez votre vie librement.
Auditrice 1.
-C'est une dynamique de l'évolution, en quelque sorte, d'être en butte à des dissonances.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Oui, mais ce qui est intéressant ici...
On pourrait aller plus loin...
On est quotidiennement face à des contradictions.
Comment va-t-on gérer ces contradictions ?
Je vais pas parler de l'évolution, mais pourquoi pas ?
Mais comment va-t-on gérer ces contradictions qui permettront, si vous voulez, par ce processus de dissonance, de mieux les vivre.
Je suis d'accord avec vous.
De toute façon, quotidiennement parlant, et c'est le propre de l'Homme, en tout cas, Festinger l'a démontré dans ses écrits, on sera toujours confronté à ces contradictions, à ces disharmonies cognitives.
J'ai bien répondu à votre question ?
Auditrice 1.
-Oui, merci.
Auditrice 2.
-Bonsoir.
Je voulais poser une question par rapport au premier exemple, la prophétie de fin du monde.
Vous avez dit que certains adeptes avaient réduit leur dissonance par plus d'engagement en allant faire du prosélytisme.
Si on applique ça au militantisme politique, ça voudrait pas dire que les personnes les plus prosélytes sont celles qui ont le plus de dissonance et qui sont les moins convaincues par les idées qu'elles véhiculent ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Elles ont rationnalisé, en tout cas.
Elles ont une bonne raison de le faire.
Maintenant, c'est un processus de...
Alors, je sais pas.
Ça appelle un autre débat, votre question.
Est-ce que j'agis parce que j'ai une idée forte en tête ?
Ou est-ce que je me suis construit cette idée forte au fur et à mesure de mes actions progressives dans le temps ?
La question est pas la même.
L'ensemble des expérimentations que l'on mène montre qu'en effet, parfois, vous pouvez être engagé dans un environnement militantiste depuis une trentaine d'années, et vous dire : "Je crois en l'environnement.
Je crois en l'environnement.
Ce sont mes idées fortes."
Mais c'est oublier que, depuis 30 ans, vous distribuez des tracts, vous faites du prosélytisme, et toutes ces petites actions, faites les unes après les autres, ces petits actes d'engagement, vont vous conduire progressivement à vous engager plus fortement.
Et donc, effectivement, il peut y avoir des contradictions.
Mais ces contradictions sont vite réduites.
Vous avez votre collègue qui fait pareil que vous.
Ça vous donne un support social.
Votre famille vous encourage, ça donne un support social.
Toutes les questions qui pourraient faire naître une dissonance sont vite effacées.
Ou, alors, vous en faites toujours un petit peu plus, pour réduire cette dissonance.
Et le prosélytisme, c'est aussi une manière d'affirmer ses opinions, on est bien d'accord.
Mais reste la question de savoir d'où viennent ces opinions.
Est-ce que ce sont des conditions fermes que l'on a adoptées lors d'un débat, ou est-ce que c'est une socialisation qui vient de votre famille, infantile, maternelle, etc.
Voilà !
Voyez ?
C'est une question à double tranchant.
Et moi, je serais tenté de dire qu'il y a prosélytisme.
Mais le prosélytisme, ça veut dire que des comportements ont été faits qui, par rationalisation aussi, font que la dissonance se réduit par rationalisation en acte.
Interviennent d'autres processus dont j'ai pas eu le temps de parler.
Mais vous avez des processus d'internalisation.
Je réalise quelque chose, j'y crois dur comme fer.
Avec l'internalisation, vous direz : "Être militant fait partie de moi."
L'internalisation, même la naturalisation, vous fait dire : "C'est ma vie, d'être militant."
Ça, vous pouvez le dire.
Mais nous, en tant que psychologues sociaux, on saura jamais trop si c'est vraiment vos idées, votre force, vos opinions, ou vos actes qui vous ont engagée depuis une trentaine d'années à ça.
Et ça, on aura toujours du mal à le dire.
Parce qu'on se pose plein de questions là-dessus.
C'est une très bonne question, de savoir comment nos idées naissent, comment nos idées se transforment et comment on en est à aujourd'hui.
Par rapport aux idées qu'on partage avec les uns et les autres.
J'ai pas pu en parler, mais le support social et identitaire est essentiel aussi, à cette réduction des dissonances, et à cette escalade, aussi, dans l'engagement.
Ça ira ?
Auditrice 2.
-Merci.
Modératrice.
-C'est épineux !
Qui est-ce qui s'y risque ?
Auditeur 1.
-Bonsoir.
Pareil, j'aimerais revenir sur l'histoire de Marian Keech.
Je ne sais pas dans quelle mesure on pourrait pas expliquer la montée, la radicalisation des individus autour de Marian, avec d'autres explications, comme par exemple, les biais.
Je suis pas psy, je suis novice.
Mais j'ai entendu parler d'un biais cognitif, le biais des coûts irrécupérables.
Et je me demande dans quelle mesure...
De jour en jour, on investit et à un moment, on se dit : "Je peux plus m'arrêter là."
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Oui, je suis tout à fait d'accord.
C'est une explication possible.
Les coûts irrécupérables, c'est ce qu'on appelle "dépenses gâchées", en psychologie.
"Coût irrécupérable", c'est économique.
Dépense gâchée, c'est de la psychologie sociale.
C'est quoi ?
C'est une escalade dans l'engagement.
C'est ce dont je viens de parler tout à l'heure.
L'escalade de l'engagement, c'est une façon de justifier des petites actions par des actions plus conséquentes.
Et donc, oui, je suis d'accord avec vous.
Effectivement, on peut expliquer par des dépenses gâchées, par l'escalade de l'engagement, les actions réalisées par les adeptes de Marian Keech, tout à fait.
Vous avez raison.
J'ai pas insisté sur la présentation.
J'ai parlé de radicalisation.
Mais il est évident que la radicalisation peut aussi...
être l'effet d'une escalade dans l'engagement.
Et donc, être un coût irrécupérable.
Donc je suis d'accord.
J'ai bien répondu à votre question ?
Auditeur 1.
-Oui, mais au final, qu'est-ce qui est vrai ?
La dissonance cognitive ou le biais cognitif...
le biais...
Qu'est-ce qui explique le mieux ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Ça dépend quel point de vue on prend.
Si on part du biais cognitif, donc je pense que vous voulez parler des biais cognitifs que l'on connaît.
On va dire, des raccourcis cognitifs.
Pour moi, il y a pas trop de doute.
Le raccourci cognitif peut être un produit de la dissonance.
Des expérimentations montrent cela.
C'est-à-dire que...
Il y a des expérimentations, je pense aux expérimentations traditionnelles, Kahneman, Tversky, des choses comme ça, qui montrent qu'effectivement, on est tous emprunts à des biais cognitifs, d'heuristique, disponibilité, etc.
Mais ce sont des biais cognitifs.
OK ?
Mais la dissonance, pourquoi elle n'interviendrait pas aussi dans ces biais cognitifs ?
Est-ce que l'adoption d'un biais cognitif n'est pas, aussi, d'une certaine manière, une production ou une réduction de dissonance ?
C'est une hypothèse que j'avance.
Mais moi, j'aimerais bien tester ce genre de trucs en situation contrôlée de laboratoire.
On a déjà fait des choses, pour le biais de surconfiance.
Lorsqu'on est surconfiant, une fois qu'on a parié, une fois qu'on a fait du prosélytisme, on exprime une plus grande confiance envers notre comportement qu'avant.
La surconfiance, c'est aussi un biais cognitif.
Et qui est issu, aussi, d'une réduction de la dissonance.
Donc les deux s'expriment assez bien.
Auditeur 1.
-Les deux s'imbriquent.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Oui.
Oui, entre guillemets.
Je peux pas dire un oui franc et massif.
Il y a besoin d'expérimentations, de voir comment les choses s'imbriquent.
Si jamais je devais me positionner, je dirais plutôt oui que non.
Modératrice.
-Très bien.
Je vais prendre une autre...
D'abord, là.
Profitez-en pour prendre les références des ouvrages affichés parce que je pense que c'est un bon complément à la conférence.
Auditeur 2.
-Bonjour, je voulais vous interroger sur les théories du Soi, pour expliquer la dissonance cognitive.
Je partage aussi la vision radicale de la dissonance cognitive, comme vous, visiblement.
Et en lisant...
j'ai lu votre ouvrage.
Et je me suis interrogé sur pourquoi ne pas accorder à l'idée que donne les théories autour de l'autoconsistance du Soi, le statut ou le concept de culpabilité ?
L'idée est que la dissonance est une menace pour le Soi.
Elle menace l'intégrité, un Soi qui est moralement bon.
Ne pourrait-on pas expliquer ça avec le concept de culpabilité, et laisser à la dissonance cognitive son statut premier, soit expliquer un exercice libéral du pouvoir social.
Et expliquer ce que montrent les théories autour du Soi, comme étant le résultat d'un sentiment de culpabilité, qui est aussi un "drive", un état motivationnel inversif et qui pousse aussi à sa réduction.
Par ailleurs, ce qui est intéressant, c'est que la psychologie sociale est une discipline qui s'intéresse aux relations interpersonnelles.
Il me semble qu'aucun sentiment ne médiatise autant ces relations que le sentiment de culpabilité.
On pourrait dire que c'est fondateur de la relation aux autres.
Les cognitivistes ne veulent-ils pas faire un peu d'exorcisme, faire sortir ce sentiment métapsychologique, qui appartient à une certaine idée de la psychologie spiritualiste, pour atteindre quelque chose de plus cognitiviste, de plus pur empiriquement ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Bien...
C'est vraiment un concentré, en 30 secondes, de questions très, très, très, techniques.
Vous citez...
Je vais pas entrer dans les débats théoriques de versions radicales, de théorie du Soi.
Donc, ce que je peux vous dire, effectivement, et ce que je peux dire au public aussi, en même temps...
Je vais répondre à votre question, mais je suis obligé d'expliquer, avant de vous répondre.
Il existe, évidemment, comme dans toute science, diverses interprétations de la façon dont naît la dissonance.
Donc voilà.
Et donc, il y a des théories qui disent, "La dissonance s'exprime lorsqu'on attaque le Soi de l'individu."
C'est-à-dire quand notre Soi profond est attaqué.
Par exemple, vous vous considérez comme honnête et bon et vous faites quelque chose de malhonnête.
Votre Soi profond est attaqué.
Votre définition de vous-même l'est.
Vous allez éprouver de la dissonance.
C'est ce que vous disiez.
Vous avez dit aussi qu'on pourrait parler de culpabilité et vous avez fait un rapprochement entre dissonance et culpabilité, ce qui n'est pas faux.
Certaines expérimentations montrent qu'on peut effectivement...
En tout cas, la dissonance étant un affect négatif, on peut rapprocher cet affect négatif de la culpabilité.
Ce sont des recherches en cours qui nécessitent développement.
Mais l'idée fait son chemin, si vous voulez.
Alors, pour revenir à votre question...
Qui était ?
En deux mots, rappelez-la.
C'était ?
Auditeur 2.
-Est-ce que, justement, les théories autour de la consistance de Soi ne sont pas explicables par ce sentiment de culpabilité ?
On attaque le Soi.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Oui, d'accord.
Auditeur 2.
-Et ne pas laisser le statut de la dissonance cognitive uniquement à la situation de Festinger, au paradigme de la soumission induite.
Ça a aussi des vertus explicatives d'un certain ordre social...
C'est paradigmatique, ça éclaire sur le fonctionnement de la société.
Dans la société libérale, ça éclaire les mods d'exercice du pouvoir social.
Enfin, les modalités de cet exercice.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-S'il fallait prendre position entre les théories du Soi et la célèbre version radicale, qui dit qu'il suffit de deux conditions incompatibles pour qu'il y ait dissonance, il est évident que j'aurais tendance à dire que le Soi n'intervient pas forcément dans les effets de dissonance.
Même si des expérimentations l'ont montré.
J'aurais tendance à dire qu'effectivement, si on active une contradiction entre ce que je fais...
entre mon Soi et ce que je fais, un inconfort psychologique va se déclencher, un affect négatif, qui peut être apparenté à de la culpabilité.
Mais ça reste à prouver.
Par contre, si on prend une version plus radicale, on vous dira que deux conditions en contradiction suffisent à reproduire la dissonance.
Donc le Soi, on le met à l'écart.
Maintenant, si on prend, on va dire, un petit peu plus de hauteur, avec des auteurs comme Jean-Léon Beauvois, comme Robert-Vincent Joule, qui ont travaillé là-dessus, sur la version radicale.
Vous avez d'excellents ouvrages qui ont été rédigés sur cette question-là.
C'est-à-dire, je pense à un ouvrage de Jean-Léon Beauvois qui traitait par exemple de la servitude libérale.
Jean-Léon disait tout simplement qu'on vit en démocratie pour mieux rationnaliser, d'une certaine manière.
C'est-à-dire que la démocratie est un système valable, certes.
Il n'y a rien à dire.
Mais justement, ce libre arbitre qui est censé être le nôtre, ne nous amène-t-il pas à rationnaliser mieux nos comportements ?
Si on prend de la hauteur par rapport au débat, on peut effectivement se dire, "On vit en société libérale, démocratique.
On est tous censés être libres."
Vous savez, la liberté est un facteur de production de la dissonance.
Et justement, le fait d'être en démocratie, est-ce que c'est pas aussi le système tel qu'il est conçu qui nous amène à rationnaliser les choses que l'on fait ?
Et qu'on croit être les nôtres, par tout un effet de réduction de la dissonance au niveau des idées et des comportements.
Alors qu'elles sont pas, au départ, peut-être, les nôtres.
Vous voyez ?
Donc là, il y a des ambigüités, effectivement, qui peuvent se poser, si on se pose les questions sociétales par rapport à nos comportements en situation...
nos comportements sociétaux, tout simplement.
Alors oui, il y a beaucoup à dire là-dessus.
On pourrait parler des expérimentations qui ont été faites en laboratoires, qui montrent ça, en effet.
C'est-à-dire que l'idéologie peut moduler fortement les effets de production de la dissonance.
J'espère avoir répondu à la question, qui était pas simple.
Théoriquement parlant, il y a deux grands champs théoriques que vous opposez et qui relèvent de...
50 ans de littérature.
Donc ma réponse est minimalement, on va dire, réduite, par rapport à ce que je pourrais dire par rapport à la question.
Mais je pense avoir dit l'essentiel.
Auditeur 2.
-Merci.
Auditeur 3.
-Bonsoir.
Est-ce que l'appartenance à un groupe conditionne la théorie ou y a-t-il des expériences qui montrent qu'elle vaut au niveau individuel et que l'effet de groupe la renforce ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-L'identité sociale n'est pas nécessaire à la production des dissonances.
Malheureusement, j'ai pas eu le temps de présenter des "manips" que je voulais montrer.
Mais on peut obtenir des effets de dissonance sans forcément rendre saillante l'appartenance à un groupe ou à une identité sociale.
Par contre, lorsqu'on active, lorsqu'on sait que les gens...
ou alors qu'on sait que les individus appartiennent à un groupe, qu'on leur fait remarquer, on s'aperçoit de suite que ce groupe va modérer les effets de dissonance.
Les effets de dissonance vont trouver un autre moyen de s'exprimer.
Comme, par exemple, l'oubli, le changement de comportement, mais pas forcément le changement d'attitude.
Et nous autres, lorsqu'on fait ce genre d'études en laboratoires, on s'amuse, passez-moi l'expression, mais on expérimente, justement, on fait varier différentes modalités de la saillance identitaire.
Cela montre que selon notre appartenance au groupe, selon qu'elle est faible ou forte, selon qu'on l'identifie faiblement ou fortement, on n'observe pas les mêmes effets de dissonance.
L'effet de dissonance vicariante, lorsqu'on voit quelqu'un de dissonant donc qu'on éprouve la dissonance, on ne peut éprouver cet effet que si on s'identifie fortement au groupe auquel appartient la personne.
Donc oui, il y a des effets de dissonance qui sont tout à fait observables et productibles sans mettre en cause, attiser ou manipuler l'appartenance groupale ou identitaire des individus.
Auditeur 4.
-Bonsoir.
Ma question, c'est de savoir quels sont les leviers, s'il y en a, qui font qu'une personne va reconnaître qu'elle réduit sa dissonance, qu'elle est en dissonance.
Qu'est-ce qui fait qu'elle reconnaît ses contradictions ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Si on la place dans une situation...
Si on fait les expérimentations que nous, on fait en laboratoire, où on sait pertinemment qu'une personne a une opinion contraire à ce qu'on lui demande de faire, on le sait, donc on sait qu'elle va éprouver de la dissonance.
Cette personne s'en rend compte.
On va lui dire, par exemple, de rédiger un texte...
Je dis n'importe quoi.
Un texte pour la peine de mort, alors qu'elle est contre.
On sait que cette personne est contre la peine de mort et on lui demande un texte pour la peine de mort.
La contradiction est flagrante.
On sait que cette personne va éprouver de la dissonance.
Ensuite, lorsqu'on n'est pas en situation de laboratoire, c'est plus difficile de détecter la dissonance.
Ce sont des expériences qui sont parfois assez intimes.
On pense des choses qui sont contradictoires, qui peuvent se manifester...
J'ai des collègues qui travaillent par le langage.
La dissonance peut s'exprimer selon les mots qu'on emploie, selon les articles qu'on emploie, selon différentes modalités.
La dissonance peut s'exprimer par les mouvements que l'on fait.
La dissonance peut s'exprimer sans qu'on le sache par des indices physiologiques.
Par exemple, si on vous amène à vous priver de manger pendant 24 heures alors que vous avez faim, vous allez éprouver de la dissonance.
Pour réduire cette dissonance, vous allez dire : "J'ai pas faim."
Certes, mais si on vous fait une analyse sanguine, on va trouver dans le sang des marqueurs qui montrent que vous n'avez pas faim.
Donc on a des indices physiologiques qui corrèlent avec des indices verbaux, langagiers et cognitifs.
Pour savoir si quelqu'un en face de nous est dissonant ou pas, c'est une autre histoire.
Des collègues qui travaillent sur le comportement non verbal pourraient le dire.
Quoique...
Pour l'instant, on n'a pas beaucoup d'études faisant le lien entre comportement non verbal et dissonance.
C'est peut-être un moyen de réduire sa dissonance.
Auditeur 4.
-En fait, je voulais savoir...
Enfin, je supposais qu'une personne puisse reconnaître sa dissonance.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Elle-même ?
Bien sûr, bien sûr !
"Là, je suis en état de dissonance, qu'est-ce que je fais ?"
Mais la question peut se poser et puis, peut s'oublier.
Et c'est l'oubli qui est important.
L'oubli peut être une conséquence de la réduction de la dissonance.
Vous voyez ?
C'est vraiment...
Les modes de réduction sont multiples et variés.
On peut se dire : "Je fais quelque chose que je veux pas faire.
Je le fais quand même."
Vous en prenez conscience, que vous le faites.
Ce qui est moins conscient, c'est la réduction de la dissonance.
Nous, on peut le mesurer.
On a des questionnaires.
On a toute une méthodologie.
Il n'y a aucun problème.
Mais la personne qui le vit dans sa vie quotidienne, en famille, avec son époux, son épouse, avec ses enfants, etc.
La dissonance s'exprime constamment.
Comment on la réprime ?
Comment on la gère ?
Il faut faire des observations participantes, comme l'ont fait Festinger et Schachter avec les adeptes.
Mais ça devient effectivement assez difficile à réaliser.
Il faut des moyens, faire des observations participantes.
Et ça demande beaucoup de temps aussi.
Pour répondre à votre question, on peut très bien se dire, "Oui, je fais des choses que je ne veux pas faire, mais..."
Qu'allez-vous faire de cette contradiction-là ?
C'est ça qui est important.
Si vous voulez vous en débarrasser, l'oubli, peut-être, est effectivement un moyen commode de ne plus penser à cette dissonance, à cet état de dissonance.
Que fait l'oubli ?
Ça vous permet de vous exposer à une information et pas à une autre.
Certains modes de réduction de la dissonance peuvent, si l'oubli n'est pas, on va dire...
assez fort pour réduire votre dissonance, vous passez sur un autre mode de réduction, comme un système hydraulique.
Modératrice.
-On aurait dû inviter aussi un psy, parce qu'avec l'oubli, faut passer par son cabinet.
C'est au monsieur.
Auditeur 5.
-Vous avez parlé de démocratie.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Je vois pas qui parle.
Excusez-moi.
Merci !
Auditeur 5.
-Vous avez parlé de démocratie 2-3 fois.
J'ai tout de suite pensé à l'expérience des étudiants et de la répression policière.
C'est quand même une expérience de démocratie assez étrange.
Parce que non seulement on demande de rédiger un texte, donc d'avoir des opinions contraires à ce que les étudiants...
à ce qu'on peut attendre des étudiants.
Et en plus de ça, on les achète, quoi.
Non, pour ça, vraiment, c'est...
c'est effectivement la démocratie libérale...
Ce qu'on vit continuellement.
Mais il y a eu des étudiants dans cette expérience, qui ont refusé, véritablement, d'écrire contre leurs opinions ?
Qui ont fait acte de non-dissonance ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Alors...
Juste, je comprends effectivement, mais...
ce que je vous raconte là, c'est un exemple parmi d'autres.
Je vous donne un exemple.
Effectivement, la répression policière, ça semble...
Mais ce sont des thématiques qui, justement, sont très prenantes.
Alors, je réponds à votre question.
Il faut pas oublier qu'il y a une pression institutionnelle.
Celui qui fait l'expérience, Cohen, c'est un professeur de psychologie.
Il représente une autorité.
Il demande à des étudiants qui le connaissent s'ils veulent bien rédiger un texte pour la répression policière.
Donc il y a aussi ici un effet...
Auditeur 5.
-De pouvoir, bien sûr.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Voilà, de pouvoir qu'ont théorisé certains de mes collègues.
C'est la notion de pouvoir sur l'individu.
Vous voyez ?
Ça fait qu'on ne peut pas refuser parce que c'est le prof qui demande.
Mais en même temps, le prof nous laisse libres mais c'est quand même le prof qui le demande.
Vous voyez ?
Donc il n'y a pas d'injonction, dans le sens où personne ne dit, "Vous devez le faire.
Faites comme vous voulez, à vous de voir."
Ça suffit pour déclencher des effets de dissonance.
Dans certaines expérimentations, des expérimentations ont été conçues pour savoir si les gens acceptaient tout et n'importe quoi.
Deux ou trois expérimentations montrent que des gens refusent.
Ils refusent.
Ça existe, bien sûr.
Je me souviens de l'expérience de 1972, qui essaie de comprendre pourquoi les gens refusaient.
Alors, ce qu'on fait la plupart du temps, lorsque les gens refusent de participer, c'est qu'on essaie de voir après l'expérimentation, un petit peu, pourquoi ils ont refusé.
Dans des entretiens, par exemple.
"Pourquoi vous avez refusé ?"
Mais le refus est, on va dire...
Auditeur 5.
-Dans les statistiques, il n'y a pas...
Vous nous avez donné des statistiques, de 1 à 7, et tout ça.
Est-ce qu'il y en a vraiment qui ont refusé ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Je peux pas dire oui.
Auditeur 5.
-À quel moment ?
Dès le départ ?
Pendant l'expérience ?
Est-ce que dans les statistiques, les chiffres, sont pris en compte le refus et...
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Pour l'expérience de Cohen, je me souviens pas précisément du nombre de refus ou d'acceptations.
Mais je ne pense pas...
Ça, c'est une opinion.
Il faut que je revoie exactement le compte rendu scientifique.
Il y a peu de défections.
Parce qu'on arrive à obtenir de la part des individus, par exemple, de manger des sauterelles grillées.
Vous voyez ?
On peut faire écrire contre les Droits de l'Homme.
Il y a toujours des gens qui se posent des questions.
Auditeur 5.
-Il y a bien des journalistes qui le font, ça !
Et il y a des testeurs de parfums qui reniflent de la merde.
Ils sont payés pour.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Peut-être, mais voilà.
Le fait est qu'on donne une explication théorique qui, dans la vie quotidienne, n'existe pas.
Ou on croit le faire sans savoir que ça existe théoriquement.
Donc, les faits de résistance sont bénéfiques et même salutaires.
Mais, dans ces expérimentations, ces effets de résistance ne sont pas, on va dire, majoritaires, en tout cas.
C'est pas parce que vous laissez le libre choix que ce quelqu'un va sortir de la situation.
Ça, c'est un collègue américain qui l'a montré.
Il s'appelle Zimbardo.
C'est pas parce que vous laissez le choix que le choix vous permettra de sortir de la contradiction.
Le choix insuffle, vous donne un sentiment de liberté qui vous permet de rationnaliser, mais pas de sortir de la situation.
Je vous ai répondu ?
Auditeur 5.
-Oui, du point de vue du psycho-sociologue, oui.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Merci.
Auditrice 3.
-Bonjour.
Je suis ici.
J'avais aussi la question sur la résistance, je la supprime.
Et j'avais été intriguée par ce que vous avez passé un peu trop vite à mon goût sur les différences culturelles.
Je voulais savoir si, effectivement, vous aviez trouvé des choses pondérables, mesurables ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Moi, personnellement, je travaille sur les différences culturelles, mais pas sur la dissonance.
Oui, bien sûr qu'il y a des effets.
On n'observe pas les mêmes effets de dissonance si on fait des expérimentations d'esprit nord-américain, européen, ou d'esprit asiatique, si vous voulez.
On est dans deux cultures différentes.
On va dire qu'on est dans une culture individualiste pour la partie européenne et nord-américaine, et une culture plus collectiviste, asiatique, etc.
Et les effets de dissonance sont, on va dire, pas du tout identiques, selon ce que l'on manipule, selon le thème, selon la façon dont on fabrique la situation qui va amener les gens à cette situation de dissonance.
Le facteur interculturel est très important.
C'est d'ailleurs une des voies de recherches actuelles sur la façon dont les gens réduisent leurs dissonances selon qu'ils appartiennent à telle ou telle communauté.
Et encore, des expérimentations qui ont été faites en Chine, où il y a peut-être...
Et au Japon.
En Chine, par exemple, la culture est plutôt collectiviste.
Mais vous avez de plus en plus, maintenant, une culture assez occidentalisée, qui fait que certains partagent plus la culture, on va dire, libérale que collectiviste.
On observe des effets différents en Chine, selon qu'on appartienne à une culture plus individualiste dans un cadre qui reste encore collectif.
Donc il faut y aller vraiment très doucement.
Un autre exemple, nous avons fait des études en Chine, justement.
Sur le concept de libre choix, dont j'ai parlé tout à l'heure.
Le libre choix nous conduit à réaliser des comportements qu'on n'aurait pas réalisés spontanément.
Ça a été prouvé.
Le libre choix, ça marche très bien en France.
Ça marche très bien aux États-Unis.
L'esprit nord-américain, nord-européen.
En Chine, le libre choix ne marche pas.
Ils vont dire : "Le libre choix, je sais pas ce que c'est."
Donc on n'a pas d'effet de libre choix en Chine.
On a les statistiques qui descendent, comparativement aux effets observés aux États-Unis ou en France, par exemple.
Pareil dans certains États africains.
Des États africains sont plus libéraux.
On observe des effets différents.
Auditrice 3.
-C'est le biais culturel ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Oui.
Enfin, si on peut parler de "biais culturel".
Entre guillemets.
Mais voilà, les effets sont très différents d'une appartenance collectiviste ou individualiste pour les deux catégories qui sont les plus opposées.
Maintenant, il y a des finesses entre ces catégories-là qui montrent qu'on peut pas réduire les effets de dissonance à ces deux catégories.
Il faut des analyses beaucoup plus fines.
Au niveau de la construction du Soi, aussi.
Car certains auteurs ont montré que, je retombe sur les théories du Soi, parfois, on a en tête un Soi qui est plutôt indépendant.
C'est-à-dire qu'on vit dans une culture libérale qui insuffle des valeurs libérales.
Indépendance, autonomie, etc., qui vont favoriser les effets de dissonance.
On n'observe pas cela dans des cultures collectivistes, ou beaucoup plus autoritaires.
Et là, on tombe dans ce que je disais.
Donc ce sont des recherches passionnantes qui montrent qu'on n'obtient pas les mêmes effets selon les différents coins de la planète.
Je crois qu'il y a une question, là.
Modératrice.
-Alors, comme le temps passe et qu'à 21h, faut qu'on soit dehors, il y avait une question par ici.
Voilà, monsieur.
Auditeur 6.
-Bonsoir, monsieur.
Merci pour cette présentation.
Alors, ma question, c'est la dissonance qui mène à un changement de comportement ou d'opinion.
Quelle est la différence par rapport à sa situation, avec une remise en question de l'individu ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Alors...
Est-ce qu'être en dissonance, c'est se remettre en question ?
C'est ce que vous voulez savoir ?
C'est une question qui est très complexe.
Elle convoque plusieurs cadres théoriques.
Et répondre comme ça, brièvement, c'est très dur.
Ça dépend comment on voit la dissonance.
Je connais certaines expérimentations menées avec des psychanalystes, dans les années 1980.
Avec...
Aux États-Unis.
Pas en France, mais aux États-Unis.
Joel Cooper a travaillé là-dessus.
Il étudiait les effets de dissonance en situation de psychanalyse.
Et comment la dissonance peut interagir dans cette situation.
Donc là, il faudrait relire Cooper.
Mais alors, en termes de remise en question, c'est pareil, on retombe, si vous voulez, dans les processus...
D'ailleurs, a-t-on conscience de cette remise en question ?
Vous voyez ?
En a-t-on conscience, ou est-ce que ça se fait inconsciemment, par rationalisations successives ?
Peut-être qu'on peut en être conscient si on vous le fait remarquer.
Certaines expérimentations montrent que si on demande à nos participants d'essayer de réfléchir au sujet...
Par exemple, je prends la répression policière.
Si on leur demande de réfléchir pendant cinq minutes au sujet de la répression policière, donc ils vont construire une contre-argumentation.
Cette contre-argumentation-là peut agir sur les effets de dissonance, et donc contrecarrer la remise en question.
Donc, cette remise en question, on peut, d'une certaine manière, la produire ou pas la produire, selon les consignes qu'on va donner à nos participants.
Mais vous parlez d'une remise en question, moi, la remise en question, je l'apparenterais à la rationalisation.
On va rationnaliser les choses d'une certaine manière pour voir le monde tel qu'il est, ou le monde tel qu'il vous arrange, comme les adeptes de Marian Keech.
C'est ça, la remise en question.
On peut parler de remise en question dans un lexique moins psychosocial, mais je parlerais de rationalisation si on utilise le jargon psychosocial.
Vous voyez ?
Parler de remise en question comme ça, c'est...
On a des phénomènes de naturalisation qui interviennent.
Qui se font au fur et à mesure.
Si, pour cette réduction de la dissonance, vous vous dites : "Je suis environnementaliste.
Je le crois vraiment parce que j'ai réduit ma dissonance."
Enfin, je crois.
Je sais pas si la dissonance m'a amené là.
C'est le problème.
"Je crois que je suis environnementaliste.
Être environnementaliste, ça fait partie de ma nature."
Donc on passe de l'internalisation à la naturalisation.
Est-ce une remise en question ?
C'est une autre question.
Mais les concepts psychosociologiques sont là aussi pour nous aider, pour comprendre qu'effectivement, oui, la remise en question, elle est là, effectivement.
Plus ou moins consciente.
Modératrice.
-Oh là là !
On va pas dormir, ce soir.
Je prends une dernière question.
Auditrice 4.
-Dites-moi si je suis hors-sujet.
Justement, avant la prise de conscience, où peut-on placer les neurones miroirs, par rapport au mimétisme ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Alors...
Oui, alors moi, je vous renverrais, là, à la question de la dissonance vicariante.
Le neurone miroir, quand on voit quelqu'un réagir de façon dissonante, on sait pas si les neurones miroirs interviennent parce que dans le cadre des théories de la dissonance cognitive, on n'a jamais trop testé le rôle des neurones miroirs.
Mais on peut supposer que le fait de voir quelqu'un rédiger un texte pour la répression policière nous met dans un état de dissonance.
Après, vous dire que ce sont les neurones miroirs, je vous dirais : "Pourquoi pas ?"
Pour l'instant, j'ai pas de preuves qui vont dans ce sens.
En tout cas, sauf erreur de ma part, je n'ai pas de texte qui montre...
Ou voir des collègues australiens qui travaillent là-dessus, sur les effets physiologiques.
Je dirais : "Pourquoi pas ?"
La dissonance a des effets vicariants.
Les neurones miroirs renvoient ce que fait l'autre de dissonant et nous imprègne nous-mêmes de dissonance.
Merci beaucoup.
Modératrice.
-Une toute petite question pour moi sur le titre de votre ouvrage.
"La dissonance cognitive, quand les actes changent les idées".
Est-ce que les idées ne pourraient pas changer les actes ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-C'est...
J'emploierai quelque chose qu'on emploie souvent...
vraiment entre guillemets.
Pour être, on va dire...
Est-ce que c'est la poule ou l'œuf ?
Vraiment pour simplifier les choses.
Est-ce que ce sont les pratiques qui vont changer le comportement, qui vont changer les idées ?
Ou est-ce que ce sont les idées qui vont nous amener à réaliser certains nouveaux comportements, qui eux-mêmes vont changer nos idées, etc.
Il est évident qu'en situation de laboratoire, on amène les gens à s'engager.
Comportementalement.
On dit : "Vous êtes libre de faire ça."
Là, c'est bien les pratiques qui changent les idées.
Donc ici, les actes changent les idées.
Après, on a montré que, effectivement, parfois, il y a ce qu'on appelle des opinions très fortes, qui résistent au changement.
Là, on observe d'autres effets, l'oubli de la dissonance.
Mais ces idées très fortes, on appelle ça les attitudes fortes, comment se sont-elles formées ?
Comment ont-elles vu le jour ?
Ce sont des questions...
Se sont-elles formées parce qu'on a déjà réalisé des comportements qui vont dans ce sens ?
Ou est-ce que c'est peut-être dû à notre socialisation ?
Déjà, depuis la plus petite enfance.
Ou...
Alors je dis pas que...
Si vous prenez quelqu'un qui milite pour l'environnement depuis 30 ans, il aura une idée très forte.
Mais voilà, est-ce que le fait d'avoir une idée très forte ne révèle pas que ce militantisme a forgé cette idée-là ?
Donc c'est une question qui est, on va dire, éminemment...
pas dérangeante, mais qui pose aussi certaines...
certaines limites.
Il y a des collègues...
Ça dépend un peu comment on voit les choses.
Vous avez deux façons de voir les choses.
Soit ce sont les idées qui déterminent les comportements.
Et puis, vous n'en démordez pas.
Vous pouvez dire : "Nos comportements fabriquent nos idées."
Vous n'en démordez pas.
On peut voir les choses de différentes manières.
Après, c'est à nous de faire le lien entre les deux, je pense.
C'est ce qu'on fait en laboratoire, actuellement.
On travaille sur ce lien.
Parfois, c'est les perceptions que l'on a des choses, les représentations qu'on a des choses qui font que ces représentations vont entraîner tel comportement.
La représentation détermine le comportement.
Des expérimentations le montrent.
Dans certaines situations, c'est l'inverse.
C'est les comportements qu'on réalise dans la vie quotidienne, que l'on exprime en situation de laboratoire, qui font que nos idées vont changer.
Mais c'est vrai que le croisement entre les deux, c'est essayer de comprendre comment l'un influence l'autre et vice-versa.
C'est aussi très important.
Donc j'ai pas de "oui" ou de "non" à vous donner, à ce niveau-là.
Ce sont des champs de recherche éminemment passionnants.
Ils nécessitent, bien sûr, d'autres possibilités.
On a des boulevards de recherche, ne serait-ce qu'en termes de radicalisation, de communication politique, qui s'ouvrent devant nous.
Modératrice.
-La radicalisation, justement, c'est assez concret.
Je parle de ce que l'on vit actuellement.
Mais justement, ne faut-il pas changer les idées, c'était un peu l'arrière-pensée, pour créer de la dissonance, et avoir...
et s'orienter vers d'autres actes que des actes criminels ?
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Si c'était aussi facile que ça, on l'aurait fait de suite.
Mais il faut bien voir que ce cadre-là, le cadre de la radicalisation, s'adresse à des groupes très formés, à l'identité très forte, où la spiritualité est très forte.
C'est ça qui mène la danse.
On est sur des aspects identitaires très forts.
Plus que forts.
Ça dépasse, il faut dire, les...
Donc il faudrait faire éclater ce "Nous", ce groupe, par la dissonance, pour que ça change.
Pour l'instant, on cherche.
Modératrice.
-Cherchez bien !
On a besoin de vous.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-On fait que ça !
Modératrice.
-Donc, merci à l'équipe technique qu'on a retenue trop longtemps.
Merci à vous.
Merci beaucoup.
Fabien Girandola, enseignant-chercheur, professeur de psychologie sociale,Université d'Aix-Marseille.
-Merci, avec plaisir.
Merci à vous.
Modératrice.
-Merci, M. Girandola.